Mieux encore, c’est-à-dire bien pis, il veut convaincre la population et les autorités de détecter les gènes de la violence dès le fœtus. Dans la mouvance des grandes fondations philanthrocapitalistes états-uniennes et de notre vénérée fondation Chagnon, qui prétendent lutter contre la pauvreté et réformer la société en changeant les individus un par un, cette obsession de trouver le mal dans un bouton particulier qu’il suffirait de crever, est d’un simplisme monstrueux, faisant totalement abstraction des sciences sociales (on sait bien, ce ne sont pas de « vraies sciences ») et même de l’épigénétique (et là, c’est un peu plus gênant parce que c’en est une « vraie »).
Tout cela n’est pas sans rappeler les projets eugénistes de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième. Sous la promesse de lendemains radieux et d’un homme nouveau se cache la réalisation d’un univers plat et lisse d’où la contestation est éradiquée puisqu’elle est automatiquement étiquetée comme violente.
Et si on se met à étiqueter les enfants (ou même les fœtus) comme violents sans leur donner la chance d’évoluer à leur façon, ne cherche-t-on pas à créer des troupeaux d’individus conformistes, et donc productifs comme des machines. C’est bien ce que semblent nous promettre les chantres de l’économétrie Heckman, Knudsen, Cameron et Shonkoff dès la première page de leur article Economic, neurobiological, and behavioral perspectives on building America’s future workforce (consultable en ligne http://www.pnas.org/content/103/27/10155.full.pdf%5D). On y lit (je traduis) : « [L]es études sur la formation du capital humain indiquent que la qualité de l’environnement de la prime enfance est un solide prédicteur de la productivité à l’âge adulte. »
Et le sociologue Nicola Guilhot nous met en garde contre les bonnes intentions des philanthrocapitalistes : « En contribuant au développement en bas âge [des individus], les philanthropes cherchent à s’assurer que la réforme sociale soit conforme à leurs propres intérêts. » (« Reforming the World : George Soros, Global Capitalism and the Philanthropic Management of the Social Sciences », Critical Sociology, nº 33, p. 449, ma traduction.)
Ces apprentis sorciers qui voudraient bien domestiquer la force de travail ou guérir le gène de la violence oublient la complexité de l’être humain qui a besoin d’être violent quand c’est nécessaire, car c’est ce qui lui permet d’être doux quand c’est nécessaire. On a l’impression de se retrouver devant les curés qui voulaient exorciser le diable et faire sortir le méchant de la bête ou comme ces médecins du dix-huitième et du dix-neuvième qui espéraient trouver quelque part dans le corps humain la gâchette responsable de la bonté ou de la cruauté.
Comme si l’agressivité n’était pas, elle aussi, nécessaire au développement humain. C’est une question de dosage et de canalisation. Si un enfant ne mesure pas sa force, n’est-ce pas normal ? On ne lui coupe pas la main pour autant, on lui apprend à s’en servir. N’est-ce pas ce que les mères (et les parents maintenant) font depuis les débuts de la civilisation ? On n’a pas besoin de cibler des fœtus pour savoir ça. Sait-on aussi ce qui arrive à un enfant étiqueté comme délinquant potentiel ? Quelle surprise : il devient délinquant ! Vous venez de découvrir l’effet Pygmalion inversé.
Tout n’est pas génétique. Tout n’est pas social. Tout s’apprend, évolue, se civilise et les solutions miracles sont toujours plus dangereuses que le mal qu’elles prétendent déraciner.
[Mes remerciements à Élise Ducharme pour son mémoire de maîtrise Étude de l’impact de l’arrivée des fondations privées sur les organismes communautaires qui se consacrent à la famille déposé en 2010 dans lequel j’ai trouvé les références citées.]