Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Sénégal, Jour 5

La contestation populaire désavouant le Président Macky Sall et son gouvernement depuis cinq jours se poursuit et se fait de plus en plus violente. Ce qui se passe réellement, si on souhaite en faire une autopsie rigoureuse, c’est le népotisme, la malgouvernance, les dossiers de corruption. Ce qui se passe dehors, c’est une jeunesse qui dit non au bradage des ressources du Sénégal.

Tiré du blogue de l’auteur.

La contestation populaire désavouant le Président Macky Sall et son gouvernement installée au Sénégal depuis cinq jours suite à l’arrestation du leader de l’opposition Ousmane Sonko, le 3 mars, se poursuit et se fait de plus en plus violente. Les manifestations ayant pour cause un ras-le-bol général exprimé par la jeunesse suite aux multiples scandales financiers impliquant des proches du régime et les restrictions des libertés individuelles sont violemment réprimées par les forces de l’ordre et les arrestations continuent à se multiplier. Les chiffres officiels parlent de quatre morts, nous sommes proches de quinze pertes.

Ni le black-out des médias collabo, ni la censure des télévisions indépendantes, ni la restriction d’internet, ni les sorties fallacieuses de certains élus, ni les menaces du ministre de l’intérieur, rien ! rien ne changera la barbarie de la situation actuelle du pays, rien ne fera fléchir la détermination du peuple prêt à mourir pour ses convictions et la liberté. Rien sauf la justice.

Depuis cinq jours, des milliers de manifestants sont dehors pour dire non à la dictature, non à l’oppression. Des médias ont parlé de l’arrestation du principal opposant du pays comme principale cause des manifestations pacifiques que les forces de l’ordre ont fait dégénérer, c’est mal connaître le peuple épris de justice et assoiffé de liberté qu’est le Sénégal.

Ce qui se passe réellement, la vraie source du mal si on souhaite en faire une autopsie rigoureuse, c’est le népotisme, la malgouvernance, les dossiers de corruption, de détournements de deniers publics, l’usage de faux billets des proches du président, tous, sans suite.

Ce qui se passe dehors, c’est une jeunesse qui dit non au bradage des ressources du Sénégal, qui dit non à la première dame qui organise dans le secret de sa maison la vaccination de ses proches contre la covid-19, privant ainsi des populations sensibles et à risque de doses qui leur sauveraient la vie. Ce qui se passe en ce moment au Sénégal n’a aucune coloration politique. Il s’agit d’un ras-le-bol général.

Cela fait plusieurs jours que j’essaye d’écrire sur et pour le Sénégal. Sans succès.

On a beau imaginer le plus sombre, l’extrême violence, la réalité dépasse toujours la fiction. Je parle du Sénégal car c’est bien de lui qu’il s’agit ici. Le Sénégal bafoué, tenu en otage par ses fils pour lesquels nous nous sommes battus en 2011 et 2012. J’ai du mal à écrire car le phrasé, l’esthétique ont du mal à naître face à la barbarie, au mépris et au mensonge des classes politiques. C’est le cinquième jour, le soleil se lève à peine, et c’est comme si c’était le premier jour après l’apocalypse, dans les rues, dans les garages de taxis clandestin, dans les abribus cassés, la même chose : un peuple abasourdi et tenu en otage.

Le peuple ne comprend pas.

Et pour cause, partout dans le pays, des gens sont tués, torturés. Les images sont disponibles, la jeunesse tient bon et alimente le combat sur les réseaux sociaux grâce à l’utilisation de VPN. Elles sont insoutenables. Preuve de haute trahison. Ceux qui doivent protéger le peuple, le tuent. Un jeune de 13 ans tué par balles. Un étudiant dans le sud du pays,abattu à bout portant pour avoir dit « je ne recule pas » à un militaire qui le menaçait avec une arme à feu. Un jeune apprenti mécanicien, mineur, âgé de 17 ans, qui ne manifestait pas, a été atteint par un policier hargneux, sans raison, d’une balle à la tête. Des gens en civil, gros bras, sont armés et sortent à bord de pick-ups du siège du parti au pouvoir pour aller tirer sur des manifestants à balles réelles. Toujours.

Aujourd’hui, le peuple est livré à lui-même. Entre deux feux, ceux de malfrats et de brigands qui pillent des enseignes dites françaises, agressent des citoyens jusque chez eux et les forces de l’ordre qui regardent sans ciller, des civils partisans du parti au pouvoir tirer sur la foule de manifestants. Dakar que j’aime tant a disparu, ployant sous les pierres, les cadavres, l’injustice et le mépris de nos gouvernants.

Dehors, le décor fait froid dans le dos. Pneus brûlés, corps ensanglantés, jeunes déterminés, scandant l’hymne national, hurlant « non à la dictature », portant haut le drapeau du Sénégal. Et cette jeunesse que les gens indignes de nous gouverner taxent de « terroristes », lorsqu’elle encercle les policiers et gendarmes, lorsqu’elle prend le dessus sur ceux qui la violentent, lui achètent des sachets d’eau, chantent avec eux, les saluent, en attendant que ces derniers retrouvent des munitions et recommencent à leur tirer dessus.

Le Sénégalais est contre l’injustice, c’est un fait. Connu.

À l’origine de cette orgie de violence que nous connaissons depuis cinq jours, une affaire privée nous dit-on opposant un leader politique de l’opposition et une citoyenne sénégalaise, dont le théâtre fut l’intimité d’un salon de massage. Faute de preuves solides, suite aux sorties tous azimuts de témoignages défavorables à l’accusation, à la découverte des gens derrière l’accusatrice (des fidèles du parti au pouvoir), à la fuite des PV d’audition des gendarmes qui balayent la thèse du viol, c’est devenu une affaire d’État malgré la levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko.

Lorsque ce dernier a voulu déférer à la convocation du juge du 8e cabinet, il a été bloqué et empêché d’y aller, ses sympathisants et la presse gazés sous les ordres du préfet de la capitale et lui, arrêté et placé en garde à vue pour troubles à l’ordre public. Il a ensuite été kidnappé, pris de sa cellule à 4 heures du matin et gardé pendant cinq heures de temps dans un lieu inconnu de ses avocats, entendu par le juge du 1er cabinet, qui a intimé l’ordre à des gendarmes de ne pas laisser ses conseillers l’assister.

Les habitués du monde du spectacle et du grand divertissement connaissent ces usages et comprennent ce qui est en train de se jouer : machinistes en place, rideau prêt à être levé, lumières éteintes, décor en place, que débute la comedia del arte. Éliminer des opposants politiques, le président du Sénégal est coutumier du fait. Par tous les moyens possibles y compris et surtout par une manipulation de la justice Karim Wade et Khalifa SALL en ont fait les frais. La jeunesse n’acceptera plus ces pratiques d’un autre temps.

Au moment où j’écris ces lignes, je sais déjà combien je m’expose suite à mes tweets, les textes publiés sur mon blog et ce qui suit car nous sommes maintenant dans ce qu’il serait faux d’appeler un état de droit.

Pour preuve, des citoyens sont convoqués suite à des textes Facebook, sont cueillis chez eux sans mandat d’arrêt ni d’amener, torturés en prison, privés de visites, en violation totale de leurs droits, comme Assane Diouf ou encore le camarade Guy Marius Sagna cueilli dans la rue, en toute illégalité. Leurs crimes : avoir combattu l’injustice, et défendu la démocratie. Ces pratiques montrent que le banditisme, le terrorisme s’il fallait reprendre les termes inélégants de celui qui sert de bouclier à l’exécutif, son ministre de l’intérieur, sont du côté des gouvernants.

Ce qu’il faudrait comprendre, ce qui est en jeu, c’est la paix de ce petit pays qu’est le Sénégal, c’est la fin de la démocratie par l’instauration d’une autocratie. C’est la suppression de l’opposition par la prise en otage de sa figure de proue, arrivée troisième des dernières élections présidentielles et seule figure n’ayant pas encore rejoint les rangs du tout puissant parti au pouvoir contrôlant tout. C’est aussi un potentiel troisième mandat de notre président d’après certains membres de l’opposition.

Mais en fin de compte, c’est surtout la liberté de manifester, la liberté de presse et d’opinion, la liberté tout court qui sont en jeu.

Malgré la dizaine de morts annoncés par les réseaux sociaux, nous nous dirigeons vers trois jours cruciaux, trois jours de manifestations pacifiques pour revenir à l’état de droit au Sénégal, trois jours durant lesquelles, les femmes seront aussi mises à l’honneur dans ce combat, trois jours décrétés par le M2D mouvement des forces démocratiques.

Ce combat n’est pas celui du député Ousmane Sonko, mais bien celui du peuple affamé, tourné en dérision par ses gouvernants, opprimé.

Tous les régulateurs sociaux ont parlé (chefs coutumiers, chefs religieux) et se sont heurtés à la violence de l’exécutif. Les menaces et les intimidations n’entameront en rien la détermination du peuple sénégalais à se battre pour préserver sa démocratie.

Que Dieu veille sur notre Sénégal.

Khalil Diallo, romancier
A paraître aux Ed. Emmanuelle Collas en 2021 : L’ODYSSEE DES OUBLIES

Khalil Diallo

Romancier sénégalais.

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