Édition du 12 novembre 2024

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Assurance-emploi

Rapatrier l'assurance-chômage, il y a mieux à faire

Depuis quelques mois, divers intervenants ont ramené dans l’espace public l’idée de rapatrier le régime fédéral d’assurance-emploi au Québec. C’est le cas notamment du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC) et du Parti québécois, dont la chef Pauline Marois s’est exprimée en ce sens. Bien que l’idée puisse paraître séduisante à première vue, cette proposition constitue en fait une illusoire fuite en avant. Alors que le gouvernement Harper s’apprête avec le projet de loi C-38 à resserrer une fois de plus la couverture du régime et à restreindre les droits des sans-emploi dans le cadre du processus d’appel, les travailleurs et travailleuses du Québec ont plutôt intérêt à poursuivre la lutte là où les décisions se prennent actuellement afin d’obtenir la mise en place d’un régime d’assurance-chômage complet et universel.

RAPATRIER L’ASSURANCE-CHÔMAGE ? IL Y A MIEUX À FAIRE.
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Une dimension éludée : le financement du régime

Les problèmes actuels de l’assurance-emploi sont nombreux et connus : critères d’admissibilité trop restrictifs, faible couverture, délais de traitement particulièrement longs et découlent essentiellement de son sous-financement. Ainsi, non seulement le gouvernement fédéral s’est retiré du financement du régime d’assurance-chômage en 1990, mais il a procédé à un vaste détournement du Compte à hauteur de plus de 57 milliards de dollars pour financer son déficit et d’autres programmes qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’objectif d’assurer une protection aux travailleurs et travailleuses victimes du chômage (programmes de formation et d’adaptation de la main-d’œuvre, versement de prestations spéciales aux aidants naturels, etc.). Évidemment, cette transformation s’est réalisée au détriment de la protection que les travailleurs et travailleuses sont en droit d’attendre d’un régime d’assurance-chômage.

Aussi, toute réforme sérieuse de l’assurance-chômage implique nécessairement la question de son financement, en particulier celle d’un réinvestissement étatique. Or, le projet de rapatriement du régime, du moins tel qu’il est présenté, continue à ignorer cette dimension fondamentale. Le CNC propose en effet de maintenir une caisse autonome qui serait financée uniquement par les cotisations. De son côté, le Parti québécois va encore plus loin en suggérant une diminution des taux de cotisation actuels, sans compensation de la part de l’État. Compte tenu que le Québec reçoit plus en prestations que ce qu’il verse en cotisations1, on voit mal comment un tel régime pourrait s’avérer plus généreux pour les travailleurs et travailleuses.

De plus, certains promoteurs du projet souhaitent continuer à utiliser le régime pour financer les mesures actives axées sur la formation et l’employabilité. Outre le Parti québécois, qui en fait un objectif prioritaire, l’économiste Pierre Fortin, auquel le CNC a choisi de s’associer, soutient le rapatriement du régime dans la mesure justement où cela permettrait de mieux l’arrimer aux programmes de développement de la main-d’œuvre dont le Québec est actuellement responsable. Or, sans un apport gouvernemental, le financement de ces mesures s’effectue au détriment de la protection qu’un régime d’assurance-chômage devrait offrir aux sans-emploi. On reste donc ici dans la logique d’un régime qui vise d’abord à répondre aux besoins des entreprises, plutôt qu’à ceux des travailleurs et travailleuses.

Un régime solidaire ?

À cet égard, Pierre Fortin prétend que « les besoins à Prince Rupert en Colombie-Britannique, à Medicine Hat en Alberta, à Sudbury en Ontario, à Rimouski au Québec, et à Corner Brook à Terre-Neuve, ce n’est pas du tout du pareil au même »2. Le CNC lui fait écho, suggérant que le nouveau régime répondra mieux « aux besoins des salariés d’ici » – sous-entendu que ceux-là diffèrent de ceux des salariés d’ailleurs.

On se demande bien en quoi les besoins d’une travailleuse de Rimouski qui vient de perdre son emploi diffèrent tellement de ceux d’une personne vivant à Medicine Hat ou encore comment ceux d’un chômeur de la Gaspésie sont différents des besoins de celui des Maritimes. Tous et toutes ont besoin d’une aide temporaire qui leur soit versée rapidement afin de pouvoir payer le loyer et les dépenses courantes d’ici à ce qu’ils et qu’elles trouvent un nouvel emploi.

L’idée même d’un régime de protection sociale comme le régime d’assurance-chômage, c’est justement d’assurer une couverture qui tienne compte des intérêts de tous et toutes : c’est là l’essence même de la solidarité. Les chômeurs qui ont marché vers Ottawa en 1935 ne l’ont pas fait pour qu’un régime spécial soit mis en place pour ceux de Vancouver, et un autre possiblement moins généreux pour ceux de l’Abitibi : ils revendiquaient la création d’un régime universel.

Une approche réaliste ?

Le régime d’assurance-chômage a été mis sur pied en 1941 suite à l’adoption d’un amendement constitutionnel confiant au Parlement fédéral la compétence exclusive en matière d’assurance-chômage. Aussi, on ne peut s’empêcher de souligner la difficulté constitutionnelle d’un tel rapatriement.

Il est loin d’être acquis qu’un rapatriement du régime d’assurance-chômage au Québec puisse se faire par le biais d’une simple entente administrative, sans qu’une procédure formelle d’amendement constitutionnel ne soit requise. De toute façon, dans un cas comme dans l’autre, on ne saurait entrevoir l’aboutissement d’un tel processus avant de nombreuses années.

Si un jour le peuple québécois décide de faire du Québec un pays souverain, il se trouvera certes plusieurs groupes de chômeurs et chômeuses, syndicats et organisations de défense pour revendiquer la mise en place d’un régime d’assurance-chômage digne de ce nom. Entre-temps, nous continuons à croire à la possibilité – plutôt, à la nécessité de lutter pour transformer et améliorer le régime actuel afin qu’il réponde aux besoins des travailleurs et travailleuses. Les groupes de chômeurs et de chômeuses et les organisations syndicales ont tout intérêt à écarter cette fuite en avant et à continuer à se battre, maintenant, pour défendre le droit à la protection sociale pour les victimes du chômage.


AUTEURS : Georges Campeau Professeur retraité, UQAM, qui a publié chez Boréal, De l’assurance-chômage à l’assurance-emploi, l’histoire du régime canadien et de son détournement

Jacques Beaudoin Avocat et porte-parole du Mouvement Action-Chômage de Montréal
 

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