Cela n’a pas été la norme pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui pour des millions de femmes dans le monde : l’injonction à la virginité, les interdits religieux et le commerce du sexe les empêchent encore d’être traitées comme des partenaires sexuelles à égalité. C’est pourquoi il faut défendre cette façon particulière d’expérimenter le sexe, qui est le résultat des changements culturels, d’une plus grande reconnaissance des droits de la personne et du mouvement féministe.
Nous avons la conviction qu’une campagne contre lesdits « robots sexuels » est nécessaire à cette défense. Nous soutenons que les robots sexuels ne favorisent pas la progression de l’égalité et de l’échange dans le sexe entre les hommes et les femmes, mais représentent un véritable pas en arrière en perpétuant l’objectivation des femmes et en brouillant ainsi les distinctions entre le sexe, la masturbation et le viol.
Si acte sexuel veut dire expérience mutuelle, parallèle et partagée entre des êtres humains qui sont radicalement différents d’artefacts fabriqués, il s’ensuit que la pénétration pénienne, digitale ou orale d’un objet ne fait pas « relation sexuelle ». Ceci est le cas, que l’« objet » pénétré soit en fait un être humain objectivé ou un objet anthropomorphisé. La pénétration pénienne, digitale ou orale d’un être humain comme s’il s’agissait d’un objet, comme le genre d’actes qui se produisent dans le commerce du « sexe » (coercition sexuelle), sont des actes de viol.
Ce qui précède peut être mieux compris c-a-d comme viol : ici l’« objet » pénétré a une conscience (il s’agit d’un être humain vivant), a des besoins, des désirs et ainsi de suite, mais il (elle…) n’est pas reconnu(e) comme tel(le) et est seulement utiliséE comme un moyen pour l’atteinte d’une gratification sexuelle. L’objectivation est littéralement une manière de traiter et de réduire un être humain comme s’ielle était un objet. L’objectivation fait partie intégrante du commerce du sexe dit « prostitution » où les corps humains sont achetés, loués et échangés pour « du sexe ». En revanche, la pénétration d’un objet, dans ce cas-ci un robot sexuel, est de la masturbation, pas « du sexe », parce que l’objet n’est pas un être subjectif, avec des pensées et des sentiments à prendre en compte. Ceci est le cas peu importe les fantasmes projetés par l’utilisateur sur le robot sexuel, et peu importe comment le robot sexuel imite certains comportements humains. Il y a une façon erronée de penser dans l’utilisation des termes « robot sexuel » ou « poupée sexuelle ».
Les poupées ou robots sexuels ne participent à aucune relation sexuelle. Les poupées et les robots n’ont pas de corps sexués qui incluent les organes reproducteurs, des hormones et ne font partie d’aucune espèce vivante. Les poupées et les robots sont des artefacts fabriqués par des hommes ; des produits commerciaux (marchandises) qui sont assemblés en tant que biens pouvant être achetés et vendus.
L’utilisation des termes « poupée sexuelle » ou « robot sexuel » présente le robot ou la poupée comme un substitut à l’être humain, avec lequel quelque chose de semblable à une relation sexuelle entre deux humains peut arriver. Pourtant, supposer que le fait de ressembler à un être humain et d’imiter les fonctions d’un être humain est suffisant pour reproduire une relation interpersonnelle amène une autre erreur de catégorie. C’est une pure erreur.
Car il n’y a pas de subjectivité derrière ces yeux vitreux. Il n’y a pas d’esprit avec lequel le partenaire humain puisse entrer en relation. Il y a une forme physique, mais aucune conscience incarnée. Il y a peut-être une voix, mais pas de dialogue ni personnel ni inter-personnel. Cette voix peut énoncer des semblants de sentiments, mais ils n’expriment pas une réalité psychologique. Il n’est pas davantage possible d’entrer en relation avec un robot sexuel ou une poupée sexuelle qu’avec le mannequin d’un ventriloque (mais au moins nous savons que dans les coulisses, le mannequin du ventriloque est manipulé par des mains humaines sans qu’il soit mystifié en tant que technologie « neutre »).
Les robots sont présentés comme des compagnons potentiels de l’homme, un mot qui signifie « camarade, ami, partenaire », dérivé du latin co-pain « rompre le pain avec ». Toutefois, comme irait la reformulation moderne de l’expression commune : vous pouvez conduire votre robot sexuel à la corbeille à pain, mais vous ne pouvez pas le faire manger… Ce robot est peut-être près de vous, mais elle n’est pas « avec » vous ; vous ne partagez rien.
L’idée que les robots sexuels ou les poupées peuvent tenir compagnie peut être un mirage réconfortant qui apporte du plaisir sexuel éventuellement, mais c’est une illusion dangereuse. Car en appelant la pénétration d’un robot ou d’une poupée, le « sexe », on associe le sexe à une expérience sexuelle unilatérale, égocentrique et narcissique sans interaction humaine contradictoire. Si jamais ça se reproduit ensuite dans une rencontre sexuelle interpersonnelle (et il est bien établi que nos préférences et inclinations sexuelles sont souvent enracinées dans l’expérience sexuelle que nous avons eue), on peut voir alors comment les robots sexuels et les poupées peuvent contribuer à l’enchevêtrement culturel entre sexe, masturbation et viol.
Masturbation : expérience sexuelle que vous vivez seul.
Sexe : une expérience que vous vivez avec quelqu’un autre.
Viol – utilisation d’un être humain comme objet sexuel.
La confusion entre viol, échange sexuel et masturbation est utile pour ceux qui défendent la thèse du commerce de la prostitution et aussi pour ceux qui affirment que les robots peuvent être utilisés à la fois pour du sexe comme pour l’amour. Nous avons l’habitude de penser aux partenaires sexuels comme à des personnes avec lesquelles nous pourrions partager des sentiments d’amour ; il est beaucoup moins fréquent de faire passer un objet de masturbation pour une compagnie romantique. La confusion entre relations sexuelles et masturbation peut être relativement inoffensive lorsqu’il s’agit d’utiliser des objets pour la satisfaction sexuelle. Mais lorsque ces définitions confuses signifient que de véritables êtres humains sont réduits à des objets, les conséquences sont beaucoup plus graves. Par exemple, l’étude de Monta et Julka de 2009 a révélé que la conception du sexe en tant que marchandise chez les hommes était fortement corrélée avec l’acceptation du « mythe du viol » (les comportements qui induisent le viol, nient le viol ou attribuent une quelconque responsabilité du viol à la victime), l’attrait pour des pratiques sexuelles violentes et l’utilisation moins fréquente de préservatifs avec une personne prosti/tuée.
Définir le sexe comme une expérience partagée est donc nécessaire pour encourager les comportements sexuels qui prennent au sérieux la prévention de la violence contre les femmes, les hommes et les enfants et qui mettent l’accent sur les risques de grossesse ou de maladies sexuellement transmissibles.
Les robots sexuels occupent souvent une place dans le récit soi-disant « progressiste », où d’autres « tabous sur la sexualité » seraient brisés et où l’expérience humaine serait plus variée. À cet égard, David Levy compare la reconnaissance du mariage homosexuel à la façon dont les relations entre hommes et robots seront perçues d’ici le milieu du XXIe siècle. Il présente ceci comme élevant le robot au niveau de l’humain. Mais en réalité, la comparaison réduit aussi l’humain à un objet. Car cela implique qu’il n’y a rien de distinctif dans la subjectivité humaine qui soit nécessaire à l’amour et à la camaraderie. Les imitations et les illusions seraient des substituts adéquats aux esprits et aux personnalités…
Plutôt que de représenter « le progrès », il semble donc que les robots sexuels soient la réarticulation d’un phénomène déjà très largement répandu : le traitement des êtres humains comme des objets (sexuels) et le traitement du sexe comme une marchandise. Nous devrions moins nous préoccuper d’élever les robots au niveau de l’humain, et donc de leur accorder des droits, que de déshumaniser les personnes. Par exemple, l’idée qu’une « personnalité » qui est le produit d’une sélection de variables programmées pourrait être proche de celle d’un humain n’est possible que si l’on est habitué à considérer une personne comme la somme de ses parties atomisées.
La réduction de la personnalité humaine à des types de personnages est particulièrement problématique lorsque ceux-ci sont associés à des stéréotypes destructeurs : l’une des personnalités préprogrammées pour Roxxxy, le robot sexuel développé par True Companion, est « Frigid Farah » qui résiste aux avances sexuelles de l’utilisateur, tandis que « Young Yoko » est décrite comme « oh ! si jeune » (à peine dix-huit ans, n’est-ce pas), contrairement à « Wild Wendy ». Ces « personnalités » incarnent la dichotomie vierge/ putain, et pire encore, l’attirance normalisée (pour ces hommes) de très jeunes filles mineures à des fins de viols et d’agressions sexuelles.
Ainsi, les robots sexuels peuvent être considérés comme faisant partie d’une culture plus large que la culture du viol. Ils trouvent donc leur place non pas dans un récit de libération sexuelle, mais en lien avec des pathologies modernes comme les troubles de l’alimentation, les obsessions d’une quelconque « remise en forme » et l’industrie de la chirurgie esthétique. Chacun de ces éléments est sous-tendu par la vision du corps en tant que projet. Tout comme le robot est créé par une équipe d’experts qui travaillent et développent ses différentes parties, les « experts » profitent de l’insatisfaction culturelle généralisée de notre corps. Les robots sexuels sont, à leur tour, susceptibles de nourrir cette insatisfaction.
L’utilisation sexuelle de robots ou de poupées aux formes corporelles naturellement impossibles est susceptible de susciter l’insatisfaction avec les formes naturelles, tout comme la consommation de pornographie engendre le dysfonctionnement sexuel chez les hommes habitués à être excités par des images de jeunes femmes totalement rasées et chirurgicalement « améliorées ». En outre, comme beaucoup de jeunes femmes se comparent maintenant aux stars du porno – d’où l’essor des procédures chirurgicales comme la labioplastie – elles sont donc susceptibles de se trouver elles-mêmes comme personnes humaines inadéquates quand les attentions sexuelles des hommes sont dirigées vers des robots sexuels qui ne vieillissent jamais, ne prennent pas de poids, ne tombent pas enceintes ou ne refusent jamais les avances sexuelles.
On pourrait donc soutenir que la solution, dans ce cas, serait d’encourager la production de robots sexuels masculins. Mais plaider pour une égalité du plus petit dénominateur commun là où chacun se présente aux autres comme un objet, c’est exacerber le problème, et non pas trouver une solution.
L’utilisateur de la poupée sexuelle opère un saut idéologique en niant que la poupée sexuelle ne pourra jamais éprouver d’insatisfaction (en vérité, elle n’éprouve absolument rien) pour croire au fantasme qu’elle sera toujours satisfaite.
En réalité, la seule satisfaction qui compte est celle de l’usager, qui reçoit à la fois la gratification masturbatoire et l’impossibilité du rejet.
Florence Gildea and Kathleen Richardson
Publié pour la première fois dans Portuguese Society of Clinical Sexology
Voir l’article original ICI
https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2018/02/02/robots-sexuels-pourquoi-il-faut-sinquieter/
Florence Gildea termine son master 2 de sociologie à Cambridge. Assistante de recherches, elle est également licenciée en Histoire (également à Cambridge.)
Docteure Kathleen Richardson PHD est chargée de recherche à l’Ethics of Robotics Centre for Computing and Social Responsibility de l’Université De Montfort (Leicester, UK)
Florence Gildea : « Logique » de la masculinité toxique : de la pornographie des poupées sexuelles : logique-de-la-masculinite-toxique-de-la-pornographie-des-poupees-sexuelles/
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