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Réponse à Hugo Séguin

André Bélisle a été le fondateur de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Il réplique ici aux propos de Hugo Séguin, qui le prend à partie dans son livre « Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent », publié chez Écosociété.

16 avril 2022 | pivot.quebec

À en croire Hugo Séguin, au Québec et au Canada, l’incapacité du mouvement environnemental à conjurer la catastrophe climatique s’explique par l’absence de collaboration et d’écoute entre les écologistes radicaux et les environnementalistes institutionnels. Son message est exprimé dans le titre de son livre, « Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent ». Ces deux clans seraient fautifs. D’un côté, les « écolos » radicaux et impatients (comme moi) ; de l’autre, les environnementalistes plus mainstream (comme Steven Guilbeault). Au centre de ce conflit stérile, il faut croire qu’il se trouve un homme avisé, un sage qui appelle chaque camp à collaborer : le relationniste Hugo Séguin.

Pour prouver son objectivité, Séguin frappe à gauche (les écolos impatients) et à droite (ceux qui n’écoutent pas les premiers). Chemin faisant, il attaque ma réputation et ma crédibilité, passe sous silence ses compromissions et glorifie son ami Guilbeault.

Il s’attarde sur un épisode qui me concerne directement. La scène se déroule dans un hôtel de Québec en juin 2006. Jean Charest était premier ministre ; Claude Béchard, ministre de l’Environnement. Séguin écrit qu’à cette occasion, des fonctionnaires du ministère présentaient « le premier plan québécois de lutte contre les changements climatiques ». Une fois la présentation terminée, ajoute-t-il, j’aurais « éclaté de colère » devant ce plan « pleins de trous » et « rentré dans le mur les fonctionnaires tétanisés ». « Gros malaise dans la salle. André va se rasseoir », écrit Séguin, qui était présent.

« Assis à côté de moi, Steven Guilbeault, déjà l’écologiste le plus connu et reconnu au Québec, n’y tient plus. Il s’empare à son tour du micro et s’adresse aux fonctionnaires qui ont travaillé comme des bêtes pour produire ce plan »… Contre toute attente, il les félicite. « La salle éclate en applaudissements. Nourris, sincères, fiers. Après des années sans rien du tout, le gouvernement venait en effet d’accoucher d’un plan d’action comportant une cible de réduction des émissions (- 6% d’ici 2012 sous le niveau de 1990, que le Québec respectera), 26 mesures pour y arriver », etc.

À travers moi, ce sont les écologistes qui ont milité pendant des années avec un salaire de crève-faim, sur le plancher des vaches, plutôt que dans les officines gouvernementales et les boîtes de relations publiques, qui sont diabolisés.
La vieille caricature de l’écolo enragé… La détestable image d’un pur « bully », alors que je suis allergique à toute forme d’intimidation. Exprimer des critiques de façon ferme, comme je l’ai toujours fait, ça ne veut pas dire rentrer des fonctionnaires « dans le mur ». Mais passons…

Le compte-rendu que fait Séguin de cette journée de 2006 est un ramassis de faussetés. Le plan de Charest et de son ministre Béchard n’était pas le premier plan du gouvernement québécois sur le climat. Il n’a pas amené le Québec à réduire les émissions de GES de 6%. Il ne constituait pas un progrès, mais un recul. La majorité des écologistes, ainsi que des fonctionnaires, en étaient conscients. Mais englués dans leurs petits jeux de pouvoir, Guilbeault et Séguin faisaient semblant de ne pas le savoir.

Tant qu’à refaire l’histoire, remontons dans le temps. En 2000, Paul Bégin était ministre de l’Environnement dans le gouvernement péquiste. C’est lui qui avait présenté le premier plan sur le climat. Il comprenait le Programme d’inspection et d’entretien obligatoire des émissions des véhicules automobiles. Son successeur, André Boisclair, n’a rien fait pour implanter ce programme. Au contraire, il craignait que sa mise en œuvre lui coûte des votes. En revanche, Boisclair faisait la promotion de la centrale au gaz du Suroit, qui menaçait de relâcher des millions de tonnes de CO2. Le directeur adjoint de son cabinet était… Hugo Séguin.
Les deux fonctionnaires qui avaient dirigé le premier plan de Paul Bégin sur les changements climatiques étaient furieux du sabotage effectué par Boisclair et très critiques du plan Charest-Béchard. À leur retraite, ils ont joint les rangs de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).

En 1992, après le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, Séguin avait fondé le groupe Équiterre avec Steven Guilbeault. Le slogan du groupe était « COOL, Un geste à la fois ». La stratégie inoffensive d’un groupe qui allait recevoir de généreuses subventions, notamment du ministère de l’Énergie. Les deux amis engageront le mouvement environnemental dans la voie du jovialisme et des compromis. Une voie qui a affaibli le rapport de forces qui avait permis à l’AQLPA et à une large coalition de groupes militants de remporter la victoire que fut l’Accord nord-américain sur les pluies acides.

Après cette fameuse journée de juin 2006 où fut présenté le plan Charest-Béchard, Steven Guilbeault aurait travaillé en coulisses « pour s’assurer que ce premier plan pour le climat ne soit pas un amoncellement de mesures volontaires, de formules creuses et d’objectifs vides », affirme Séguin dans son livre. « Par son charisme, sa maîtrise des dossiers et son ouverture aux autres manières de penser que la sienne, il a su faciliter la constitution d’une coalition de leaders d’horizons différents autour d’objectifs environnementaux partagés ». Grâce à lui, « les Québécois sont aujourd’hui unis sur l’urgence d’agir – du Conseil du patronat au Chantier de l’économie sociale en passant par les organismes de conservation de la nature ». La belle affaire. Le Québec se trouve à des années-lumière d’une réduction significative des GES : de 86,7 millions de tonnes en 1990, elles sont passées à 84,3 Mt en 2019.

Séguin m’assène des coups d’archet, mais joue du violon pour son ami Guilbeault en omettant les épisodes les plus embarrassants. En 2007, en tant que porte-parole d’Équiterre, Guilbeault signait une lettre avec le président de la FTQ, Henri Massé, en faveur du projet gazier Rabaska. Un appui qui a scandalisé les militants qui se battaient pour le climat. En 2015, à la veille des négociations menant à l’Accord de Paris, il appuyait le plan d’action sur les changements climatiques de l’Alberta qui permettait à la province d’augmenter de 100 millions de tonnes les émissions annuelles de gaz à effet de serre. À la même époque, il tenait des rencontres en catimini avec des représentants de l’Office national de l’Énergie autour du projet d’oléoduc Énergie-Est que combattaient les groupes comme l’AQLPA.

Et ne voilà-t-il pas qu’aujourd’hui, devenu ministre de l’Environnement du Canada, Guilbeault donne son appui à Bay du Nord, cet énorme projet d’extraction de pétrole au large de Terre-Neuve. Cela quelques jours après que le GIEC et le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, aient exigé l’abandon immédiat de tout nouveau projet de production de combustibles fossiles. Séguin verse une larme de dépit, mais il continue d’encenser son ami. « Avec plus d’écologistes au Conseil des ministres, la décision aurait été différente », a-t-il déclaré à La Presse. Ah bon ? Guilbeault a pourtant indiqué que la décision n’avait pas été prise au Conseil des ministres, mais par lui seul.

Peu importe, il ne faut surtout pas qu’il démissionne : selon Séguin, on a besoin de pompiers comme Guilbeault pour éteindre le feu. Je dois être idiot : j’ignorais qu’on pouvait éteindre le feu avec du pétrole.

Sous le couvert d’un raisonnement sage et éclairé, le livre de Séguin est une anthologie de snobisme qui travestit les faits. Je lui donne raison sur un point : oui, le mouvement environnemental a échoué jusqu’à maintenant à imposer une baisse radicale des émissions de GES. Mais cet échec porte une signature : celle des opportunistes donneurs de leçons et plus soucieux de leur carrière et de leur aura que de mener la lutte avec courage et sincérité.

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