Sauf que les résultats tangibles de la conférence de Vancouver montre encore une fois qu’en cette matière il y a loin de la coupe aux lèvres [2] n’en déplaise au dirigeant d’Équiterre, le grand allié du Conseil du patronat au sein de SWITCH [3] et le grand soutien des Libéraux fédéraux [4] et québécois [5] au sein du mouvement environnemental.
L’éternelle querelle des provinces cache l’enjeu-clef du désaccord soit l’oléoduc Énergie est de TransCanada auquel seulement l’opinion publique québécoise s’oppose un tant soit peu parmi celles des autres provinces canadiennes [6]. Malgré des appuis sporadiques et timides de l’Ontario et de la Colombie britannique, aux prises avec les mêmes controverses d’oléoduc, le chauvinisme anti-Québec de la matrice politique canadienne revient constamment au galop. Même les dirigeants des divers gouvernements et associations autochtones et inuit se divisent sur le sujet quoique ils réclament unanimement de s’asseoir à égalité autour de la table [7]. Heureusement, les opposants au pétrole bitumineux peuvent compter sur l’opposition ferme de quelques nations et groupes autochtones [8] souvent prêts à se mobiliser [9].
Cibles scientifiquement réalistes ou oléoducs destructeurs... peut-être inutiles
La lettre du Council of Canadians rappelle que selon le Climate Action Tracker (CAT) [10], « Le Canada a besoin de se fixer pour 2030 un objectif plus ambitieux de réduction des émissions industrielles de GES d’au moins 73% en dessous des niveaux de 2005 (67% en dessous des niveaux de 1990). [...] Pour atteindre sa part équitable des réductions d’émissions, les émissions du Canada auraient besoin d’être négatives en 2050. » [11] Ces objectifs, reportés au Québec, correspondent à ce que constate l’IRIS au sujet du budget carbone du Québec soit qu’au rythme actuel d’émanation des GES, ce budget sera totalement dépensé d’ici 2037 [12] alors qu’il devrait durer jusqu’en 2100. Rappelons que l’objectif canadien officiel, auquel adhère toujours le nouveau gouvernement Trudeau, n’est qu’une réduction de 14% d’ici 2030 par rapport à 1990 (30% par rapport à 2005), ce qui est tellement bas que même Équiterre a dû se résigner à la rejeter [13].
« Entre les oléoducs et Paris, Trudeau et les premiers ministres doivent choisir » [14]. Et ce choix passe par le rejet du Quebec bashing, de l’ignorance du peuple acadien et du mépris paternaliste envers les nations autochtones et inuit. Pendant que s’enlise le débat et que la mobilisation fait du sur place, les pétrolières et leurs soutiens financiers ne chôment pas [15]. Avec le prix du pétrole qui s’effondre, sans doute pour un bon bout de temps, rendant problématique la rentabilité des gigantesques oléoducs, Enbridge, avec sa ligne 9 inversé transportant depuis peu le quart du potentiel d’Énergie est vers Montréal, TransCanada, en raboutant ses oléoducs existants étasuniens et canadiens, le Canadien Pacifique et le Canadien National avec leurs trains de la mort vers Sorel (Québec) et Belledune (Nouveau-Brunswick), agissent dans l’ombre.
La centralité de la lutte pour l’emploi vert
Au niveau canadien, le Congrès du travail du Canada (CTC), avec le Réseau pour une économie verte, dont font partie la Fondation David Suzuki et Greenpeace, viennent de proposer une alternative à l’extractivisme pétrolier qui créerait un million d’emplois-années sur 5 ans tout en réduisant à terme les GES de l’équivalent d’environ 30%, en moyenne, par rapport au niveau de 1990 si ce n’était que le niveau actuel canadien est bien au-delà de ce seuil [16]. Il n’en coûterait que 16 milliards $ l’an soit de 3 à 4 milliards $ l’an pour le Québec, un montant somme toute dérisoire « qui ne serait que 5% du budget fédéral » et encore moins si les provinces si mettaient [17]. Comme les émanations québécoises sont, quant à elles, actuellement en-deçà du niveau de 1990, ce plan fort modeste, totalement respectueux des contraintes de marché mais relevant d’une démarche de type keynésianisme vert, pourrait à lui seul réduire ses émanations de GES de l’équivalent de 30% sur 5 ans pour atteindre près de 40% du niveau de 1990.
Avant que son rapport ne soit tabletté par le gouvernement Couillard, la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec de 2013 suggérait quelques cibles pour arriver à réduire de 25% les émanations de GES du Québec par rapport à 1990 : conversion de 100 000 logements du mazout ou gaz naturel à l’électricité sur une possibilité de 650 000 non convertis à l’électricité ; convertir à l’électricité 31 000 bâtiments non résidentiels ; retirer de la route ou convertir à l’électricité 2.1 millions d’autos ou de camions légers (près de 50% du parc) ce qui signifie un tournant vers le transport collectif électrifié et un complément d’auto-partage aussi électrifié ; et réduire des deux tiers les émissions des alumineries [18]. La Commission, en 2013, pensait qu’il était possible d’atteindre ce but en cinq ans par une politique keynésienne d’investissements dans des infrastructures appropriées et de soutien vigoureux à la rénovation des bâtiments selon des normes fortement écologiques [19].
Lutte contre les oléoducs, marginalisée ; celle pour la constituante, une diversion
C’est là une invitation au congrès Solidaire de mai prochain non pas de se débarrasser des objectifs du GIEC comme le demande la circonscription de la porte-parole député mais de la nécessité de réviser à la hausse les actuelles cibles chiffrées du programme Solidaire (40% en 2020, 95% en 2050) qui sont devenues en-dessous de ce qui est nécessaire car elles reflètent les objectifs du rapport de 2007 alors que la réalité depuis a été pire que le scénario le plus pessimiste du GIEC en 2007 [20]. Et quand à l’argument que le temps manque pour 2020, le programme n’a qu’à souligner la gravité de l’échec et lui substituer une cible pour 2025 à mi-chemin entre la réalité québécoise la plus récente (une diminution de 8% en 2013 [21]) et la cible 2030 de CAT, soit une réduction des deux tiers. (Un calcul linéaire simple donne une cible de 50% pour 2025.)
La nouvelle donne de la baisse prolongée du prix des hydrocarbures et la guerre de l’ombre du complexe finance-pétrole-auto-bungalow invite à mettre l’accent davantage sur l’élaboration de l’alternative du plein emploi écologique. Ce serait une erreur pour Québec solidaire, lors de son prochain congrès du printemps, de s’enliser dans un démobilisant débat sur la constitution et sur la constituante qui sont des thèmes à des années-lumières des préoccupations populaires. Donner la priorité à une stratégie pour l’indépendance ne passe nullement par un débat sur les changements des institutions ni même par la défense de la langue et la culture nationales toute nécessaire soit-elle. Cette approche de la lutte pour l’indépendance est celle reflétant avant tout l’insatisfaction de l’intelligentsia nationaliste. L’indépendance populaire se doit d’abord d’être une réponse à l’austérité [22], à la crise climatique, et aux guerres et à ses réfugiés [23].
Les pièges des cibles absentes ou lointaines en attente de miracles technologiques
Ne pas se doter de cibles conformes à la science du climat rangerait Québec solidaire dans le même club anti-scientifique que les Conservateurs canadiens ou de celui des attentistes de l’efficacité des moyens, tels les Libéraux fédéraux, qui clament que ceux-ci sont tout et que le but n’est rien donc que les cibles peuvent être oubliées ou reportées [24]. Les résultats de la Conférence de Vancouver ont démontré qu’à la fin on a ni un ni l’autre. Ce qui est « réaliste », c’est la science et non les petites manœuvres politiciennes pour s’ajuster à une opinion publique « fabriquée » (Noam Chomsky) [25] et à des silences gênés de groupes environnementaux à la recherche de subventions gouvernementales et de celles de fondations ou recourant à des collectes publiques pour lesquelles un appui des monopoles médiatiques est nécessaire. Ajoutons-y que des cibles à moyen et à long terme seulement sont des pièges de politiciens néolibéraux pour attraper un public non averti afin de passer outre à ses responsabilités lors d’un premier mandat.
Ces pièges, dans l’esprit de la Conférence de Paris, misent sur des miracles technologiques émergents à moyen et long terme, tels la séquestration du carbone soit-disant carbo-neutre, particulièrement celle combinée avec la reforestation lesquelles ensemble seraient carbo-négatives, sans compter à l’horizon d’autres méga projets de géo-ingénierie [26]. Non seulement les entreprises de charbon pourraient-elles prétendre à la pérennité « verte » mais aussi les transnationales du pétrole qui verraient leurs émanations de GES compensées par l’accaparement « vert » des forêts mondiales aux dépens des peuples autochtones et des autres habitants de la forêt. En découle l’attitude zen des ExxonMobil de ce monde au sujet de la Conférence de Paris [27], ce qui n’efface en rien les nouvelles révélations sur « le mensonge des pétrolières sur le climat » [28].
La stratégie tout marché faussement écologique du capital financier et pétrolier
Cette stratégie de Paris permet au capital de sauver la valeur menacée des réserves d’hydrocarbures, possiblement 100 billions $ [29], tout en ouvrant au capital un nouveau vaste champ d’accumulation rendu profitable à coups de subventions financées par de régressifs marchés ou taxes sur le carbone combinés à une panoplie d’autres écotaxes (péages sur les ponts et stationnements), le tout en remplacement d’évanescents impôts sur les profits, le capital et les revenus élevés [30]. Avec ces écotaxes, les riches (et les classes moyennes) s’adaptent et souvent en profitent (ex. circulation moins dense) pendant que les classes inférieures écopent. En résulte une aggravation de la pauvreté et des inégalités et une opinion publique anti-écologique.
Taxer le carbone ? Pourquoi pas mais sans pénaliser les classes populaires coincées entre la lutte pour la survie et une taxe régressive ce qui sapera leur mobilisation écologique... et leur mobilité. Taxons alors les biens de consommation à la fois énergivores et luxueux tels les VUS et berlines, les grands logements en fonction de la taille du ménage, les résidences secondaires et les véhicules dit récréatifs. Taxons peut-être le carbone mais en s’assurant qu’il y ait un mécanisme progressif de redistribution envers les classes populaires tout en s’assurant qu’une portion substantielle contribue au fonds vert.
Mobiliser toute l’épargne nationale par l’indépendance pour exproprier les banques
La solution passe par des révolutions immédiates de nos systèmes énergétiques, de transport, de l’agriculture et de l’urbanisme, possibilité entrouverte par le plan « Sortir du pétrole » Solidaire [31] à condition de le bonifier significativement et de le libérer du financement par le capital financier. Ces révolutions sont impossibles en tentant d’influencer le marché sous contrôle de quelques centaines de transnationales dont seulement 90 d’entre elles ont causé les deux tiers des émissions historiques de GES [32].
Toute l’épargne nationale est à mobiliser pour réaliser ces révolutions ce qui suppose l’expropriation des banques et consorts de même qu’une réforme fiscale radicale, et le rejet du libre-échange, ce qui à son tour suppose l’indépendance. Idem pour obtenir le plein contrôle sur les systèmes de transport y compris pour les matières énergétiques et ainsi cesser de subir les humiliations nationales des TransCanada et des Canadien Pacifique.
Ainsi on aura les moyens, tout en ayant mis fin à la dictature de la finance, de se doter de programmes drastiques votés démocratiquement mais d’application obligatoire pour le bâtiment, le transport (avec interdiction à terme de l’automobile privée), l’énergie (avec priorité sur la sobriété et l’efficacité), la souveraineté alimentaire agro-biologique et une ville de piétons-vélos-transport collectif-agriculture urbaine. Faut-il ajouter que la mise en place de ces « grands chantiers écologiques », comme les appelait Québec solidaire lors de sa campagne électorale de 2008 [33], aboutirait au plein emploi écologique et à la fin de la pauvreté une fois libéré du joug de la finance et du libre-échange.
Marc Bonhomme, 6 mars 2016
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca