« Climat et Justice Sociale » a invité quatre témoins internationaux à faire part de leur expérience devant l’Assemblée européenne des peuples pour la justice climatique », coorganisée par les Amis de la Terre, Via Campesina, Climate Justice Action et CJS les 27 et 28 novembre à Bruxelles. Les militants ont ainsi pu entendre Peter Polder, militant du Groen Front (Pays-Bas) ; Manolo Gari, directeur d’ISTAS - Commission Ouvrières et militant d’Izquierda anticapitalista (Etat espagnol) ; Evguenia Tchirikova, dirigeante du mouvement pour le sauvetage de la forêt de Kimkhy (Russie) et Qalandar Bux Memon, chargé de conférence à l’université de Lahore, militant de la Labor Relief Campaign et membre du Labor Party of Pakistan. Evguenia Tchirikova a en outre pris la parole avant le départ de la manifestation appelée par la Coalition climat, et Qalandar Bux Memon à la fin de celle-ci. Nous synthétisons ci-dessous les informations et l’analyse de la situation au Pakistan par Qalandar Memon.
Les inondations au Pakistan l’été dernier sont une manifestation des changements climatiques. Mais la catastrophe a été aggravée par les caractéristiques sociales du pays, produit de son histoire, ainsi que par la situation politique actuelle.
L’élite pakistanaise comprend trois catégories sociales qui représentent ensemble moins de 5% de la population : les grands propriétaires terriens, la caste militaro-bureaucratique et la bourgeoise industrielle nationale. Tous trois sont étroitement liés au grand capital multinational, US en particulier, et leur forme actuelle est un produit de la colonisation britannique. Depuis l’indépendance en 1947, le pays connaît une dictature militaire. La répartition du budget de l’Etat donne une idée de l’inégalité sociale qui caractérise le pays : 60% est consacré aux forces militaires (les aides US - 15 milliards de dollars ces dernières années- ne sont pas comprises dans ce chiffre), 30% vont au service de la dette extérieure, et 10% à peine aux autres fonctions de l’Etat (dont 0,5% à la santé et 2% à l’éducation).
Le bilan des inondations tient en quelques chiffres : 2000 morts ( probablement beaucoup plus si l’on tient compte des nouveaux nés, des femmes en couche, des personnes âgées décédées après la catastrophe, en conséquence de celle-ci) ; 20 millions de personnes affectées (sur une population totale de 180 millions), un cinquième du pays envahi par les eaux pendant plus de deux mois, destruction de deux millions d’hectares de terres arables, destruction de nombreuses infrastructures (ponts, etc.) dans les provinces de Sindh et de Swat ; 5,3 millions d’emplois perdus. Une catastrophe de grande ampleur, qui s’ajoute aux séquelles du récent tremblement de terre au Cachemire. Une catastrophe qui a touché quasi exclusivement les pauvres.
Les inondations sont le produit direct de certaines manifestations des changements climatiques, en particulier la fonte des glaciers de l’Himalaya et la violence exceptionnelle des pluies de mousson (200 fois la normale). Mais les effets ont été décuplés par trois facteurs socio-politiques :
Le modèle d’aménagement du bassin de l’Indus. Le système traditionnel, analogue à celui qui est pratiqué dans la vallée du Nil depuis l’antiquité, consistait à accompagner les crues plutôt qu’à tenter de les endiguer. Le colonisateur britannique l’a remplacé par un dispositif de barrages et digues servant à alimenter des canaux, dans le but d’étendre les cultures irriguées.
Ce dispositif a été encore renforcé à partir des années ’60, pour les besoins de l’agrobusiness. Or, il a pour conséquence que les sédiments ne sont plus chassés vers le delta, donc s’accumulent dans le lit du fleuve dont le niveau s’élève par conséquent, de sorte que la menace d’inondations augmente ;
La déforestation dont les mafias de l’abattage illégal se rendent coupables dans les provinces du Nord, avec la complicité de la classe dominante, dont elles font partie ;
La destruction des mangroves dans le delta, due notamment à la pollution par les déchets chimiques de l’industrie, avec pour conséquence la perte d’une zone tampon de grande richesse biologique entre le fleuve et l’océan.
De plus, dans certains cas, des décisions politiques précises ont été prises qui ont aggravé l’impact social de la catastrophe alors que des alternatives étaient possibles. Qalandar nous a ainsi donné l’exemple d’une région où les autorités avaient le choix entre deux possibilités : ouvrir une brèche dans les digues pour laisser l’eau s’écouler du côté d’une vaste zone appartenant à l’armée, ou du côté d’une zone habitée par 400.000 personnes. La deuxième option fut adoptée, sous la pression de la caste militaire et des alliés américains…
L’Etat pakistanais n’a pratiquement rien fait pour aider les victimes, selon Qalandar Memon, parce que les moyens dégagés ont été massivement détournés par la corruption à tous les niveaux. Les USA ont freiné la mobilisation de l’armée au secours des victimes. Par contre, la mobilisation populaire a été importante. Notre invité est actif dans le cadre de la Labor Relief Campaign. Il nous donne l’exemple de la ville de Lahore, où les collectes de solidarité ont permis de récolter 300.000 Euros. Même des mendiants donnèrent une part de leurs maigres ressources pour venir en aide aux victimes. La Labor Relief Campaign organise aussi des cuisines itinérantes. « Pas seulement avec des femmes, des hommes aussi font la cuisine », précise Qalandar.
Dans le cadre de la prise en charge populaire de la solidarité et des solutions à apporter, une autre expérience intéressante doit être mentionnée : le Labor Party of Pakistan, dont Qalandar est membre, met sur pied un projet de commune agricole, dans le but de montrer en pratique qu’un autre modèle de développement est possible. Un modèle dans lequel il n’y aura plus 80% de paysans sans terre !
« Le changement climatique est là, la catastrophe est déjà en marche dans le Sud, conclut Qalandar. Continuez à lutter conjointement pour la justice sociale et contre le réchauffement global ». Le message a été reçu cinq sur cinq par les participant-e-s !
En fin de journée, devant les manifestant-e-s rassemblé-e-s au Mont des Arts, Qalandar Memon ajouta une autre dimension : la lutte contre la guerre. « Il n’y a pas que les inondations. L’OTAN et les USA lancent tous les jours des bombes sur l’Afghanistan et sur le Pakistan. Elles font non seulement des dégâts humains mais aussi des dégâts écologiques. Nous devons mener une lutte globale : sociale, économique, écologique et morale ».