Objectif : en finir avec l’État social. À bas la protection des droits sociaux, de l’environnement, de l’économie nationale et du bien commun ! Place à un protectionnisme à l’envers : ils faut protéger, appuyer et pistonner les intérêts privés !
Rappelons les quatre impératifs catégoriques du néolibre-échange : dérèglementation, privatisation, suppression des barrières tarifaires et non tarifaires, flexibilité des travailleuses et travailleurs appelés à plier toujours plus.
Globalitaire, le néolibre-échange englobe non seulement les marchandises, mais aussi et surtout les services, les investissements, les achats publics, l’agriculture et la surprotection des brevets des multinationales.
Ajoutons-y la trouvaille juridique du siècle : l’instauration d’un tribunal privé, supra-étatique, pour régler les litiges entre les investisseurs étrangers et les États. Il s’agit d’une sorte de cour suprême, au-dessus des tribunaux nationaux, devant laquelle les compagnies peuvent traîner les gouvernements pour « abus de règlementation » en matière de droits sociaux, d’environnement et de santé publique. Des « abus » qui leur feraient perdre des profits.
Enfin, un point commun à tous ces mégatraités : la cachoterie. Signe qu’ils ont quelque chose de gros à cacher.
1- L’Accord de partenariat transpacifique piloté par les États-Unis
Des quatre mégaprojets en question, l’Accord de partenariat transpacifique (APTP) apparaît aujourd’hui comme le plus avancé. Déjà paraphé et signé (1), il devrait passer sans problème l’étape de la ratification.
Les États-Unis, qui ont lancé et piloté ce projet du début à la fin des négociations, se sont facilité la tâche en sélectionnant, comme premiers signataires, un groupe de onze États dociles, gagnés d’avance à l’idéologie néolibre-échangiste : l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Ce n’est qu’un début, car on espère qu’une fois l’Accord conclu, d’autres États viendront s’y joindre.
Dès son accession au pouvoir, en 2009, le président Obama a fait de cet Accord le pivot de l’influence des États-Unis en Asie et dans tout le Bassin du Pacifique. Ainsi donc, en plus de ses visées néolibérales, l’APTP poursuit un double objectif : 1) assurer l’hégémonie de l’économie états-unienne dans cette vaste zone qui représente 56% du PIB mondial, 50% du commerce international et bientôt les deux tiers de la population mondiale ; 2) contrer la montée en puissance de la Chine qui, de son côté, travaille à la création de projets rivaux, comme le Regional Comprehensive Economic Partnership – le Partenariat économique régional global – qui regroupe 15 pays, dont des poids lourds comme l’Inde et la Corée du Sud.
Pour avoir les coudées franches dans la réalisation de ce grand dessein, Obama a fait voter par le Sénat, avec l’aide des Républicains, la loi du Fast Track, qui lui a permis de négocier et de signer l’Accord sans l’intromission du Congrès. Celui-ci n’interviendra que pour le ratifier ; il ne pourra le modifier, mais seulement l’accepter ou le rejeter en bloc. On peut parier que les lobbies d’affaires feront le nécessaire pour que le Congrès s’incline, le moment venu.
Côté canadien, l’APTP, négocié et paraphé par le gouvernement ultraconservateur de Stephen Harper, a été signé le 4 février dernier par le gouvernement de Justin Trudeau, sans en changer un mot. Ni le public, ni le parlement n’ont été consultés sur le contenu. Ils ne le seront pas non plus, si ce n’est pour la forme. Car il faut savoir que, dans le système politique canadien, la signature et la ratification d’un accord international sont des prérogatives de l’exécutif, héritier d’un pouvoir royal en la matière. Le Conseil des ministres ratifiera l’Accord par décret. Le Parlement n’interviendra que pour adapter les lois existantes aux termes de l’Accord.
Les jeux sont faits : l’APTP devrait entrer en vigueur dans deux ans.
2- L’Accord de Partenariat transatlantique entre deux titans de l’économie capitaliste
En négociation depuis juillet 2013, l’accouchement de l’Accord de partenariat transatlantique (APTA) entre les États-Unis et l’Union européenne s’avère plus ardu.
La très néolibérale Commission européenne, qui négocie l’APTA au nom des 28 États de l’Union, appuie de tout son poids le projet. Mais les peuples d’Europe regimbent. Une Initiative citoyenne a réuni près de 3,5 millions de signatures contre l’Accord. La plupart des parlements nationaux, notamment ceux d’Allemagne et de France, s’inquiètent également. Ils craignent une perte fatale de souveraineté. La principale pierre d’achoppement demeure le controversé tribunal supra-étatique, qui laisse les États à la merci des investisseurs transnationaux.
C’est ainsi qu’après 12 cycles de négociations – le dernier réalisé à Bruxelles, le 25 février dernier – aucun accord de principe n’est encore intervenu.
Si cet hyperpartenariat transatlantique aboutit, on verra deux titans de l’économie capitaliste – les États-Unis et l’Union européenne – ou bien s’entredéchirer sur le dos des peuples ou bien se liguer pour faire échec à la nouvelle alliance Chine-Russie.
3- L’Accord économique et commercial global canado-européen, une couleuvre que les peuples européens refusent d’avaler
Négocié dans le plus grand secret depuis mai 2009, l’Accord économique et commercial global (AECG) a connu un développement rocambolesque. Paraphé en octobre 2013, puis paraphé de nouveau en août 2014, il est signé solennellement à Ottawa le 26 septembre 2014 par le premier ministre Harper et les présidents respectifs de la Commission européenne et de l’Union européenne. Signature précipitée, question de chambouler les résistances. Car, des deux côtés de l’Atlantique, les peuples s’insurgent à l’idée de voir leurs gouvernements poursuivis par des compagnies transnationales. Les parlements nationaux s’inquiètent également pour les mêmes raisons.
Les résistants européens mettent dans le même sac l’AECG et l’APTA, car les filiales de compagnies états-uniennes installées au Canada pourraient utiliser aussi bien le tribunal de l’AECG que celui de l’APTA pour poursuivre les gouvernements et imposer à l’Europe leurs normes techniques, sociales et alimentaires.
Devant tant d’oppositions, la Commission européenne a finalement proposé une nouvelle mouture du tribunal ci-devant bricolé à chaque litige. Il s’agirait maintenant d’une cour permanente et transparente : le Système de cour sur l’investissement (SCI). Cette concession ne satisfait guère les opposants, car le SCI ne corrige pas le vice fondamental du système : l’octroi de droits exorbitants aux investisseurs étrangers habilités à contester les législations nationales.
Le 2 février, la ministre canadienne du Commerce et la commissaire européenne au Commerce ont annoncé qu’elles venaient de finaliser les négociations… déjà deux fois finalisées, deux paraphées et signé.
Reste l’étape finale : la ratification par les 28 parlements nationaux, la plupart réticents. Pour éviter tout déraillement, la Commission propose un dernier forcing : que l’Accord soit d’abord ratifié par le Parlement européen, plus accommodant, pour entrer aussitôt en vigueur « de façon provisoire »… en attendant la ratification éventuelle par chacun des 28 parlements.
4- L’Accord sur le commerce des services, pour que privatisation rime avec privation
En mars 2013, une cinquantaine de pays – dont le Canada – se sont furtivement réunis à l’ambassade de l’Australie, à Genève, dans le but de négocier un nouvel Accord sur le commerce des services, connu sous son acronyme anglais : TISA (Trade in Services Agreement). Or, il existe déjà, depuis 1995, un Accord général sur le commerce des services (AGCS) régi par l’OMC. Qu’à cela ne tienne ! Les compagnies spécialisées dans les services estiment que l’AGCS n’a réalisé que très mollement son mandat, par ailleurs trop timide.
Le TISA vise à supprimer toutes les normes et règlements nationaux qui entravent la mainmise des multinationales sur les services, tels les soins de santé, l’éducation, l’électricité, les transports et plus de 150 autres secteurs identifiés comme des services à privatiser et à commercialiser. Des centaines de milliards de dollars en perspective…
Le peu que nous savons de cette manœuvre ultra secrète, nous le devons à WikiLeaks qui nous apprend, par la même occasion, que les États-Unis ont mis un copyright sur ce projet qu’ils ont eux-mêmes concocté. Divulgation interdite pendant au moins cinq ans.
Des politiciens soumis et collusionnaires
Les multiples accords de néolibre-échange signés depuis la fin des années 1980 ont mis nos politiciens genoux. L’objectif est maintenant de les coucher. On les veut soumis et collusionnaires, collaborateurs actifs dans le démantèlement de l’État social. L’ordre est dans l’air depuis le début de cette nouvelle ère néolibérale.
Voyez-les l’œuvre, les Couillard, Coiteux et compagnie, avant même la conclusion des accords susmentionnés. Voyez comment le ministre Barrette procède subrepticement et méthodiquement, depuis deux ans, à la déconstruction de notre système public de santé et de services sociaux. Il s’apprête maintenant à défoncer la première ligne. « Les CLSC sont un échec », a-t-il décrété (Le Devoir, le 4 mars 2016). Il faut transférer le gros de leurs ressources vers les cliniques privées, gérées par des médecins « incorporés », heureux de pouvoir faire encore plus d’argent.
Quand les deux parties déclarent que les négociations sont terminées, et qu’elles s’entendent sur un texte final, les ministres du Commerce international y apposent leurs paraphes ou initiales ; l’accord est paraphé. Les juristes des deux bords procèdent ensuite au « toilettage juridique » et peuvent y glisser des précisions subtiles, parfois surprenantes. Enfin, intervient la signature, normalement par les chefs d’État et de gouvernement. Curieusement, l’APTP a été signé par des ministres seulement, sans parade protocolaire. Question sans doute d’éviter de nouvelles protestations de la part de groupes durement touchés par l’accord, comme cela s’est produit, lors de la dernière campagne électorale, quand le gouvernement conservateur a annoncé que l’APTP avait été paraphé.
Voir en ligne : Publié sur L’Autre Journal