La médaille du courage doit être décernée aux orateurs qui s’exprimaient encore dans la séance nocturne de jeudi devant quelques délégués présents pour une seule et unique raison : ils devaient encore attendre pour délivrer leur message national. Le tout ponctué par le « délégué inconnu » qui s’est exprimé en dernier vers minuit devant les seuls membres de sa délégation accablés d’ennui et de fatigue d’avoir fait un si long voyage inutile depuis leur île-Etat.
Cette litanie de déclarations inutiles qui ne pouvaient plus changer le fade contenu de la déclaration finale de 60 pages, adoptée sans enthousiasme après avoir été « fermée » depuis plusieurs jours à tout amendement par le gouvernement brésilien, résume parfaitement la tonalité d’une conférence qui n’a rien résolu des malheurs écologiques de la planète parce qu’il ne fallait braquer personne. Vendredi soir, de nombreux délégués avouaient leurs déceptions et leurs frustrations en traînant leurs valises à roulettes dans les couloirs du Rio Centro. En oubliant que beaucoup d’entre eux sont responsables, à des degrés divers et au nom de leurs pays, de cet échec.
Certes, l’économie verte a été remise in extremis à sa juste place, certes le Programme des Nations unies pour l’environnement sera renforcé (un jour...) ; et évidemment, l’écrire ne coûte rien, le rapport final affirmant vouloir lutter contre la pauvreté, pour l’eau et l’assainissement accessible à tout le monde ; bien sûr, la question sociale est évoquée et les objectifs de développement durable ont été précisés et... confiés à un groupe de travail. Mais le bilan des avancées ou des reculs par rapport à la première conférence de Rio de 1992 n’a pas été fait, parce qu’il pouvait fâcher.
Notamment sur la question de la biodiversité, passée à la trappe. Et les « financements innovants », donc les moyens financiers pour aider au développement et à la défense de l’environnement, sont remis à plus tard, à une autre conférence peut-être. La montagne onusienne a accouché d’une souris qui n’est même pas verte ; aboutissant à ce que la députée européenne des Verts, Sandrine Bélier, a appelé un « sommet de la déception ». Un sommet pendant lequel les négociateurs, évidemment mandatés pour un service minimum, se sont payés de mots comme, par exemple, dans le paragraphe dix du document final qui mérite le détour tant il exprime et symbolise la vacuité du texte adopté.
« Nous reconnaissons que la démocratie, la bonne gouvernance et l’Etat de droit, au niveau national et au niveau international, ainsi qu’un environnement favorable, sont des conditions sine qua non du développement durable, notamment d’une croissance économique durable et profitant à tous, du développement social, de la protection de l’environnement et de l’élimination de la faim et de la pauvreté. Nous réaffirmons que pour atteindre nos objectifs en matière de développement durable, nous devons nous donner, à tous les échelons, des institutions efficaces, transparentes, responsables et démocratiques. »
Le « développement durable », un « mot miraculeux »
L’expression « développement durable » le mot-valise dont les délégués et diplomates usent et abusent, repris tel quel par les négociateurs, masque un triste déni de la réalité. Même si tous peinent malgré tout à en expliquer le sens et la portée. Cela n’empêche pas ce « mot miraculeux » de ponctuer la déclaration adoptée de façon incantatoire, comme un refrain que l’on reprend machinalement. Il apparaît à peu près une dizaine de fois par page, accommodé à tous les sens et situations possibles ou imaginables.
Une sorte de gimmick diplomatique masquant plus ou moins habilement les mots nature, pollution, biodiversité ou ressources naturelles. Car si la question climatique est rapidement abordée, elle l’est aussi sous le déguisement du développement durable et les négociateurs, dont le travail aurait pu aboutir à faire l’économie du déplacement d’une cinquantaine de milliers de personnes, n’ont même pas réussi à donner un statut aux réfugiés climatiques qui, dans le fond, n’existent toujours pas pour la communauté internationale.
Il faut être aveugle, sourd ou définitivement persuadé que les égoïsmes nationaux doivent triompher pour trouver un quelconque intérêt au texte adopté dans la résignation par de nombreux pays et la jubilation pour certaines autres nations, comme les Etats-Unis, le Canada, la Chine ou la Russie. Ces pays, en instrumentalisant les pays les plus pauvres, ont finalement obtenu que les questions environnementales, du climat à la préservation de la biodiversité au sens le plus large du terme, passent à la trappe. Ce qui ne peut que conforter les opinions publiques et le monde industriel dans la croyance rassurante qu’il n’y a pas vraiment péril et que le sauvetage collectif de la planète peut attendre.
Le sommet de Rio marque une victoire de la diplomatie prudente et éloignée des réalités humaines et écologistes sur les environnementalistes. Ce n’est pas un échec puisque les nations occidentales, avec la complicité active du Brésil, n’ont jamais essayé, ni probablement jamais eu l’intention, de réussir la quatrième conférence mondiale sur l’environnement organisée depuis le début des années 1970.