10 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
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Ce déroulé rend fou quiconque l’écoute. La seule thérapie est de revenir à l’analyse argumentée, à l’étude structurée, sans jamais oublier d’arrêter de faire comme si aujourd’hui était comme hier.
Comme nous l’avons déjà illustré dans les précédents numéros, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de ses acolytes fascisants est tout sauf anecdotique.
Aux États-Unis même, la multiplication des décrets détruisant les institutions fédérales, les milliers de licenciements, le bannissement de certains mots et la censure directe (au nom de la libre expression) ou encore l’expulsion de migrant·es provoqueront, comme l’écrit Aziz Rana dans l’article que nous publions, un « effondrement constitutionnel ».
Il va sans dire que la brutale introduction des droits de douane, les menaces contre la souveraineté du Canada, du Groenland ou du Panama, la collusion avec Vladimir Poutine au détriment des populations ukrainiennes et le soutien aux menées génocidaires du gouvernement de l’État d’Israël modifient structurellement les coordonnées de la situation mondiale (et donc les possibilités d’émancipation).
Arrêter Arturo Ui en montrant un autre monde possible
Espérons que l’ascension des forces d’extrême droite, fascistes ou post-fascistes soit « résistible ».
Face aux haines, aux répressions, aux interdictions de parole, à la création de l’ignorance [1. Voir Joëlle Palmieri, « Trump, la science et la création del’ignorance », p.74.], les forces démocratiques et progressistes pourraient comprendre qu’il faut stopper les divisions mortifères, la hiérarchisation des combats (sans oublier les silences honteux ou les alignements sur des gouvernements aux couleurs plus brunes qu’arc-en-ciel)… Refuser le nouvel état du monde ne suffit plus, il faut faire renaître l’espérance, tournée non vers les passés révolus mais vers des futurs en commun.
Des résistances fragmentaires existent, parfois percent l’obscurité et illuminent le présent, comme le montrent Richard Neuville sur l’« économie des travailleur·euses [2. Richard Neuville, « “L’Économie des travailleur·euses”, un réseau international et un concept en construction », p.60.] » et Andrés Ruggeri sur les entreprises récupérées en Argentine [3. Andrés Ruggeri, « Entreprises récupérées : la résistance à l’ultralibéralisme », p.63].
À tous ceux et toutes celles qui espéraient le silence, l’inertie et le découragement, les étudiant·es et la population serbe actualisent les changements possibles de système. Saṧa Savanovič nous donne un « aperçu » éclairant de ce qui se passe dans son pays quand elle écrit que la société serbe « s’est largement auto-organisée politiquement au cours des quatre derniers mois, en dehors des institutions politiques formelles [4. Saṧa Savanovič, « De quoi parle-t-on quand on parle de changement de système ? », p.9.] ».
Deux autres lueurs dans l’obscurité qui tombe. Le « Manifeste pour une nouvelle Syrie » montre comment, avec difficulté, les Syrien·nes cherchent les voies d’une nouvelle Syrie [5. « Manifeste pour une nouvelle Syrie », p.17. On en trouvera la liste des signataires sur Mediapart, 2 mars 2025.]. Enfin, douze ans après le mouvement de la place Taksim, les Turc·ques se lèvent et se rassemblent contre l’arbitraire de Recep Erdogan [6. Cihan Tuhal, « L’improbable résistance en Turquie », p.68.].
Le Moyen-Orient est dominé par des dictatures patrimoniales, de sombres monarchies, des magnats du pétrole, des bandes armées, des barbus qui piétinent les droits des êtres humains, sans oublier bien sûr Israël – son système d’apartheid et sa guerre génocidaire. L’ensemble de ce paysage politique a longtemps été modelé par les différents pôles impérialistes mais aujourd’hui une nouvelle alliance fait de l’instabilité la norme de l’affrontement, l’horizon.
Certain·es se contentent de formules creuses, de ce que Leila Al-Shami désigne comme l’anti-impérialisme des imbéciles [7. Leila Al-Shami, « L’« anti-impérialisme » des imbéciles : faire disparaître le peuple syrien par la désinformation », À L’encontre, 27 mars 2021.], s’enlisant dans un retour à la guerre froide où dictatures et bureaucraties semblaient une alternative à l’impérialisme dominant.
Une posture qui néglige les aspirations nationales des minorités – à commencer par celles des Kurdes – ou qui fait silence sur l’apartheid de genre en Afghanistan ou en Iran. D’autres encore, comme le rappelle Joseph Daher, travestissent le prétendu « axe de résistance [8. Joseph Daher, « La révolution au Moyen-Orient et l’« axe de la résistance » », p.19.] » en processus révolutionnaire.
Sans droits égaux pour toutes et tous, sans reconnaissance des droits nationaux pour chaque population, sans réparation des crimes – à commencer par la Nakba – les lendemains ressembleront aux jours passés, en pire encore. C’est d’une certaine façon la question posée par Hadas Binyamini à la « gauche israélienne [9. Hadas Binyamini, « Le devoir de la gauche israélienne en période de génocide », p.28.] ». Michel Cahen, quant lui, nous invite à penser la diversité (questions ethniques et nationales) dans le « système-monde capitaliste [10. Michel Cahen, « Colonialité et système-monde capitaliste », p. 36. Pour souligner l’attention que nous portons à la « question nationale », rappelons ici quelques-uns des articles publiés dans les précédents numéros d’Adresses : Otto Bauer, « Pour une “laïcité nationale” » (n°1) ; Rosa Luxemburg, « Auto-administration communale et loi linguistique » (n°2) ; Patrick Chamoiseau, « Kanaky : du méfait colonial à la mondialité » (n°3) ; Union romani internationale, « L’histoire des discriminations est liée à celle de la revendication nationale » (n°4) ; Michel Cahen, « Intégrer l’ethnicité à la démocratie politique » (n°10) ; Vlada Baranova et Tsypylma Darieva, « Minorités ethniques en Russie et impérialisme » (n°10).] ».
Nous avons précédemment abordé l’importance du droit international et de la Cour pénale internationale et Cour internationale de justice [11. Voir Monique Chemillier-Gendreau, « L’échec du droit international à devenir universel et ses raisons », Adresses, n°7 ; « Contrer la domination et ouvrir la perspective d’un autre monde », Adresses , n°2 ; « L’occupation du territoire palestinien est frappée d’une triple illégalité », Adresses, n°3.]. Aujourd’hui, non seulement des gouvernements ultraréactionnaires ne reconnaissent pas ces instances au nom de leur « souveraineté » mais s’allient pour leurs destructions, d’autres – fidèles en cela aux traditions des fascismes historiques – remettent en cause le droit et la justice au niveau national [12. La Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont réagi fortement à cette attaque contre l’égalité devant le droit. De leur côté, dans une tribune publiée par Mediapart, des étudiants en droit ont aussi exprimé leur volonté de voir les professionnels de la justice résister aux attaques venues de l’extrême droite.].
Nous poursuivons aussi, sans nostalgie aucune, les interrogations du passé. Ici, en convoquant la figure de Flora Tristan, Eleni Varikas nous invite, entre autres, à explorer l’articulation de l’universel et du particulier [13. Eleni Varikas, « Flora Tristan et l’Union ouvrière », p. 56.].
Après un premier « Parti pris » paru dans le numéro 4 d’Adresses en septembre 2024, nous publions ici un nouveau dossier « Partis pris ». À propos des questions de défense qui ont surgi sur le devant de la scène, il offre quelques pistes de réflexion qui, partant de la « réalité concrète », permettent de dépasser les répétitions stériles de formules toutes faites ou les mots d’ordre désuets et tentent de saisir les dangers et les contradictions à l’œuvre. Une discussion s’ouvre alors que la militarisation d’un côté et le pacifisme des campistes de l’autre aboutissent à déposséder les peuples de leur droit à s’autodéterminer et donc à se défendre.
Les questions de défense ne sont donc pas un exercice de géopolitique, c’est une question de classe, de genre… Dans un texte introductif, Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein appellent à prendre à bras le corps les questions de défense et à se mettre à l’écoute des « leçons ukrainiennes [14. Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein, « Aux armes citoyens/Valmy 2.0 », p.79.] ». Hanna Perekhoda exhorte la gauche à se confronter aux « réalités militaires » sous peine de devenir « des spectateurs plutôt que des acteurs, commentant les événements plutôt que de les façonner [15. Hanna Perekhoda, « L’isolationnisme de gauche : le chemin vers l’insignifiance politique dans le débat sur la défense européenne », p.85.] ». Elle discute également avec Christan Zeller de la fausse contradiction entre justice sociale et sécurité nationale [16. Hanna Perekhoda, « Rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale », p.95 ; Christian Zeller, « Comment gérer les dilemmes de défense de l’Europe ? », p.97.]. De son côté, Mikael Hertoft examine le désarroi de la gauche devant l’alliance Trump-Poutine et devant le possible abandon du « parapluie américain [17. Mikael Hertoft, « Danemark : la gauche face à la fin de l’alliance avec les États-Unis », p.88.] ».
Li Andersson évoque l’alliance autoritaire Trump-Poutine « qui nous met tous en danger [18. Li Andersson, « Trump et Poutine : une alliance autoritaire qui nous met tous en danger », p.99.] ». Enfin Simon Pirani invite les gauches à discuter de l’appréciation à porter sur le danger que fait peser l’impérialisme russe : « Je n’ai pas de réponse à ces questions. Mais si nous n’en discutons pas, nous ne pourrons pas mettre en place des stratégies significatives [19. Simon Pirani, « Soutenir la résistance ukrainienne, pas les plans de réarmement monstrueux », p.103.]. »
Quand la planète est face à une multitude de dangers, résultat de la crise majeure de valorisation du capital et de l’extorsion du profit, œuvrer à l’émancipation collective n’est pas illusoire ni un rêve, c’est vital.
Didier Epsztajn, Michel Lanson, Patrick Silberstein
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