Comme je suis peu informé sur les démarches de préparation en cours aux États-Unis, je voudrais dans le cadre de ces deux billets (tiré d’un document s’adressant à l’origine à un public latinoaméricain, mais dont on peut lire la version française sur le site du GESQ) me concentrer sur celles qui ont cours au Canada et, plus particulièrement sur les préparatifs en cours au Québec. Précisons au passage qu’au Nord comme au Sud, lorsque nous parlons de Rio+20, nous référons aux deux types de rencontres qui auront lieu à Rio de Janeiro en juin 2012. D’une part, aux rencontres officielles des chefs d’État tenues dans le cadre de la Conférence des Nations-Unies pour le développement durable, 20 années après une Conférence semblable tenue à Rio en 1992. D’autre part, aux rencontres parallèles qui auront lieu dans le cadre du « Sommet des peuples de Rio+20 pour la justice sociale et environnementale ».
Le point que je compte faire ressortir est le suivant : au Québec, à la différence de ce qui se passe dans le reste du Canada et en conformité avec ce qui se passe dans plusieurs pays de la région LAC, les préparatifs de Rio+20 permettent aux réseaux de l’ESS d’opérer un rapprochement significatif avec d’autres réseaux d’acteurs sociaux, notamment avec des groupes écologiques, des organismes de coopération internationale (OCI), des groupes altermondialistes, des mouvements sociaux et des acteurs politiques intéressés.
La conjoncture actuelle
Depuis qu’il est majoritaire, le gouvernement conservateur de Harper met de l’avant des politiques plus claires : une politique néolibérale cohérente dans les domaines du développement économique et social ; une politique économique axée sur l’exploitation des ressources, qui se conjugue avec un affaiblissement des politiques environnementales ; un net désintérêt vis-à-vis toute forme de reconnaissance et de promotion de l’ESS ; le démantèlement d’organismes de promotion des droits de la personne et de la démocratie dans le monde ; un resserrement du contrôle du bureau de Harper sur l’Agence canadienne de développement international aux dépends des groupes progressistes. La politique canadienne, à quelques nuances près, se rapproche de celle des Etats-Unis. Elle privilégie des accords de libre-échange bilatéraux avec des pays comme la Colombie et le Chili et des accords multilatéraux comme ce projet de « pacto trans-pacifico » avec la Chine et le Japon.
Sur la scène québécoise, le gouvernement de Jean Charest se situe au centre droit sur les questions socioéconomiques. Sans faire ici un bilan des politiques du gouvernement Charest au pouvoir depuis près de 10 ans à Québec, il convient, en tenant compte des questions qui nous intéressent dans ce texte, de dire un mot sur ses actions concernant l’ESS et le développement des ressources naturelles. Concernant l’ESS, on constate que les acquis développés sous les gouvernements antérieurs du PQ de 1994 à 2003 n’ont pas été démantelés et ont fait preuve de résilience, grâce à la vigilance des acteurs qui s’y intéressent et s’y investissent au quotidien dans la société civile. Ainsi, l’ESS continue de faire l’objet de la part du gouvernement du Québec d’une reconnaissance et d’un appui uniques en Amérique du Nord, tout en faisant un certain surplace sous le gouvernement Charest.
Concernant le développement des ressources naturelles, il occupe une place centrale dans les politiques et les débats publics, au Québec et au Canada, tout comme dans certains pays de la région LAC. Le Québec est bien doté en ressources minières (or, cuivre, fer, zinc, diamant etc.) et, avec l’essor des prix de ces métaux sur le marché mondial, on assiste à une sorte de « boum minier » qui est amplifié avec la publicité octroyée au « Plan Nord » promu par le gouvernement Charest depuis un an. Dans le domaine de l’énergie et des ressources naturelles, la politique du gouvernement Charest est mitigée. D’un côté, elle est plus sensible que celle du gouvernement Harper à la nécessité de prendre en compte certaines normes environnementales et écologiques. De l’autre côté, la politique du gouvernement Charest demeure très « libérale productiviste », pour reprendre l’expression de l’économiste écologiste Alain Lipietz. C’est ce qui ressort dans le fameux Plan Nord que le Premier ministre Charest s’est employé depuis un an à vendre sur tous les toits, à l’extérieur comme à l’intérieur du Québec, en faisant miroiter la création de 20 000 emplois et des investissements privés et publics de 80 milliards $ en 25 ans.
En somme, dans le domaine de l’énergie et du développement des ressources naturelles, les politiques du gouvernement Charest au Québec, conjuguées avec celles du gouvernement Harper au Canada, suscitent de vives inquiétudes parce qu’elles risquent de générer des retombées négatives sur le plan social et environnemental. Ces retombées vécues dans le passé et appréhendées pour l’avenir ont attisé dans la société civile québécoise, ces dernières années, la montée d’une forte prise de conscience écologique. Elles ont entraîné un essor des groupes écologiques et de leur participation aux débats publics sur le développement soutenable dans l’ensemble du Canada et au Québec en particulier.
Certes, la montée de la prise de conscience environnementale ne se mesure pas uniquement à partir de l’augmentation du nombre des groupes écologiques. Elle se mesure aussi à l’accroissement de son influence dans une diversité de groupes socioéconomiques et socioculturels progressistes qui deviennent de plus en plus sensibilisés à l’importance de ces enjeux. C’est ce qui se passe dans les organisations syndicales, féministes, autochtones, étudiantes, paysannes, altermondialistes, culturelles, religieuses etc., de même que dans des groupes de recherche et d’information en économie alternative comme l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et le Blogue Oikos par exemple. Pas surprenant alors que la centralité de la question écologique soit prise aussi en compte dans les programmes d’activités de regroupements d’acteurs de la coopération internationale comme l’Association québécoise d’organismes de coopération internationale (AQOCI) et d’acteurs de l’ESS comme Le Chantier de l’économie sociale, le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ), le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), etc. Pas surprenant enfin que cette centralité ait des retombées dans les programmes et discours des partis politiques progressistes tels le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti vert.
Les impacts de cette conjoncture est de deux ordres. Premièrement, cette prise de conscience a fait émerger une réouverture d’un débat dans la société civile et dans le gouvernement sur le contenu d’une politique nationale des ressources (redevances minières, contrôle national, réglementation environnementale, etc.). Deuxièmement, la montée de la conscience et de mobilisation a entraîné une certaine judiciarisation des luttes concernant les enjeux environnementaux. À cet égard, il suffira de rappeler les deux poursuites-baillon totalisant 11 millions $ intentées par Banro Corporation et Barrick Gold contre les auteurs et l’éditeur du livre Noir Canada.
Voilà la toile de fonds sur laquelle se déroule la démarche québécoise qui vise à la fois à préparer la participation à Rio+20 et à utiliser cette préparation pour faire avancer la réflexion et l’action concernant la contribution de l’ESS dans la recherche de solutions à la crise économique et écologique.
Dans mon prochain billet, la dynamique québécoise vers Rio+20.