Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Rio+20

David Suzuki à propos de Rio+20, de l'"économie verte", de la survie de la planète et plus...

Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr,

D.N. Introduction,

Le Sommet de la terre Rio+20, la plus grande des conférences que les Nations-Unies ait jamais tenue, se termine par une déception. Le scientifique environnementaliste et homme de télévision canadien David Suziki nous a rejoint. Il est depuis longtemps l’animateur de l’émission ‘Nature of Things’ sur les ondes de la télévision canadienne, CBC. Cette émission est rediffusée dans quarante pays. D. Suzuki a informé des millions de gens à propos de la richesse de la biodiversité sur la planète et des menaces que font peser sur elle le réchauffement de l’atmosphère à cause des interventions humaines. En 1990, il a créé la Fondation Suzuki qui se concentre sur l’écologie et il a reçu le prix du Right Livelihood. Aujourd’hui il nous parlera de la crise du climat et des protestations des étudiantEs au Québec. (…)

Amy Goodman  : Il y a peu de succès dont on puisse parler à la fin de la conférence des Nations-Unies sur le développement durable appelée Rio+20. Les négociateurs ont rendu publique une entente qui fixe de nouveaux buts pour le développement et prépare les paramètres pour de futures discussions. Beaucoup de groupes qui, sur les problèmes entre l’environnement et la pauvreté, ont critiqué la faiblesse de cette entente. Greenpeace a parlé d’un échec historique. Des politiciens comme Nick Clegg de Grande Bretagne l’a traitée d’insipide. Et certainEs manifestantEs ont protesté en déchirant le texte et en la renommant
« Rio moins 20 ». (…)
J’ai commencé par demander à David Suzuki si quelque chose avait changé depuis que sa fille Severn a prononcé son discours il y a 20 ans, (en 1992 lors de la première conférence des N.U. sur le climat).

David Suzuki  : Absolument pas. Nous avons reculé. Surtout si on se place du point de vue de mon pays, le Canada. En 1992 il avait joué un rôle de chef de file. Cette année on n’a parlé du Canada que pour le qualifier de trainard. Nous sommes des hors la loi dans le monde, un pays renégat.

Mais le plus important, c’est que la science nous dit que la planète est dans un état désastreux. Et la difficulté c’est que ce genre de rencontre qui est destinée à échouer, parce que nous nous voyons au centre de tout et que ce sont nos politiques et nous priorités économiques qui doivent tout dominer. Si nous n’arrivons pas ensemble a nous dire : « commençons par nous entendre sur le fait que nous sommes des créatures biologiques et que si nous manquons d’air pendant plus de trois ou quatre minutes, nous allons mourir ; que si nous ne pouvons pas respirer un air propre, nous serons malades ». Alors il est clair que l’air, l’atmosphère qui nous donne les saisons, l’eau, le climat doit être notre priorité absolue. Avant toute autre politique, avant l’économie, cela doit être au premier rang de nos préoccupations.

Mais nous nous retrouvons dans de grands rassemblements, comme ce que j’ai vu à Copenhague il y a deux ans, de grands rassemblements de pays qui tentent de négocier quelque chose qui n’appartient à personne. Nous le faisons à travers toutes les barrières politiques et toutes les priorités économiques et nous tentons de faire rentrer la nature dans notre ordre du jour. Ça ne marche pas ! Le genre de rencontre dans laquelle je suis en ce moment est voué à l’échec parce que nous n’avons pas laissé nos intérêts ordinaires à la porte et décidé ensemble de nous considérer comme partie d’une seule espèce et que les besoins fondamentaux sont ceux de toute l’humanité. Alors nous allons sacrifier l’air, l’eau, la biodiversité, au nom de nos intérêts politiques et économiques immédiats. Une vraie condamnation.

A.G. : David Suzuki, en 2008 vous avez interpelé les étudiantEs de l’Université McGill pour qu’ils et elles dénoncent les politicienNEs qui n’agissent pas en faveur du climat. Vous leur avez dit : « Je vous mets au défi de mettre tous les efforts nécessaires pour voir s’il n’y a pas des voix légales pour envoyer en prison beaucoup de nos soit disant dirigeantEs, parce que ce qu’ils font en ce moment (à l’égard de la crise du climat), est criminel ». Est-ce que vous maintenez ce point de vue ? Et quels sont exactement les crimes commis ?

D.S.  : Absolument ! Absolument ! (…) on peut accuser des gens qui se retrouvent sur une scène de crime où quelqu’unE a été assinéE. Mais vous pouvez aussi être poursuiviE pour négligence criminelle si vous étiez en position de faire quelque chose pour empêcher ce qui c’est passé. Si quelque chose se passe, dont vous avez connaissance et que vous l’ignorez délibérément, cela s’appelle ‘l’aveuglement volontaire’. C’est une notion juridique utilisée dans les cours de justice. Et je pense que nous devons trouver des mécanismes pour juger ces gens et pour les obliger à répondre de leurs actes face aux générations futures. On arrive ici vingt plus tard. Combien des dirigeantEs politiques qui y étaient à l’époque sont de retour ?
Très, très peu. Alors ceux et celles qui arrivent font de beaux discours : « Oh ! Oui ces problèmes nous importent. Nous allons faire quelque chose ». Et personne ne les en tient responsables. Ils et elles quitteront leurs postes, et s’arrangeront pour devenir milliardaires ou quoique ce soit d’autres. Mais qui sera tenu responsable pour le manque d’actions conséquentes ?

A.G. : Democracy Now est allé à Durban pour la conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques en décembre dernier. J’ai parlé à Marc Morano qui a publié « Climate Depot » sur un site internet opéré par un groupe qui nie les problèmes climatiques, le Committee for a Constructive Tomorrow. Je lui ai demandé comment il évaluait les résultats du Président Obama à ce sujet.

Marc Morano. : Son surnom est « George W. Obama ». Son administration a gardé intacts les principes et les cadres de négociations de G.W.Bush au cours de ses huit années de présidence. Obama a poursuivi les politiques de son prédécesseur. Alors, à titre de septiques, nous tirons notre chapeau à ce président qui aide à mettre à bas et défaire totalement le processus onusien. Il a été un ami des sceptiques quant aux problèmes climatiques dans ces conférences. Pour nous, il nous cause des problèmes quand il passe par les règlements de l’ Environnement Protection Agency pour agir sur ces questions ; c’est une grave menace. Mais pour ce qui concerne le reste il aurait pu faire mieux que son manque d’intérêt envers le projet de loi du Congrès sur le climat et sur le protocole de Kyoto. Alors, (de notre point de vue), bon travail M. le Président !

A.G. : (…) David Suzuki, est-ce que vous partagez cette opinion ?

D.S.  : Voyez-vous, l’arrivée de B. Obama à la présidence a été vue comme l’arrivée d’une marée de changements dans la politique américaine. Malheureusement il est tenu en otage. Il a fait quelques nominations très importantes et spectaculaires à son arrivée en fonction ; il a nommé des scientifiques de très haut niveau à la National Ocean Administration Agency et à la tête du département de l’énergie. C’étaient des changements notoires. Vous vous rendez compte : un gagnant d’un prix Nobel nommé ministre (…) ou secrétaire de l’énergie ? C’est tout un changement.

La réalité toutefois, c’est qu’il est tenu en otage par un Congrès qui ne fonctionne plus du tout. Et il est l’otage des intérêts des compagnies qui restent une préoccupation des politicienNEs, même si la base populaire les appuie sans hésitation. Les compagnies brandissent une énorme épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos éluEs ; elles déterminent la marche des choses. C’est le système économique qui conduit les forces qui détruisent la planète, et maintenant, ce sont les compagnies qui indiquent la direction à suivre : elles déterminent la marche des choses. Je ne crois pas que M. Obama soit comme M. Bush, certainement pas. Mais il est l’otage du même système que celui dans lequel M. Bush agissait.

A.G.  : Je veux que vous nous parliez (…) de l’oléoduc canadien KeystoneXL. Il y a tout juste deux mois, le Président Obama a refusé le projet après des protestations massives. Il y a eu 1,200 personnes arrêtées près de la Maison Blanche l’été dernier. Maintenant il autorise la compagnie TransCanada à construire la partie sud de l’oléoduc, de l’Oklahoma au Texas. Dans sa présentation, il a signalé que son administration avait autorisé suffisamment de construction d’oléoducs pour encercler la terre.

(…) TransCanada a refait une demande pour pouvoir construire les 1,200 milles entre l’Alberta, au Canada, et Steel City au Nebraska. (Il y a quelques jours), le Département d’État a annoncé qu’il allait procéder à une analyse environnementale du projet. Parlez-nous du sens de ce projet, du rôle des militantEs dans l’arrêt des travaux qui a provoqué des réactions très négatives envers M. Obama. Les RépublicainEs au Congrès le lui ont reproché et ont déclaré qu’ils et elles allaient y adopter une loi à ce sujet parce que le président, en temps de récession économique, empêchait les gens d’avoir accès à des emplois. David Suzuki, que dites-vous de l’opposition emplois-environnement ?

D.S.  : C’est une dichotomie qui est constamment soulevée. Les véritables opportunités d’emplois qui seraient développées si on faisait autrement, n’ont pas été examinées. La déclaration du président montre qu’il est prisonnier de l’industrie pétrolière comme la plupart des gouvernements de la planète. Il y avait une chance d’offrir au peuple américain une véritable source d’emplois : le développement des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique qui nous aurait détachéEs de notre dépendance au pétrole qui tire à sa fin. On a recours à des sources de plus en plus extrêmes d’énergie. Nous sommes au moment où il faut développer d’autres possibilités, de prendre d’autres avenues.

Je reviens tout juste du Japon où est survenu un désastre immense qui est devenu une opportunité. Ils ont mis à l’arrêt toutes les centrales nucléaires, les 54 qu’ils opéraient. Ils ont une véritable occasion de changer de manière de faire. La population a diminué sa consommation de 25% immédiatement après l’accident de Fukushima. Ils ont démontré qu’il y avait là une chance sans précédent. Mais le gouvernement veut rouvrir ces centrales. Cela montre que les industries nucléaire et pétrolière détiennent un pouvoir énorme sur nos éluEs et que c’est à la société civile d’agir.

(…) Je crois qu’aux Etats-Unis, vous avez un problème particulier à cause de l’importance du financement des partis politiques (par les compagnies, n.d.t.) qui vous poussent constamment vers l’arrière. Le Tea Party et ses semblables empêchent la société civile de vraiment contribuer au développement. Je pense que nous sommes vraiment dans de grandes difficultés quand un scientifique britannique de haut niveau comme Sir Martin Rees, Royal Astronomer, nous dit (…) que le risque que la planète s’éteigne à la fin de ce siècle est de 50/50. Cinquante possibilités sur cinquante que l’espèce humaine évite l’extinction ? (…) Cela veut dire qu’il nous faut passer en mode « crise » et sortir de tous les discours que tient l’industrie pétrolière et nucléaire et entreprendre un véritable virage vers un développement durable.

A.G.  : (Le président français Hollande parle de développer les « industries vertes ») Croyez-vous que cela puisse faire contrepoids aux industries et aux sceptiques des changements climatiques ?

D.S.  : L’économie verte ne va que donner une occasion de plus aux compagnies de changer de production. Exxon en est un exemple. Cette compagnie qui a dépensé des millions de dollars pour nier les changements climatiques, pour refuser toute responsabilité pour y faire face, qui encaisse des masses de subventions gouvernementales publie maintenant des annonces qui disent : « Nous voulons un avenir propre. Nous sommes à la recherche d’énergies propres », etc. Bien sûr, l’énergie verte vise à plus d’efficacité, à être moins polluante et moins dévoreuse d’énergie, mais c’est toujours un système basé sur la nécessité d’aller de l’avant et d’être dans la croissance. La vraie économie doit se mettre en liens positifs avec notre biosphère qui assure notre survie. Je pense que beaucoup voient l’« économie verte » simplement comme une autre manière de permettre aux entreprises de poursuivre leurs pratiques et à continuer leur développement propre.

Nous devons changer notre économie ; nous devons faire ce que nous avons fait en 1944 quand les gouvernements se sont réunis à Bretten Woods au Maine et ont déclaré : « Nous devons nous donner un système économique compatible avec l’ère post-guerre ». Ils ont inventé et établit le GATT, le General Agreement on Tariffs and Trade. Ils ont créé la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Ils ont lié les monnaies du monde au billet vert. Il est temps que nous ayons un Bretton Woods 2. On ne peut pas changer la nature mais on peut changer nos inventions comme nos entreprises et notre système économique. Ils doivent changer. Alors, « verdir » l’économie alors que le système est complètement destructeur parce qu’il est basé sur l’exploitation des ressources ; cela ne peut pas durer et croitre éternellement. Il faut dépasser cela puisque ça ne marche pas.

A.G.  : David Suzuki, je voudrais que vous nous parliez de l’immense mouvement de protestation des étudiantEs de la province de Québec. Dans un récent billet vous avez écrit : « Les gouvernements à travers le Canada n’en finissent plus d’investir des montants énormes dans l’exploitation des ‘richesses naturelles’. Ils ne se rendent pas compte que notre richesse la plus précieuse sont nos enfants ». Aux États-Unis, on a peu écrit et fait peu de reportages sur cette grêve, la plus importante au Canada. Dites-nous ce qui arrive.

D.S. : Québec est société très, très différente et je suis très fier qu’il soit encore dans le Canada. On y trouve une grande différence de valeurs par exemple envers l’environnement. Le Jour de la terre, il y avait 300,000 personnes dans les rues de Montréal. Il y a eu 100,000 personnes pour s’objecter à la hausse des droits de scolarité. La presse anglophone du Canada les a qualifiéEs d’ : « enfants gâtéEs qui ne se rendent pas compte qu’ils et elles paient les droits les moins chers au Canada et qui s’objectent à une augmentation de quelques centaines de dollars ». Non, il ne s’agit pas de cela. Leur modèle vient de pays comme ceux de la Scandinavie et même de la France où les jeunes sont considéréEs comme le bien le plus précieux, où on les soutient, où l’université est gratuite s’ils et elles atteignent un certain niveau. Le soutient existe à travers tout le système et c’est ce que les QuébécoisEs tentent de nous dire. Mais on les décrit comme des enfants gâtéEs qui ne veulent rien dépenser. Je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. Mais, le premier ministre Charest, qui est plutôt progressiste (Oups ! n.d.t.) dans certains domaines, par exemple en environnement (re-oups !) a introduit une loi sévère, drastique pour se défaire de ce genre de dissidence publique. C’est qui incite encore plus de jeunes à descendre dans les rues pour dire : « Nous ne sommes plus dans une société civilisée quand vous nous interdisez de la sorte ». Je pense que ce qui intervient dans cette protestation étudiante, c’est un très profond questionnement à propos des valeurs qui nous importent dans notre société.

A.G.  : David Suzuki, (…) pouvez-nous nous parler des expériences et des découvertes qui ont eu le plus d’influence sur vous ? (…) on parle si peu des changements climatiques, alors que la météo est de plus en plus présente sur nos canaux de télé. On y parle de « température extrême », de « température sévère », mais rarement de « réchauffement global ». Pouvez-vous nous parler des enjeux les plus importants à comprendre puisqu’il que le débat existe aux Etats-Unis ? Quant on connait les sommes énormes que les compagnies pétrolières donnent aux groupes qui nient le réchauffement planétaire et que le débat porte même sur l’existence du problème.

D.S.  : Cela m’étonne passablement. Je vous rappelle qu’en (…) 1988, un président américain a déclaré : « Si vous votez pour moi, je vous promets que je serai un président attaché à l’environnement ». C’était G.W. Bush. Il n’avait pas de sang vert dans les veines mais la population avait placé l’environnement au sommet des préoccupations. Il était acculé à parler de la sorte. Et plusieurs disent qu’il est allé à Rio en 1992 pour être validé dans ce champ. Mais il n’allait pas y aller pour entériner ce qui y était proposé soit une réduction des gaz à effet de serre de 20% en 15 ans. Il n’a pas confirmé sa participation tant que cet objectif n’a pas été diminué sensiblement : la stabilisation au niveau des paramètres de 1990 en 2000. Mais il y est allé parce que les préoccupations de la population pour l’environnement l’y ont obligé.

Mais depuis, nous sommes en récession. Je pense qu’on à pas pris conscience du rôle de gens comme les frères Koch, les groupes de réflexion de droite comme Competitive Enterprise Institute, le Heartland Institute, l’Heritage Institute qui font tous pression pour une politique de droite basée sur les industries d’énergies fossiles et sur la classe riche. Ils nient la réalité du réchauffement climatique et minent la crédibilité scientifique à ce sujet.

La parution du 7 juillet courant de la revue Nature est faite d’articles de scientifiques qui ont examiné les écosystèmes de la planète. Nous sommes en grand danger. Nous faisons face à une crise ultime. Mais des pays comme le Canada et les Etats-Unis, qui sont dotés d’immenses richesses naturelles peuvent continuer comme si de rien n’était avec l’idée magique que tout va bien. Nous ne sommes pas confrontéEs aux dures échéances comme d’autres pays, ceux d’Europe par exemple. Ils ne possèdent pas toutes les richesses naturelles qui sont les nôtres. Alors ils sont plus conscients et militent pour des changements. Mais nous sommes convaincuEs que l’économie actuelle est la seule chose qui compte et que nous devons nous y accrocher quel qu’en soit le prix. En fait c’est au prix (de la qualité de vie) de nos enfants et petits enfants.

(…)

A.G.  : Alors David, à propos de votre petit fils, si vous en aviez la responsabilité et que vous deviez accomplir quelque chose, impérativement en ce moment, quelles seraient les étapes les plus urgentes pour vous ?

D.S.  : Alors ce dont on entend le plus parler c’est d’un changement de paradigme. C’est devenu un cliché. Mais je suis absolument convaincu que c’est un changement critique ; tout ce qu’on dit et fait en ce moment ne donnera rien à moins que l’on change notre façon de voir le monde. Voyez-vous, nos croyances et nos valeurs déterminent la façon dont nous voyons notre monde et la manière dont nous le traitons. Si nous croyons que nous sommes ici par la grâce de Dieu, c’est-à-dire, si nous croyons à la création et que cela nous donne un droit d’aller partout, d’occuper toute la place, de dominer et d’exploiter, alors nous allons le faire. Nous sommes dans ce paradigme. Nous vivons sur la base que tout nous appartient et est à notre disposition.

Nous devons changer de point de vue et comprendre que nous sommes une partie du vaste réseau des espèces, que nous sommes dans la biosphère, dans la zone de l’air, de l’eau et du sol où toutes les formes de vies existent. Cela occupe une toute petite couche autour de la planète. Carl Sagan nous a dit déjà, que si on réduisait la terre à la grosseur d’un ballon de basketball, la biosphère, la couche d’air, d’eau et de sol où toute la vie est concentrée représenterait l’épaisseur d’un film plastique, point à la ligne. C’est notre lieu de vie, le lieu de vie de 10 à 30 millions d’autres espèces qui rendent la planète habitable. Et si nous n’arrivons pas à comprendre que nous sommes intimement liéEs au monde naturel et que nous en dépendons ; que nous ne dépendons pas de la technologie, de l’économie, pas de la science, mais bien de Mère nature, nous allons mal vivre et même ne survivrons pas. Si nous n’arrivons pas à intégrer cela, les priorités actuelles vont continuer à nous coller à l’organisation humaine, comme les frontières, les économies, les entreprises et les marchés. Que des constructions humaines. Elles ne devraient pas dominer nos modes de vie. La biosphère devrait jouer ce rôle.

Et nos leaders devraient être les peuples indigènes qui ont encore cette sensibilité ; que la terre est la mère qui nous donne la vie. On ne traite pas sa mère comme on traite la planète ou la biosphère de nos jours. Si nous n’accomplissons pas de changement fondamental nous allons pouvoir continuer à radoter : « Ah ! Nous devons être plus efficaces. Nous devons développer l’économie verte, etc.etc. ». Mais nous n’aurons toujours pas modifié notre rapport à la biosphère.

A.G. : Quelles sont les conditions pour que cela se passe ?

D.S.  : Je pense qu’il faut tout réévaluer. Nous devons, pour commencer, comprendre la notion fondamentale que nous faisons parti du règne animal. Et croyez moi, j’ai avancé cette idée aux Etats-Unis et les gens ne veulent rien en savoir et me sifflent quand je dis aux enfants : « N’oubliez pas que nous sommes des animaux » ! Ils me disent de ne pas parler ainsi à leurs enfants, qu’ils et elles ne sont pas des animaux mais des êtres humains. Nous ne voulons même pas accepter notre nature biologique. Et donc, nos besoins élémentaires et fondamentaux pour survivre et vivre correctement, sont un air propre, de l’eau propre, un sol propre qui peut nous nourrir et l’énergie solaire que les plantes utilisent pour fabriquer la photosynthèse. Nous en dépendons totalement. Comment pourrions-nous nous prétendre intelligentEs alors que nous utilisons l’air, l’eau et le sol comme une poubelle en y laissant nos déchets dont les plus toxiques jamais produits, comme si cela était sans conséquence ? À partir du moment où vous admettez que vous êtes un être biologique, votre priorité absolue devient claire. Nous devons cesser de laisser quoique ce soit produit par les humainEs dans notre environnement tant que nous n’aurons pas développé des moyens de les recycler et d’imiter la nature dans la production et la dégradation de ces biens.

Et nous devons reconnaitre que nous sommes des créatures sociobiologiques. Et à titre d’animal social quel est notre besoin le plus fondamental ? J’ai été très étonné d’apprendre, quand j’ai commencé à lire les études scientifiques à sujet, que ce besoin est l’amour. Pour qu’ils se développent complètement comme êtres humains, les enfants doivent être aiméEs à des moments critiques. Les enfants qui grandissent dans des zones de guerre, en période de génocide ou de terrorisme, privéEs d’amour, sont profondément handicapéEs physiquement et psychiquement. Cela nous oblige à développer des familles solides et des communautés aidantes. Que nous devons atteindre le plein emploi. Nous avons besoin d’équité et de justice. Nous devons d’éliminer les guerres, la terreur et les génocides. Ce sont mes enjeux ; si vous n’avez pas cela, vous ne pouvez pas vivre dans un environnement qui vous supporte et qui dure. La faim et la pauvreté sont mes enjeux parce qu’une personne affamée va essayer de se nourrir de plantes et d’animaux qu’elle va mettre en danger. En pareilles circonstances c’est ce que je ferais et vous aussi, sans doute. Il faut donc faire face à ces enjeux.

Et nous sommes aussi des êtres spirituels. Cela nous oblige à comprendre que nous sommes une partie de la nature, que nous en sommes issuEs et que nous allons y retourner quand nous allons mourir ; qu’il existe des forces que nous ne comprendrons jamais et ne contrôlerons jamais non plus. Nous avons besoin de lieux sacrés. Pour moi, c’est la base sur laquelle nous devons construire notre mode de vie. À ce moment-là, la question à se poser est de savoir quel genre d’économie il faut développer pour combler ces besoins. Comment allons-nous développer un mode de vie, à titre d’espèce, qui protège ces valeurs ? Si nous n’identifions pas ces besoins comme des besoins primaires nous jouons avec le feu et nous ne sommes pas sérieux-euses quant à l’instauration d’un avenir durable.

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