La présence policière était très forte mais il y avait également un millier de manifestants, issus de divers milieux. Nous avons tenté de longer l’hôtel de ville mais la police nous empêchait de passer. Nous avons alors décidé de traverser la place et de tourner à droite en direction du musée Pointe-à-Callière. Dans le cortège, j’ai constaté que beaucoup de personnes n’appartenaient pas aux groupes de tradition anarchiste (couples, étudiants, jeunes et moins jeunes). Étant d’un naturel prudent, j’ai décidé de me placer en fin de manifestation, avec la fanfare. L’ambiance était plutôt bon enfant…jusqu’à ce que, sans crier gare, nous nous sommes retrouvés totalement pris en souricière !! Je n’ai rien vu venir parce que tout s’est passé très vite. Lorsque j’ai essayé de partir, un policier a poussé une jeune fille qui est tombée sur mon vélo (brisant le mécanisme). Nous étions plusieurs centaines, encerclés de policiers. Nous sommes restés au moins deux heures, serrés comme des sardines, entourés de policiers armés et casqués jusqu’aux dents….on se serait cru en temps de guerre, dans un pays en dictature !!
Durant ce laps de temps, j’ai vu plusieurs policiers malmener des manifestants qui protestaient. Certains se sont faits sortir très violemment du cercle pour être jetés à terre, menottés et embarqués dans des bus.
Finalement, on nous a fait grimper un par un dans des autobus. Un policier m’a demandé de laisser mon vélo sans cadenas (je n’en avais pas pris). Nous avons tous eu droit aux menottes. Lorsque j’ai protesté pour apporter mon vélo dans l’autobus, un agent m’a affirmé que toutes les affaires se trouvant sur le site seraient rassemblées au poste de police. Nous sommes finalement partis jusqu’à Langelier (à mon avis le poste de police le plus éloigné du lieu d’arrestation) où on nous a remis un ticket de contravention de 637 dollars, puis libérés. J’ai dû marcher 25 minutes jusqu’au métro Langelier pour revenir au Vieux Port. Comme le site était encore encerclé de policiers, j’ai pu finalement retrouver mon vélo. Nous avons été arrêtés vers 18 h30 et je suis rentrée chez moi à 1 heure du matin.
Je garde un goût plutôt amer de mon expérience qui suscite bon nombre de questions troublantes. On peut en effet se demander pourquoi la police a délibérément choisi d’encercler les personnes les plus pacifiques de la manifestation ? Est-elle consciente qu’elle n’empêchera pas les militants anarchistes de poursuivre la lutte ? Son objectif est-il de dissuader tous les autres de manifester ? Pourquoi un tel processus d’intimidation (menottes, attente interminable, confiscation des objets personnels, éloignement choisi). J’ai eu vraiment eu l’impression d’être une criminelle, à l’instar de tous les gens qui m’entouraient, pour la plupart des personnes totalement pacifiques s’opposant à un règlement qu’elles jugent inique ou simplement venues célébrer le 1er mai…
Cette aventure m’a également permis de réaliser qu’il nous faudra faire face à une force policière impitoyable lorsque nous déciderons de changer réellement les choses et de reprendre en mains notre destin collectif.
Saurons-nous alors faire preuve de pacifisme…rien n’est moins sûr ?
Il est quelque peu ironique et enrageant de savoir qu’à quelques pas de l’endroit où nous manifestions, en plein centre-ville, des bandits corrompus ayant détourné des millions de deniers publics sortent les mains libres de la commission Charbonneau et ne seront nullement inquiétés…sans doute ces gens-là ne contestent-ils pas l’ordre établi mais profitent du système, sous l’œil relativement complaisant de nos dirigeants et actionnaires.
Il y a de sérieuses questions à se poser et des changements à préparer…collectivement, lorsque la peur aura changé de camp.
Laurence Barthélémy