Édition du 19 novembre 2024

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Environnement

Questerre propose le retour de la fracturation dans les Basses-Terres du St-Laurent

Questerre propose le retour de la fracturation dans les Basses-Terres du St-Laurent : trois affirmations douteuses de son association sectorielle revues et corrigées

Au cours des dernières semaines de février, tous les foyers localisés sur le territoire des licences d’exploration détenus par Questerre (voir les territoires en jaune sur la carte extraite de la base de donnée SIGPEG) ont reçu une lettre de la compagnie. Cette lettre mentionne que “Questerre Energy Corporation (Questerre) détient en totalité un droit enregistré dans les licences d’exploration”, conformément à son obligation légale d’annoncer sa détention des licences. 

Un dépliant de l’Association de l’Énergie du Québec (AEQ), anciennement Association Pétrolière et Gazière du Québec, accompagne la lettre. Le dépliant parle du gaz naturel comme d’un “combustible de transition”. Il mentionne “[u]ne nouvelle approche en matière de technologies énergétiques propres”, sans nommer explicitement cette variante de fracturation hydraulique que Questerre a novlangué Clean Tech Energy. 

Questerre s’est bien gardé de commenter cet envoi massif malgré des demandes répétées de journalistes, jusqu’à la parution d’un texte dans un journal local. À la suite de ce premier article, Éric Tétrault s’empresse de répondre quelques absurdités auxquelles il apparaît nécessaire de donner la réplique. 

Impact niés de la fracturation sur l’eau

Selon Éric Tétrault, la fracturation n’aurait aucune conséquence sur l’eau :

“« Il n’y a rien de plus facile pour un opposant de l’industrie que de dénicher des études qui essaient de démontrer des risques pour la santé. Or, par deux fois dans les dernières années on a recensé les études existantes. L’Environmental Protection Agency aux États-Unis et le gouvernement du Québec avec deux BAPE et une Étude environnementale stratégique (EES) en sont arrivés aux mêmes conclusions et n’ont pas émis d’avis de danger », soutient M. Tétrault.”

Or, la dernière étude de l’EPA conclut exactement le contraire de ce que l’AEQ essaie de lui faire dire :

“Cases of impacts were identified for all stages of the hydraulic fracturing water cycle. Identified impacts generally occured near hydraulically fractured oil and gas production wells and ranged in severity, from temporary changes in water quality to contamination that made private drinking water wells unusable.” ("Des cas d’impacts ont été identifiés pour toutes les étapes du cycle de l’eau de fracturation hydraulique. Les impacts identifiés se sont généralement produits à proximité de puits de production de pétrole et de gaz hydrauliquement fracturés et leur gravité a varié, allant de changements temporaires dans la qualité de l’eau à une contamination rendant les puits privés d’eau potable inutilisables".)

Difficile de dire, à l’instar du candidat libéral déchu qui préside l’AEQ, que l’EPA n’a pas émis d’avis de danger à propos de la fracturation hydraulique. Il y a certes eu une controverse autour d’une phrase insérée par un fonctionnaire dont l’EPA a tu le nom (“hydraulic fracturing activities have not led to widespread, systemic impacts to drinking water resources“) dans une version préliminaire de l’étude, mais dire que l’EPA n’a “pas émis d’avis de danger” relève de l’acrobatie rhétorique. 

L’EPA n’a pas fait une revue systématique des impacts potentiels de la fracturation sur la santé, mais l’association américaine Physicians for Social Responsability arrive à la 6e édition de son Compendium de 1500 références, incluant une revue d’articles scientifiques, qui démontre des risques et des méfaits de la fracturation sur la santé humaine.

Quant au rapport du BAPE 307 sur Les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses-terres du Saint-Laurent, on peut demander à M. Tétrault si ce constat représente pour lui un “avis de danger” : 

“La commission d’enquête constate que la zone de 400 m dans laquelle il est interdit de procéder à la fracturation sous un aquifère ne constitue pas une zone tampon, mais bien une zone dans laquelle les fractures peuvent se propager. Bien que cette occurrence soit peu fréquente, il arrive, dans des shales aux propriétés similaires à celles observées dans le shale d’Utica, que les fractures soient plus longues que cette distance, allant jusqu’à près de 600 m. Elles pourraient donc atteindre les aquifères utilisés à des fins d’alimentation en eau potable. “

Le gouvernement n’a pas cru bon modifier le Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection suite au rapport du BAPE. Le Règlement prévoit toujours une distance minimale de 400m entre un puits fracturé et la base d’un aquifère.

Envahir le territoire sans l’envahir ?

Du côté de l’envahissement du territoire, l’affirmation d’Éric Tétrault “que Questerre n’a aucune espèce d’intention « d’envahir le territoire » en cas de jugement favorable. « Au contraire, elle veut simplement aménager un projet laboratoire[...] »” est profondément risible. Faut-il rappeler que le projet laboratoire n’est pas une fin en soi mais que son objectif annoncé, à terme, est de développer une ressources qui nécessite absolument l’utilisation de la fracturation hydraulique ? Faut-il rappeler que le but de la poursuite de Questerre contre le gouvernement du Québec reste de faire lever l’interdiction de la fracturation dans le schiste entrée en vigueur en même temps que la loi sur les hydrocarbures, en septembre 2018 ? Faut-il enfin rappeler que le but du projet pilote et de la poursuite de Questerre est d’établir une “grappe de gaz naturel au Québec [qui] donnerait 6 000 emplois par année et des redevances variant d’un demi-million $ à 1 million $ par année par ville ou village”, toujours selon Éric Tétrault ! Le maintien de 6000 emplois dans l’industrie nécessite minimalement ce que le BAPE considérait comme un scénario faible de développement de l’industrie, soit un minimum de 167 plateformes et de 1000 puits dans la région agricole la plus densément peuplée du Québec. L’envahissement ne serait peut-être pas intégral, mais parions que les habitant.es de ces 1258 km2 se sentiront envahi.es.

Questerre possède plusieurs puits en Alberta. Dans les circonstances, qu’est-ce qui empêche de tester leur Clean (sic) Tech (sic) Energy en Alberta et de faire produire des études indépendantes avec lesquelles l’entreprise reviendrait éventuellement au Québec ? Le plus sûrement, parce que Questerre essaie de passer par la porte des projets pilotes prévue à l’article 29 de la Loi sur la Qualité de l’Environnement. Le Clean (sic) Tech (sic) Energy ressemble à un artifice de novlangue qu’on pourrait recoder en Fracking Comm(unication) Economy : une opération de communication qui vise à créer une brèche dans la réglementation au Québec, pas un nouveau procédé révolutionnaire de fracturation sans impact environnemental.

Des experts au service de l’industrie ?

Dans un dernier sophisme, “l’AEQ dit déplorer que « des gens sans grande connaissance de l’industrie fassent connaître leur point de vue publiquement sans qu’elle puisse y répondre. Beaucoup de gens s’expriment au Québec sur le gaz naturel. Or, il n’y a pas d’experts chez nous, parce qu’il n’y a pas d’industrie et pas de production locale », écrit M. Tétrault, ajoutant que l’AEQ interviendra chaque fois qu’elle le jugera nécessaire.”

Pourtant, l’industrie de l’extraction des hydrocarbures tente de s’établir depuis les années 1860 au Québec. Les études et les presque 1000 puits qu’elle a fournis ont permis aux citoyen.nes de développer une expertise sur l’industrie, et de lui dire “NON” en toute connaissance de cause. Permettez-moi à mon tour un artifice rhétorique : l’explosion récente d’un puits à Batiscan nous rappelle que s’il existe des experts sur l’exploitation des hydrocarbures au Québec, ceux-ci ne travaillent pas pour l’industrie. Le témoignage d’Éric Tétrault confirme que ceux-ci ne travaillent pas non plus pour l’AEQ.

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