Édition du 19 novembre 2024

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Rapports entre construction de Québec solidaire et rôle des mouvements sociaux dans le processus de transformation sociale

13 février 2010

La thèse de ce texte est qu’il ne sera pas possible sans une politisation des luttes sociales et un appui des mouvements sociaux de construire un large parti de gauche. Cette thèse repose sur le fait que les partis politiques de gauche n’ont pas le monopole de la politique et que les mouvements sociaux ont aussi une responsabilité envers l’éducation politique de leurs membres et la vie politique en général. Que ce soit le mouvement antiguerre, le mouvement altermondialiste, le mouvement des femmes, le mouvement syndical, tous ces mouvements ont fait la démonstration de la réalité et de la nécessité de l’action politique des mouvements sociaux.

Il découle de cette approche qu’il n’y a pas une séparation étanche entre les luttes sociales et économiques d’une part et l’action politique d’un parti d’autre part. Car les luttes des mouvements sociaux se font dans une cadre déterminé par les gouvernements et qu’ils se heurtent à un État qui n’hésite pas à jeter tout son poids du côté de l’État-patron et des entreprises. Bref, il est illusoire de parler des luttes sociales ou économiques pures. Tout conflit social qui remet en cause d’une façon ou d’une autre l’ordre établi se heurte donc inévitablement aux institutions de classe qui défendent cet ordre établi a une dimension proprement politique.

Dire cela ne permet cependant pas d’esquiver la question de la politique partisane. Malheureusement, les mouvements sociaux au Québec et particulièrement le mouvement syndical dans sa majorité ont rejeté régulièrement et catégoriquement l’action politique électorale. Pourtant, les grands conflits sociaux soulèvent des questions de fond sur l’organisation générale de la société, et la question du pouvoir. Si les classes ouvrières et populaires ne disposent pas d’un parti de gauche qui défend ouvertement leurs intérêts, les bourgeois d’opposition risquent de récupérer les luttes sociales à leur propre bénéfice.

Les mouvements sociaux ne peuvent rester à l’écart des luttes électorales sans se condamner eux-mêmes à la marginalisation politique, car c’est encore sur le terrain électoral que se joue la lutte pour le pouvoir aux yeux de l’ensemble de la population. C’est une chose d’expliquer le caractère biaisé du jeu électoral, mais cela ne change rien à l’importance de ce terrain. L’action politique doit commencer aujourd’hui sur le terrain où la question du pouvoir se pose aux yeux de la majorité de la population.

Si les mouvements sociaux évitent l’action électorale, ils refusent de contester le pouvoir politique sur le terrain où la question se pose pour la majorité de la population. Cette dernière ne se voit offrir comme choix que les grands partis politiques traditionnels voués à la défense des intérêts des puissants. Faute de cette dimension de lutte pour le pouvoir, toute l’action des mouvements sociaux se ramène à des combats défensifs et à des efforts de plus en plus difficiles pour influencer la politique des partis au pouvoir.

La construction d’un parti progressiste et le développement des mouvements sociaux sont donc des processus interdépendants. Les mouvements sociaux valorisent le pouvoir citoyen à la base au sein d’une organisation syndicale, communautaire, environnementale, féministe, etc. Ces contributions sont essentielles puisqu’elles favorisent la participation sociale et la prise en charge collective, qui sont des fondements mêmes de la démocratie. Ils ont cependant leurs limites politiques. C’est pourquoi par exemple, de plus en plus d’altermondialistes du Forum social mondial reconnaissent l’importance d’un relais politique qui permettrait la réalisation de leurs politiques alternatives.

D’une part, la conquête du pouvoir politique demeure un passage obligé si l’on vise un changement à l’échelle de la société. Seule une organisation politique structurée, un parti politique, peut présenter un programme faisant la synthèse des revendications économiques, sociales, démocratiques et politiques et les intégrer en un projet global de société. D’autre part, un mouvement syndical et des mouvements populaires forts et unis sont essentiels pour créer des conditions favorables à l’émergence d’une alternative politique de masse. Ce n’est que s’il a su s’articuler à la mobilisation des mouvements sociaux que l’accession au pouvoir exécutif et législatif qu’un parti de gauche aura les moyens de transformer des revendications en réalisations durables. Sans un mouvement social fort, un gouvernement d’un parti de gauche ne saurait être en mesure d’appliquer et de maintenir ses politiques.

Dans cette perspective, on comprend l’importance de réfléchir aux rapports que doit entretenir un parti politique de gauche avec les mouvements sociaux. Il ne s’agit en rien d’instrumenter les mouvements sociaux et encore moins de les considérer comme une courroie de transmission des intentions du parti de gauche. Au contraire, il faut d’une part respecter l’autonomie des mouvements sociaux et leur organisation démocratique. Mais il faut également défendre leur indépendance face à la volonté des gouvernements d’entraver et de bloquer leurs capacités d’action.

Un parti qui désire être en phase avec les mouvements sociaux a avantage à ne pas se cantonner dans l’électoralisme et à lutter également dans la rue aux côtés des organisations populaires.

C’est pourquoi l’une des tâches d’un parti de gauche, même en construction, est d’encourager non seulement l’éducation politique au sein des mouvements sociaux, mais aussi le renforcement des mouvements sociaux et de leur indépendance par rapport aux partis et aux gouvernements.

Car les partis ne sont pas non plus de simples débouchés aux luttes sociales. Les rapports égalitaires entre partis et mouvements sociaux doivent pouvoir se vivre à travers des forums de la gauche, au cours desquels mouvements sociaux et partis participent conjointement au processus d’élaboration : de manière à ce que le travail d’élaboration politique puisse se faire à travers un débat sur le fond des questions et non pas dans l’urgence de l’échéance électorale. Ce travail doit se faire avec l’ensemble du mouvement social.

La lutte contre le néolibéralisme, le développement et le renforcement des mouvements sociaux, le rassemblement et l’unité des progressistes, la construction d’un grand parti de gauche sont des processus dont le développement, qui se réalise par phases successives, est interrelié. Une action collective consciente ajustée aux phases de ces processus, et qui tient compte de leurs interactions, peut en accélérer le développement qualitatif et quantitatif.

Les classes dominantes et les gouvernements néolibéraux tant au Canada qu’au Québec sont passés à une nouvelle phase de l’offensive. Flexibilité du marché du travail et privatisation des services publics sont les deux piliers de l’offensive actuelle. Cette nouvelle phase correspond à un approfondissement de cette offensive.

C’est dans ces sillons tracés par les mouvements sociaux que la gauche politique a compris la nécessité de dépasser sa dispersion, de s’unifier et d’offrir une alternative unitaire pour Québec indépendant, féministe et égalitaire.

Si la résistance n’a pu stopper l’offensive, ces mouvements sociaux ont réussi à entamer la légitimité du néolibéralisme qui se manifeste sous la forme d’une polarisation gauche-droite. Cela démontre que la mobilisation ou les reculs des mouvements sociaux sont des déterminants du champ des possibles dans lequel s’inscrit la construction d’un parti politique de gauche.

1. Construire un parti utilisant la lutte électorale pour défendre les revendications populaires et donner une voix aux mouvements sociaux est essentiel.

Il y a un moment électoral pour renverser le rapport de force qui s’est mis en place. Construire Québec solidaire c’est vouloir redonner une parole politique autonome aux classes ouvrière et populaires et la capacité d’agir sur le terrain électoral pour la défense de leurs revendications. Il est donc nécessaire que Québec solidaire occupe sans timidité ce terrain et assure la rupture avec le PQ et son social-libéralisme qui a été un facteur de recul et de démobilisation. Ici aussi, il faut faire la politique autrement et Québec solidaire doit chercher à permettre l’expression des luttes et de la résistance populaire dans le cours même des campagnes électorales. Cela nécessite de ne pas établir des rapports individualistes avec les électeurs et électrices, rapports qui peuvent être électoralement profitables à court terme, mais qui conduisent naturellement au développement d’un clientélisme qui est tout le contraire d’une politique réellement démocratique.

Un parti qui se veut de gauche ne doit pas masquer, mais rendre très claire quelle représentativité il vise. Un parti de masse populaire et féministe ne cherche pas d’abord à associer des individus progressistes qui ont des ambitions électorales,
Ce parti ne doit-il pas véhiculer la parole des bases et ne pas réduire son action à une action médiatique ?

Ne doit-il pas se préoccuper de sa composition sociale et éviter d’être le véhicule de la formation d’une nouvelle élite politique fut-elle de gauche ? Ne doit-il pas chercher à assurer une représentation sociale des couches populaires au niveau institutionnel et assurer la promotion à tous les niveaux de son organisation de représentantes et représentants des classes populaires ?

2. Quel parti de la rue ?

Le terrain électoral n’est qu’un axe d’un nécessaire processus de redéfinition politique et organisationnel des classes ouvrière et populaires face aux défis et à l’ampleur de l’offensive actuelle.

Pour être véritablement un parti de la rue, Québec solidaire ne peut se contenter d’apporter son soutien aux luttes en cours. Il doit être partie prenante dans un esprit unitaire et respectueux de la réévaluation de nos instruments de lutte, des stratégies, des politiques d’alliance et du programme qu’il faudra mettre de l’avant pour répondre à la remise en question des acquis syndicaux et populaires. La gauche politique est devant un défi essentiel : offrir un projet alternatif de gauche au cœur même de la résistance populaire. Il ne peut espérer se construire, sans engager un dialogue avec l’ensemble des mouvements sociaux sur les stratégies, des moyens d’action et des politiques d’alliance afin de rassembler les forces qui permettront de bloquer l’offensive néolibérale.

Le nouveau parti ne doit pas craindre de reconnaître clairement que la question des rapports à créer avec les « classes laborieuses » et les différents mouvements sociaux est une question majeure pour lui. Sans apporter de réponses simples à cette question, il importe d’identifier des questions qu’il ne pourra esquiver :

 Comment organiser une articulation constante par rapport aux groupes les plus fragilisés socialement et économiquement et leurs mouvements de résistance ?
 Quelles mesures proposer pour que les travailleuses et les travailleurs puissent s’opposer à la dégradation de leurs conditions de travail et de vie et en quoi ces propositions constituent en elles-mêmes l’engagement d’échanges politiques avec le mouvement syndical et les mouvements sociaux ?
 Comment centrer son discours sur les attentes des classes populaires afin d’assurer un ancrage du parti dans les classes ouvrières et populaires ?
 Comment aider à objectiver l’identité des classes populaires afin de renforcer leur cohérence et leur unité dans la lutte pour un projet de société ?
 Comment s’opposer à l’invisibilisation des catégories populaires et comment donner sens de leurs expériences sociales ?
 Ne doit-il pas favoriser activement le réseautage de ses militantes et militants qui appartiennent au mouvement populaire, au mouvement syndical, au mouvement féministe ou au mouvement étudiant pour favoriser des débats véritables avec le mouvement social ?
 Ce parti ne doit-il pas chercher systématique à donner la parole aux membres des classes populaires ?
 Comment éviter la déconflictualisation du discours (il y a des enjeux pour les différentes classes et il faut savoir les identifier) afin de ne pas masquer les référents qui permettent d’identifier les enjeux, car ils sont les conditions qui rendent possible la démocratie. Pour favoriser la démocratie il faut souligner et non taire les fondements des inégalités sociales.

Mots-clés : Québec
Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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