Tiré de Inprecor no 703-704 janvier 2023
Par François Chesnais
En effet, j’ai reçu d’un ami un message où j’ai décelé l’idée qu’elle serait une réponse légitime à une situation créée par l’OTAN. Cette position « campiste » est encouragée par le fait que quatre pays d’Amérique latine qui sont au premier plan dans le combat contre les États-Unis – Cuba, Nicaragua, Bolivie et Salvador – se sont abstenus lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution condamnant « l’agression contre l’Ukraine ». Une douzaine de pays africains anciennement coloniaux ont fait de même. La position favorable à la Russie adoptée par la Monthly Review peut aussi les encourager à choisir le « camp anti-impérialiste / anti-étatsunien ».
Une profonde hostilité à l’égard de l’impérialisme étatsunien, nourrie par plus d’un siècle d’histoire remontant à la présidence de Woodrow Wilson, partagée avec beaucoup de militants de la gauche sud-américaine, risque de rendre certains de mes ami∙es et collègues agnostiques ou même tolérants face à l’invasion, mal informés de ses objectifs et indifférents quant aux méthodes de guerre, dirigées contre les populations civiles, qui sont employées par l’armée russe. Nommée « opération spéciale » par Poutine et ses ministres, il s’agit d’une agression de la part de la Russie dans le but de chasser le gouvernement Zelenski du pouvoir, de pérenniser à l’est du pays la scission de la région du Donbass, de vassaliser la partie centrale et occidentale du pays et de mettre toute la population au pas.
Je reconnais que ma position est façonnée par le fait que la Russie fait partie constitutivement de mon cadre géopolitique de pensée comme pour tout Européen. En raison de la stalinisation du Komintern au tournant des années 1930, l’emprise internationale du stalinisme par l’intermédiaire de la vassalisation des pays de l’est de l’Europe et le poids des partis communistes ont eu pour effet que les révolutionnaires se sont trouvé·es en France comme en Italie ou en Espagne face à des partis communistes appliquant des choix de politique extérieure de l’URSS. J’ai un vif souvenir des chars russes intervenant à Budapest en 1956 et plus encore à Prague en 1968 (documenté par beaucoup de matériel photographique) pour déposer les dirigeants politiques. Il est certain que ces événements ont une grande influence sur mon approche dans la caractérisation de l’invasion de l’Ukraine de même que l’a mon appartenance à une tradition politique où le combat contre le stalinisme et celui contre l’impérialisme vont de pair.
Rapports de production et de propriété et système politique en Russie depuis 1991
Il est important de caractériser la Russie sur le plan tant économique que politique. Dans sa déclaration récente au sujet de la guerre, la Monthly Review esquive la question en adoptant la caractérisation de « grande puissance » utilisée dans les débats étatsuniens à la suite de la dissolution de l’URSS. Pour les stratèges du Département d’État il fallait mobiliser des moyens extraordinaires « pour affaiblir la position géopolitique de la Russie de manière permanente et irrévocable, avant qu’elle ne soit en mesure de se rétablir, en mettant dans l’orbite stratégique occidentale tous les États qui l’entourent maintenant et qui faisaient autrefois partie de l’Union soviétique ou qui étaient tombés dans sa sphère d’influence » (« Extraits du plan du Pentagone : “Preventing the Re-Emergence of a New Rival” », New York Times, 8 mars 1992). Pour que l’Alliance atlantique sous la direction des États-Unis domine l’Eurasie, il était d’abord nécessaire qu’elle acquière la primauté sur ce que Brzeziński appelait « le trou noir » laissé par la disparition de l’Union soviétique de la scène mondiale. Cela signifiait chercher à diminuer la Russie au point qu’elle ne puisse plus revendiquer le statut de grande puissance.
Dire que la Russie est une grande puissance est très insuffisant. Elle est une puissance impérialiste en raison de ses rapports de production et de propriété internes et de sa place dans le marché mondial. Depuis ce qu’on nommera par commodité le processus de « chute du communisme » au cours des années allant de la destruction du mur de Berlin en novembre 1989 à la dissolution de l’URSS et la démission de Gorbatchev comme Secrétaire général du PCUS en décembre 1991, en Russie les rapports de production et de propriété sont devenus capitalistes, de très importantes lois votées sous le gouvernement Eltsine concrétisant cette nature. Sous l’angle de la propriété des moyens de production et des ressources minières et énergétiques, ces rapports sont marqués par un degré élevé de concentration et de centralisation. Ce trait est caractéristique du capitalisme contemporain, mais il a été accentué par les conditions de privatisation des entreprises d’État en 1995-1997, marquées par une extrême corruption et la formation de la couche des oligarques.
Sur le plan politique, à partir de la démission de Gorbatchev, le système qui avait été établi après la mort de Staline en mars 1953, et l’exécution de Beria sur ordre des autres membres du Bureau politique en décembre de la même année, un parti unique avec ses aspects collégiaux où le Secrétaire général était primo entra pares, a été remplacé en 1993 par un régime constitutionnel formellement pluripartite avec des élections présidentielle et législatives dont Eltsine a été le premier président. Puis avec l’accession de Poutine à la présidence le 31 décembre 1999 (dix ans après la démission de Gorbatchev) on a peu à peu vu la mise en place d’un système de dictature militaire et policière de facto, marquée par une très forte concentration de la prise de décision entre les seules mains de Poutine ainsi que l’absence du moindre contre-pouvoir. Une des étapes a été l’amendement de la Constitution en 2008 portant à partir de 2012 le mandat présidentiel de quatre à six ans, renouvelable une fois. En 2020 plusieurs amendements à la Constitution ont été adoptés par référendum avec plus de 78 % des voix, dont l’un qui remet à zéro le compteur du nombre de mandats présidentiels, permettant à Poutine d’être éligible pour deux mandats supplémentaires.
Pour Poutine des raisons historiques multiséculaires rendent l’indépendance de l’Ukraine intolérable
Ce caractère dictatorial du pouvoir et la longueur, sauf accident, de la période où Poutine l’exercera, expliquent les études qui ont tenté de cerner sa vision du monde et aujourd’hui son acharnement contre le peuple ukrainien. En novembre 1989 Poutine était lieutenant-colonel du KGB à Dresde et la chute du mur de Berlin a représenté pour lui un premier traumatisme majeur sur lequel les auteurs ont mis l’accent. Il en est un second plus décisif dont les analyses parlent moins, à savoir entre le milieu de 1990 et décembre 1991 le processus de dissolution de l’URSS sous son aspect des déclarations d’indépendance de plusieurs pays et leur sortie de l’union. Les trois pays baltes – Lettonie, Estonie, Lituanie – ont déclaré leur indépendance tandis que l’Ukraine a fait sécession lors d’un référendum du 1er décembre 1991, 90 % des électeurs votant pour l’indépendance.
C’est à ces indépendances que Poutine se réfère lorsqu’il dit que la chute de l’URSS est l’évènement le plus grave du XXe siècle. Leur degré de gravité n’est pas le même selon les cas. Les trois pays baltes avaient été occupés et annexés seulement en 1939. En revanche l’Ukraine a fait partie du cœur de l’Empire tsariste, tout comme la Biélorussie. Avant que Pierre le Grand ne promeuve l’ascension de Saint-Pétersbourg, le triangle Moscou, Kiev et Minsk formait le fondement de la puissance de l’Empire. C’est un point que Poutine souligne dans les exposés et discours qu’il a consacrés à la définition de sa vision des rapports entre la Russie et l’Ukraine. Si on le lui avait demandé, Poutine aurait surement exprimé son accord avec Brzeziński, l’auteur du Grand Échiquier, « la Russie sans l’Ukraine cesse d’être un empire. »
Poutine a publié un long article du 12 juillet 2021, après la première phase de concentration des troupes, huit mois avant l’invasion. Destiné à préparer l’invasion politiquement sur le plan idéologique, il n’y est pas question de l’OTAN. Intitulé « L’unité historique entre la Russie et l’Ukraine » l’article a été tout de suite rendu disponible en anglais. Les décisions que Poutine a prises et qu’il s’apprêtait à mettre en œuvre s’enracinent dans le long passé impérial de la Russie : « Pour mieux comprendre le présent et regarder vers l’avenir, nous devons nous tourner vers l’histoire. Certes, il est impossible de couvrir dans cet article tous les développements qui ont eu lieu depuis plus de mille ans. Mais je vais me concentrer sur les moments clés et cruciaux dont nous devons nous souvenir, tant en Russie qu’en Ukraine.
« Les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont tous des descendants de l’ancienne Rus, qui était le plus grand État d’Europe. Les tribus slaves et autres à travers le vaste territoire – de Ladoga, Novgorod et Pskov à Kiev et Tchernigov – étaient liées par une langue (que nous appelons maintenant le vieux russe), des liens économiques, le règne des princes de la dynastie Rurik et, après le baptême de la Rus, la foi orthodoxe. Le choix spirituel fait par saint Vladimir, qui était à la fois prince de Novgorod et grand-prince de Kiev, détermine encore largement notre affinité aujourd’hui.
« Le trône de Kiev occupait une position dominante dans l’ancienne Rus. C’était la coutume depuis la fin du IXe siècle. Le récit des années passées a transmis à la postérité les paroles d’Oleg le Prophète à propos de Kiev, “Que ce soit la mère de toutes les villes russes.” Plus tard, comme d’autres États européens de cette époque, l’ancienne Rus a fait face à un déclin de la domination centrale et à la fragmentation. Dans le même temps, la noblesse et les gens ordinaires percevaient la Rus comme un territoire commun, comme leur patrie. »
Poutine dit ensuite l’ampleur de son désaccord avec Lénine sur la création de l’URSS en 1922 en tant qu’une union d’États, c’est-à-dire comme un État fédéral réunissant des nations qui y adhéraient après avoir exercé leur droit à l’autodétermination. Il écrit : « En 1922, lorsque l’URSS a été créée, la République socialiste soviétique d’Ukraine devenant l’un de ses fondateurs, un débat assez vif entre les dirigeants bolcheviques a abouti à la mise en œuvre du plan de Lénine de former un État d’union sous la forme d’une fédération de Républiques égales. Le droit des Républiques de faire librement sécession de l’Union a été inclus dans le texte de la Déclaration sur la création de l’Union des Républiques socialistes soviétiques et, par la suite, dans la Constitution de l’URSS de 1924. Ce faisant, les auteurs ont planté dans la fondation de notre État la bombe à retardement la plus dangereuse, qui a explosé au moment où le mécanisme de sécurité fourni par le rôle de premier plan du PCUS a disparu, le parti lui-même s’effondrant de l’intérieur.
« Les bolcheviks traitaient le peuple russe comme un matériau inépuisable pour leurs expériences sociales. Ils rêvaient d’une révolution mondiale qui anéantirait les États nationaux. C’est pourquoi ils ont été si généreux en traçant les frontières et en accordant des dons territoriaux. Bien sûr, à l’intérieur de l’URSS, les frontières entre les Républiques n’ont jamais été considérées comme des frontières d’États ; ils étaient nominaux au sein d’un seul pays, qui, tout en présentant tous les attributs d’une fédération, était très centralisé – ce qui était garanti par le rôle de premier plan du PCUS. Mais en 1991, tous ces territoires, et, ce qui est plus important, les gens, se sont retrouvés à l’étranger du jour au lendemain, enlevés, cette fois en effet, de leur patrie historique. »
Plus près de nous, dans l’optique chauviniste grand-russe de Poutine, les choses ont encore empiré en 1954 lorsque Nikita Khrouchtchev a offert la Crimée à l’Ukraine en reconnaissance de son rôle dans la guerre mondiale.
Un peuple turbulent qui a continuellement mis ses gouvernements en difficulté
Poutine a célébré, pour ainsi dire, son accession à la présidence de la Fédération de Russie en janvier 2000 en menant la seconde guerre en Tchétchénie avec la destruction complète de Grozny et le massacre de civil·es sur une très grande échelle auxquels peu de militants français ont prêté attention. Dans le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie, de même qu’avec les anciennes Républiques soviétiques prêtes à être dociles, il a conclu des alliances avec des hommes politiques issus de la bureaucratie bréjnevienne/gorbatchevienne au pouvoir. Il leur était demandé de s’abstenir d’établir de quelconques rapports avec l’OTAN et de réprimer les mouvements sociaux, à commencer par ceux dont l’horizon était un rapprochement avec l’Union européenne. S’il a fallu attendre 2020 pour que la population biélorusse se soulève à Minsk, Kiev a connu très tôt d’immenses manifestations ayant comme enjeu l’indépendance effective, soit le droit de décider des relations avec l’Union européenne (UE). D’abord en 2004 contre des dirigeants soutenus par Poutine – Léonid Koutchma et Viktor Ianoukovytch. Puis à une échelle infiniment plus élevée au cours de l’hiver 2013-2014, entre le 30 novembre et le 8 décembre, puis entre le 18 et le 23 février. Les manifestations, composées d’abord surtout d’étudiants, ont commencé après que Ianoukovytch eut annoncé, le 21 novembre 2013, qu’il ne signerait pas l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE. Les manifestants s’en sont pris à la corruption et aux conditions de vie, Mais il ne faut pas y voir une sorte de « mai 68 ». Les étudiants ont été rejoints par les partis d’opposition. Des forces politiques ultra-nationalistes ont été de plus en plus actives. La protestation initialement pacifique et pro-européenne est devenue violente à partir de décembre et a culminé dans les affrontements de rue armés en janvier. L’occupation de bâtiments publics et les batailles de rue se sont soldées par la démission de Ianoukovytch. Celle-ci a scellé la fin du mouvement et ouvert la voie à l’occupation de facto de Donetsk et de Lougansk dans le Donbass par la Russie en 2014 ainsi qu’à l’annexion de la Crimée.
La Crimée et le Donbass
Poutine a profité de la mobilisation dite Maïdan et de la chute de Ianoukovytch pour mettre fin à l’attachement de la Crimée à l’Ukraine décidée soixante ans plus tôt. Il a annexé la Crimée en mars 2014 en suscitant la formation d’une « République autonome » demandant l’adhésion à la Fédération de Russie. Simultanément la minorité ukrainienne pro-russe s’est regroupée à l’est, dans le Donbass, et a proclamé avec l’appui de la Russie au cours de l’été 2014 deux « Républiques populaires », de Donetsk et de Lougansk. L’Ukraine ne les a pas reconnues de sorte qu’elles ont été le terrain d’une guerre larvée. En 2022 leur reconnaissance et leur intégration dans la Fédération de Russie ont été données par Poutine comme la justification de l’invasion. Nommée « opération militaire spéciale » dans son discours du 24 février, son objectif a été proclamé comme étant celui « de protéger les personnes victimes d’intimidation et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans. Et pour cela, nous lutterons pour la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine. » Une aile d’extrême droite ultranationaliste héritière de la partie des Ukrainiens qui avaient accueilli l’armée allemande en 1941 existe, mais sa qualification de « néonazie » par Poutine relève de la pure propagande.
Le soutien donné à Poutine par la Monthly Review
Le récit de Poutine a reçu l’appui honteux de la Monthly Review. La revue qualifie les manifestations de la place Maïdan de coup d’État mené avec l’appui de forces néonazies. « Ianoukovytch avait été amical avec l’Occident. Mais face aux conditions financières imposées par le Fonds monétaire international, son gouvernement s’est tourné vers la Russie pour obtenir de l’aide économique, provoquant la colère de l’Occident. Cela a conduit au coup d’État de Maïdan quelques mois plus tard, le nouveau dirigeant ukrainien ayant été choisi par les États-Unis. Le coup d’État a été mené en partie par les forces néonazies, qui ont des racines historiques dans les troupes fascistes ukrainiennes qui ont aidé à l’invasion nazie de l’Union soviétique. Aujourd’hui, ces forces sont concentrées dans le bataillon Azov, qui fait maintenant partie de l’armée ukrainienne soutenue par les États-Unis. »
La Monthly Review appuie l’annexion de la Crimée et fait du soutien militaire russe aux territoires séparatistes du Donbass la réponse légitime à la tentative de l’Ukraine de les en empêcher. « Après le coup d’État, la Crimée a décidé de fusionner avec la Russie par le biais d’un référendum au cours duquel le peuple de Crimée a également eu la possibilité d’aller de l’avant dans le cadre de l’Ukraine. La région du Donbass, en grande partie russophone, dans l’est du pays, s’est quant à elle séparée de l’Ukraine, en réponse à la répression violente contre les Russes ethniques qui avait été déclenchée par le nouveau gouvernement de droite. (…) Lougansk et Donetsk ont reçu le soutien militaire de la Russie, tandis que l’Ukraine (Kiev) a reçu un soutien militaire occidental toujours plus important, entamant ainsi le processus à plus long terme d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Dans la guerre de l’Ukraine contre la population russophone dans les Républiques séparatistes du Donbass, quelque 14 000 personnes ont été tuées et 2,5 millions de personnes déplacées, la plupart d’entre elles se réfugiant en Russie. Le conflit initial a pris fin avec la signature en 2014-2015 des accords de Minsk par la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, et approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU. Selon ces accords, Donetsk et Lougansk devaient se voir accorder le droit à l’autonomie gouvernementale, tout en restant en Ukraine. Néanmoins, le conflit militaire s’est poursuivi et s’est finalement intensifié à nouveau. »
On arrive à février-mars 2022 où la Monthly Review accuse le gouvernement ukrainien d’avoir « déchiré les accords de Minsk » et ne voit aucun problème à ce que l’incorporation de Lougansk et de Donetsk soit rangée par Poutine au nombre des objectifs qui justifient, au côté de la chasse aux « néonazis », « l’opération spéciale ».
Où va Poutine ?
Le but de cette lettre est d’expliquer les causes de la guerre et non d’en prévoir l’issue. Je me limiterai à son cours des six premières semaines. La démission de Ianoukovytch a été suivie de l’élection de Petro Porochenko en 2014 puis de Zelenski en 2019. Le premier aurait poursuivi la politique conciliatrice de son prédécesseur pour autant que la guerre au Donbass le permette, mais Zelenski est un nationaliste convaincu orienté vers l’UE. Il y a un fossé entre lui et Poutine. Tout ce qu’il fait attise la haine de Poutine envers les Ukrainiens. Puis il y la question du timing. Les raisons pour lesquelles c’est en mars-avril-mai 2021 que celui-ci a commencé sa mobilisation massive de troupes aux frontières avec l’Ukraine et qu’il a lancé l’invasion en février 2022, ne sont pas claires. Les formes de guerre expérimentées en Syrie, utilisées depuis l’invasion, l’avaient été dès 2016-2017. Il n’y a eu aucun changement notable de l’OTAN dans ses relations avec l’Ukraine par rapport à celles établies à la suite de Maïdan. Les raisons du timing sont sans doute à rechercher dans la nécessité pour Poutine de trouver, dans le cadre des changements géopolitiques mondiaux, un champ d’action politique et militaire qui rappellerait aux États-Unis et à la Chine que la Russie est une grande puissance à l’égal, ou presque, d’eux. Il a échoué. Il a montré que sa force est bien inférieure à la leur.
L’invasion du 24 février a été marquée par des décisions stratégiques reposant sur des erreurs d’appréciation très importantes quant aux capacités de résistance des Ukrainiens, lesquelles ont révélé à leur tour l’état réel de l’armée russe aux plans opérationnel et matériel. Poutine, fort de son mépris pour les Ukrainiens en général et leur président Zelenski en particulier, et conforté par les informations et conseils qu’il a reçus de son proche entourage, tablait sur une guerre-éclair, une « promenade militaire » avec une entrée rapide dans Kiev et l’éjection de Zelenski, par son assassinat ou sa fuite. La résistance acharnée de l’armée ukrainienne et le début des actions de la population contre les chars russes en ont décidé autrement. Dès lors la machine militaire s’est enrayée : effondrement partiel des lignes d’approvisionnement en carburant et en vivres, paralysie des mouvements de troupes et, de façon rétroactive et cumulative, pertes croissantes en hommes et en matériel, en particulier en chars.
Dès lors que la supériorité de l’armée russe sur l’armée ukrainienne s’est révélée moins importante que prévu et la résistance de la population plus élevée, l’état-major russe est passé à la guerre contre les civils et le pilonnage des villes, aussi bien petites comme celles autour de Kiev que grandes comme Marioupol située sur la mer d’Azov à 100 km au sud de Donetsk, qui a subi un sort analogue à celui de Grozny en 2000. Plus on s’enfonce dans la guerre, plus Poutine a à y perdre. Mais chercher à l’expliquer est un autre travail.
Paris, 14 avril 2022
* Ce texte a d’abord été publié dans une traduction espagnole d’Aldo Casas par la revue latino-américaine en ligne Herramienta Web n° 38 sous le titre « El “Campismo” y mi posición sobre la guerra. Carta a amigxs y colegas brasileños a propósito de la invasión a Ucrania » : https://herramienta.com.ar/el-campismo-y-mi-posicion-sobre-la-guerra-carta-a-amigxs-y-colegas-brasilenos-a-proposito-de-la-invasion-a-ucrania
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