Le ministre de la sécurité publique Vic Toews dévoilait le 9 février une nouvelle stratégie pour lutter contre le terrorisme. Le document de 46 pages, intitulé Renforcer la résilience face au terrorisme, offre une classification de la menace terroriste au Canada. Sous la catégorie « extrémisme d’origine intérieure militant pour des causes précises », on mentionne quelques causes défendues par des « groupes extrémistes » dont les droits des animaux, l’environnementalisme et l’anticapitalisme.
Cette association fait écho à la lettre ouverte de Joe Oliver le 9 janvier dernier, où le ministre des Ressources naturelles traitait les opposants au projet de pipeline Northern Gateway en Colombie-Britannique d’être des « radicaux ».
Si ce genre de stratégie constitue un dangereux précédent contre la liberté d’expression et la défense collective des droits, elle n’est pas apparue du jour au lendemain. Le phénomène de la « Peur verte » (en anglais, Green Scare) désigne la vague de répression policière contre les écologistes qui déferle en Occident depuis les années 1990, et s’est intensifiée après les événements du 11 septembre 2001. Le terme est un clin d’oeil au Red Scare - les deux vagues anti-communistes des années 1920 et 1950, reconnues comme de grands exercices de paranoïa et d’attaques contre les droits et libertés de la personne.
On peut retracer les débuts de la Peur verte en 1985, lorsque les services secrets de France coulent le célèbre bateau de Greenpeace Rainbow Warrior, causant la mort du photographe Fernando Pereira. Les groupes écologistes d’envergure internationale qui délaissent le lobbyisme en faveur d’actions directes jugées plus efficaces (par exemple, le blocage, la désobéissance civile) sont de plus en plus nombreux et gagnent en importance. Outre Greenpeace, on retrouve par exemple Sea Shepherd, Earthfirst !, et en 1992, le Front de libération de la Terre (ELF) et le Front de libération des animaux (ALF).
En 2002, le congrès américain reçoit le témoignage de James Jarboe du FBI. Son allocution, titrée « La menace de l’écoterrorisme » (The Threat of Eco-Terrorism) stipule que la plus grande menace domestique aux États-Unis est en fait une toute nouvelle menace qu’il baptise écoterrorisme. C’est la première fois qu’on associe les actes de libération animale et vandalisme au concept de terrorisme. Profitant du Patriot Act voté suite aux attentats du 11 septembre 2001, la table est mise pour l’adoption de toute une série de mesures judiciaires contre les personnes suspectées de terrorisme, comme l’écoute électronique et les perquisitions sans mandat, l’arrestation préventive et la détention sans accusation pour une durée indéterminée. Les sentences deviennent aussi beaucoup plus lourdes. Par exemple, peu après l’adoption d’une loi sur l’écoterrorisme, un juge de l’Oregon condamne Jeff Luers à une sentence spectaculaire de 22 ans pour avoir causé 40,000$ en dommage chez un concessionnaire auto, en 2001.
Depuis, la Peur verte s’étend, avec de vastes opérations policières dont l’Opération Backfire (É-U) et l’Opération Achilles (G-B). De grandes organisations comme Greenpeace et PETA ont aussi fait l’objet d’écoute électronique. Les mesures judiciaires entamées aux États-unis font écho, principalement au Canada et en Europe, où on mêle de plus en plus terrorisme et dissidence, environnementale ou autre.
Mais pourquoi avoir peur des écologistes ? Dans leur tentative de démoniser l’opposition, les autorités font plusieurs sauts de logique. Les deux faits principaux qu’elles ignorent sont la nature même des activités de ces groupes et la relation dynamique entre les communautés et le développement industriel.
D’une part, toutes les organisations écologistes jugées comme étant les plus dangereuses ont en commun les mêmes lignes directrices dans leurs actions. Celles-ci excluent sine qua non les actes de violence envers les personnes et les animaux. Pour ces groupes, le vandalisme et le sabotage ne constituent pas des actes violents, et sont au contraire perçues comme une réponse pour arrêter la violence, très réelle, du développement industriel (ex. déforestation, chasse aux baleines, expériences sur les animaux, étalement urbain, etc.).
Ce qui nous amène au second point : les actions directes qui sont parfois pratiquées par les écologistes ne sont pas le fruit du hasard. Elles émergent dans un contexte dynamique où l’État et l’industrie sont des acteurs déterminants. Les actions illégales apparaissent, règle d’usage, après de longues années de luttes citoyennes où tous les moyens institutionnels, légaux et politiques ont échoués. C’est lorsque la démocratie représentative fait sourde oreille et tranche en faveur des compagnies privées, condamnant les communautés locales et l’environnement naturel, que plusieurs envisagent des actions plus directes.
Le gouvernement Harper, comme tout gouvernement conservateur, mise sur l’ignorance et la peur. C’est le parti des sables bitumineux, qui s’est retiré de Kyoto, a sabré dans le financement d’Environnement Canada, investit massivement dans l’armée, et a signé au G20 de Toronto la plus grande arrestation de masse en temps de paix de l’histoire du Canada. Les États-unis nous ont montré ce qui arrive quand on met la droite religieuse au pouvoir, et les canadiens sont en train de réaliser que le rêve de sécurité et de prospérité du gouvernement Harper est en fait un cauchemar, où nos libertés et l’environnement naturel sont sacrifiés au profit d’une élite obsédée par le pouvoir.
Aujourd’hui, les conservateurs peuvent criminaliser les gens qui se battent pour de l’eau potable et un monde vivant, comme on chassait les sorcières au Moyen-Âge. Mais demain, ceux qui profitent de la destruction de la nature pourraient très bien être reconnu comme les vrais criminels.
Bruno Massé
L’auteur est coordonnateur général du Réseau québécois des groupes écologistes, romancier et auteur du livre Écologie radicale au Québec. Il détient une maîtrise en géographie sociale.