Édition du 17 décembre 2024

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République : un livre de photographie d'art

13 novembre 2016… Un an déjà, c’est le triste premier anniversaire de cette nuit tragique et la France peine encore à panser ses blessures. Suite aux attentats qui nous marquent encore, j’ai créé un livre photographie intitulé République. Ce projet a été réalisé dans le cadre d’une résidence d’artiste à Paris et à Beauvais, à Diaphane Pôle photographique en Picardie, en partenariat avec Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie. Il s’agit de mon premier livre photographie et aussi du premier ouvrage des Éditions Escuminac, une nouvelle maison d’édition québécoise, mise sur pied en 2016 par les Rencontres.

Arrivée en France depuis peu, je suis à Paris dans le Xème arrondissement lorsque que les événements du vendredi 13 novembre 2015 éclatent. La population est pétrifiée, paralysée. Ce ne sont pas les premiers attentats qu’elle subit, mais cette fois, c’est la nation qui se sent attaquée. Les réactions sont épidermiques, le patriotisme est exacerbé… Quelque chose va changer, entend-on, la France ne sera plus comme avant... On craint une radicalisation droitière de la population. En mission photographique à Beauvais, je m’intéresse aux contrecoups de ces attentats. J’observe les réactions, j’écoute les conversations, je photographie ce que je vois, souvent à la dérobée.

Revenant sur Paris régulièrement, je retourne place de la République et au Bataclan, mais je me promène aussi ailleurs, pour sonder la ville et ses habitants. Je vais notamment au marché de Noël à La Défense, foire commerciale qui attire les foules, mais que l’on autorise néanmoins, contrairement aux manifestations populaires, devenues interdites. Au passage, dans le métro, je croise un jeune homme et une femme sans domicile fixe ; ils me racontent comment les policiers en profitent maintenant pour s’acharner sur eux, sans raison apparente. Ils sont d’une gentillesse incroyable, je discute avec eux un bon moment, ils me parlent de leurs enfances difficiles dans les banlieues parisiennes. Je me rends aussi à Vincennes, au Centre de recrutement des armées, qui reçoit un afflux de candidatures massif depuis les événements. Le territoire est maintenant sous haute surveillance, on renforce la sécurité, on fouille les sacs, fait ouvrir les blousons, contrôle les cartes d’identités, réprime la dissidence, intensifie les frappes sur la Syrie... La France a peur, peur de l’autre qui la traque, mais qui est cet autre au juste ? J’essaie de comprendre d’où cela vient. Avons-nous peur de réaliser que cela vient aussi de nous ?

La nuit est douce pour novembre, mais Paris est vide. La brise agréable qui enveloppe la ville contraste étrangement avec le climat de stupeur qui y règne. Les terrasses des cafés sont désertes, personne n’ose sortir, les barrages policiers sont nombreux : c’est l’état d’urgence. Il est difficile de penser à autre chose, de parler d’autre chose. Boulevard Voltaire, les gens se rassemblent près du Bataclan. La Place de la République devient une sorte d’agora où les citoyens discutent et circulent avec des affiches. On est sous le choc, attristé, en colère, on émet des hypothèses, on tente d’expliquer. Les événements semblent recréer du lien social qui fait si cruellement défaut à nos sociétés. Ces rassemblements solidaires sont aussi rapidement envahis par les médias, les touristes et les commerçants.

Le Monument à la République se transforme en un mémorial improvisé. Je le photographie à chaque jour. Il n’est jamais tout à fait le même : il se fait et se défait au fil des ajouts de fleurs et de témoignages nouveaux. Photographies, dessins et affichettes y sont déposés quotidiennement. La pluie les altère, déforme les images, les rend floues, efface des mots, diffuse l’encre ou la fait couler au sol. Elle leur confère ainsi une nouvelle apparence, souvent plus poignante que l’originale et qui semble meurtrie.

Cherchant à comprendre comment les gens réagissent aux attentats, je note un recours à l’imagerie républicaine, mais qui sont les ennemis de la République au juste ? Des terroristes nés en France... Lorsque les forces de l’ordre les ont enfin maîtrisés, maîtrisons-nous pour autant tout ce qui se joue derrière ? Qui récupère l’histoire et présente une vision manichéenne du monde pour mieux défendre ses intérêts politiques et économiques ? « Trop facile et trop simple de diviser le monde en deux », nous disait Godard dans le documentaire Ici et ailleurs (1974). Au XIXe siècle, la France revendiquait l’universalisme de ses principes révolutionnaires en les exportant par la guerre ; son histoire fut marquée par cette violence politique. Le terrorisme n’est pas un fait nouveau en cette nation ; le terme est plutôt ambigu et il s’accorde avec la vision du gouvernement en place. Dans un très beau texte publié au lendemain des attentats (1), le journaliste Mohamed Lotfi écrivait : « Les mêmes responsables politiques qui nous invitent à éviter l’amalgame entre islam et islamisme, avec raison, détournent notre attention de la complicité entre djihadiste et impérialisme », nous rappelant ensuite que : « Comme à chaque horreur, les pouvoirs politiques, médiatiques, militaires et sécuritaires entretiennent la diversion » La capacité à frapper fera toujours plus de victimes, dans un camp comme dans l’autre, et tuera surtout des civils. À qui profite le cycle de la violence ? Quels sont les rouages des guerres contemporaines et quels sont leurs enjeux réels ? Le 4 mars 2016, le président François Hollande remettra la Légion d’honneur au prince héritier d’Arabie Saoudite. Reçu à l’Élysée, Mohammed ben Nayef Al Saoud se verra octroyer la plus haute distinction française pour ses efforts déployés au nom de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme... La Saoudie est pourtant une dictature des plus meurtrières.

L’histoire se répète... Je songe à Quatre-vingt-treize, œuvre sombre de Victor Hugo ayant pour cadre la Terreur, une période caractérisée par l’autoritarisme du gouvernement pendant la Révolution française. Le 17 septembre 1793 est votée la Loi des suspects, elle marque un net affaiblissement du respect des libertés individuelles. Aujourd’hui, on impose à nouveau ces sévérités nécessaires... N’importe qui peut être suspecté, fouillé et une population qui a peur accepte ces mesures plus facilement. Comment réagir à la terreur alors ? La peur fige les sociétés, divise et emporte le raisonnement ; l’effroi légitime passé, il faut réfléchir ensemble pour la dépasser. « Beaujolais, saucisson et Spinoza pour tout le monde », nous propose un témoignage. « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre », écrivait Spinoza.

1) Mohamed Lotfi, « L’obscurantisme à deux têtes », blogue Vol de temps, mensuel Voir, Montréal, 14 novembre 2015.

Isabelle Hayeur

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