Édition du 24 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Que penser de ce chèque - de 400$ ou de 600$ dollars - qui sera envoyé au cours des prochaines semaines ?

S’agit-il d’une mesure à appuyer ou à combattre ?

L’Inflation frappe et elle frappe fort en ce moment. Il y a des lustres qu’elle n’avait pas atteint un tel sommet. C’est depuis le début des années quatre-vingt-dix que la Banque du Canada a fixé la fourchette du taux annuel d’inflation entre 1 et 3% par année. Depuis quelques mois, nous assistons à un réel dépassement de ce plafond de 3%. Nous sommes en présence plutôt d’une spirale inflationniste imputable à différents facteurs sur lesquels nous ne nous attarderons pas ici. Nous nous intéressons, dans les lignes qui suivent, à ce chèque (de 400$ ou de 600$ dollars) qui sera bientôt émis par le gouvernement Legault.

L’inflation laisse peu de personnes indifférentes. Dans la présente conjoncture, caractérisée par une hausse de la flambée des prix et également des taux d’intérêt, il y a nécessairement des entreprises ou des personnes gagnantes et des perdantes. Les institutions bancaires et plusieurs entreprises (grandes comme moyennes ou petites) font des profits importants ou imposants. Alors que des personnes au travail ou à la retraite éprouvent incontestablement de la difficulté à joindre les deux bouts. Que penser de ce chèque qui sera envoyé, d’ici la fin de l’année, à environ 6,5 millions de contribuables québécois ? Justin Trudeau a semblé remettre en question le geste que le gouvernement Legault s’apprête à poser au moment où les provinces réclament davantage d’argent pour affronter le coût du système de santé[1]. Mais jusqu’où doit-on mener notre pensée critique au sujet de cette aide ponctuelle de la part du gouvernement du Québec à l’endroit de certainEs contribuables ?

L’état actuel des finances publiques

Nous aurons sous peu un portrait un peu plus exact de la situation des finances publiques du Québec. Quoi qu’il en soit, le gouvernement du Québec est apparemment disposé à distribuer, d’ici la fin de l’année, plus de 3,5 milliards $ de dollars pour l’année 2022-2023. Qui peut, à première vue, s’opposer à une telle mesure qui nous est présentée comme devant servir à « aider les Québécois à faire face à l’inflation » ?

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/le-gouvernement-agit-pour-aider-les-quebecois-a-faire-face-a-linflation-43927. Consulté le 12 novembre 2022.

Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une démarche d’ensemble de la CAQ qui combine deux éléments de son plan de lutte à l’inflation :

1) Une baisse d’impôt des deux premiers paliers d’imposition et

2) une distribution universelle de chèques de 600$ aux contribuables ayant gagné moins de 50 000$ en 2021 ou de 400$ aux contribuables ayant gagné entre 50 000$ et 100 000$.

La FTQ a parfaitement raison de voir qu’il n’y a rien de structurant dans cette approche « cacocratique » de baisse des deux paliers d’imposition et de distribution d’un chèque à 6,5 millions de contribuables. Au moment où le financement des services publics est inadéquat et que la rémunération des salariéEs des secteurs public et parapublic est encore à la traîne face à ce qui est versé dans d’autres secteurs publics (le gouvernement fédéral et les municipalités notamment), il aurait été préférable que François Legault se rappelle qu’il n’a consenti qu’un modeste six pour cent d’augmentation salariale (pour une période de trois ans) à ses propres salariéEs, qui sont à 75% des femmes. Certaines des personnes qui vont recevoir ce chèque-surprise auront eu droit, au cours des trois dernières années, à une augmentation salariale supérieure à celle accordée aux personnes à l’emploi du gouvernement du Québec. Ceci illustre selon nous le caractère absolument inéquitable de cette mesure promise lors de la plus récente campagne électorale.

En bout de piste, cette distribution inhabituelle semble, à première vue, neutre. Hélas, elle ne l’est pas. Il s’agit d’une mesure passagère qui n’a rien de durable sur le plan de l’échelle salariale ni non plus au niveau de certaines rentes de retraite. De plus, nous y voyons un détournement de fonds public vers des entreprises qui sous rémunèrent leurs employéEs. Elle correspond, à nos yeux, à une subvention salariale indirecte accordée à certaines entreprises privées. La pleine protection du pouvoir d’achat des salariéEs (syndiquéEs ou non) et des retraitéEs, est une responsabilité qui incombe aux employeurs et doit se jouer au niveau du lieu de travail ou de la définition des politiques sociales de l’État. Il serait largement préférable que le gouvernement du Québec augmente substantiellement le salaire minimum, qu’il bonifie les montants du crédit d’impôt pour la solidarité et qu’il ajuste à la hausse les prestations d’assurances sociales[2].

Conclusion

Le chèque de 400$ ou de 600$ dollars qui sera envoyé à 6,5 millions de contribuables correspond à une mesure provisoire qui s’apparente à une distribution arbitraire et clientéliste. Cette aide momentanée découle uniquement de cette approche capricieuse du gouvernement Legault qui veut montrer qu’il en fait « beaucoup » pour la majorité de la population en cette période difficile. Elle sera versée sans tenir compte des hausses salariales obtenues par certaines personnes au travail. Il s’agit selon nous d’une mesure à combattre.

Hâte de voir à quoi correspondra la proposition monétaire du gouvernement Legault pour le prochain contrat de travail dans les secteurs public et parapublic. Depuis 2002, les augmentations salariales paramétriques accordées aux salariéEs syndiquéEs de ces deux secteurs ont varié entre 0 et 2% par année. Des augmentations salariales que nous pouvons qualifier « d’augmentations rachitiques ». L’indexation des salaires doit être une mesure automatique, comme c’est le cas avec la pension de la Sécurité de vieillesse qui est régulièrement ajustée sur une base trimestrielle en tenant compte des variations qui se produisent dans l’Indice des prix à la consommation.

Yvan Perrier

13 octobre 2022

7h 45

yvan_perrier@hotmail.com

[1] Manifestement, le gouvernement fédéral doit hausser sa participation au financement du système de santé. Ce financement était à l’origine de l’ordre de 50%. Il s’élève en ce moment à 22%. Les provinces réclament qu’il soit relevé à 35%.

[2] Citation d’idée prise dans l’article d’Alexandra Duchaine. « FTQ : pour un réel engagement ». Le Devoir. 22 octobre 2022. Voir à ce sujet l’article suivant : https://www.ledevoir.com/societe/765635/ftq-pour-un-reel-engagement. Consulté le 22 octobre 2022. Les organisations syndicales réclament que le salaire minimum soit relevé à 18$ l’heure.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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