Qu’est-ce qu’un milieu humide ?
Au Québec, les milieux humides occupent plus ou moins 17 millions d’hectares, soit environ 10 % du territoire. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs les définit comme « l’ensemble des sites saturés d’eau ou inondés pendant une période suffisamment longue pour influencer la nature du sol et la composition de la végétation » (1). Qu’il s’agisse d’étangs, de marais, de marécages ou encore de tourbières, ce sont des écosystèmes d’une grande valeur écologique. Ils soutiennent une biodiversité riche, dont un certain nombre d’espèces reconnues comme menacées ou vulnérables. Ils sont essentiels au fonctionnement des bassins versants. Par ailleurs, ils procurent à la population une quantité importante de biens et de services hautement profitables tant écologiquement qu’économiquement tels que l’atténuation de l’érosion, la captation du carbone ou la préservation des habitats pour la biodiversité.
Comment un milieu humide peut-il aider le climat ?
Les milieux humides ont un grand potentiel en matière d’atténuation des changements climatiques. En effet, les milieux humides, tels que les tourbières, sont reconnus pour leur rôle de stockage du CO2 et peuvent agir comme puits de carbone s’ils sont bien conservés (2). En protégeant et restaurant les milieux humides, il serait possible de réduire les émissions de GES d’environ 15,5 mégatonnes d’équivalent CO2 par an, pour un cumulatif de 82,6 mégatonnes d’ici 2030 au Canada (3). Soit le potentiel de réduire l’équivalent des émissions GES de 347 012 domiciles chaque année, pendant 30 ans (4).
Par exemple, dans la mesure du possible, éviter de perturber les tourbières, pour l’extraction de tourbe, pourrait contribuer à réduire les émissions de 10,1 mégatonnes. Toutefois, sur le terrain, les solutions nature doivent être mises en place dans le respect de plusieurs critères dont être économiquement viables et reposer sur des processus de gouvernance inclusifs. Cela implique de s’assurer de la participation de toutes les parties prenantes et de prendre en compte les réalités économiques des entreprises et des travailleurs et travailleuses de la région.
Des espaces naturels en danger
« Bien que leur importance soit reconnue depuis plusieurs décennies, des milieux humides et hydriques continuent d’être détruits ou perturbés, particulièrement dans le sud du Québec, où les effets du développement lié aux activités humaines sont les plus notables », déclare le rapport de la commissaire au développement durable fin avril 2023. Selon Janique Lambert, d’importantes lacunes sont observables dans la gestion des milieux humides et hydriques par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) (5).
Encore aujourd’hui, des citoyen-ne-s et organismes environnementaux dénoncent les nombreuses menaces auxquelles les milieux humides sont confrontés. Il peut s’agir de développements immobiliers ou routiers, de certaines pratiques agricoles, de l’exploitation de tourbières ou encore l’agrandissement de sites d’enfouissement. Tous ces projets de développement impliquent de remblayer ou de drainer les milieux humides, et donc de détruire ces espaces et leurs bienfaits pour l’environnement.
Un rôle important pour l’adaptation
En fonction de leur condition et de leur gestion, les écosystèmes peuvent jouer un rôle essentiel dans notre capacité à faire face aux impacts des changements climatiques. Les milieux humides atténuent l’érosion et les inondations, régulent les températures et captent du carbone. De plus en plus d’études montrent que le potentiel de séquestration du carbone d’une tourbière peut être jusqu’à 5 fois plus élevé que dans les arbres (7).
– Les marais et les tourbières agissent comme des réservoirs naturels de carbone, contribuant ainsi à réduire les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
– Les milieux humides ont la capacité de stocker et de libérer l’eau de manière régulée, ce qui peut aider à atténuer les sécheresses et les pics de crue, donc réduire l’impact des inondations.
– La restauration des rives d’une rivière contribue à notre adaptation aux phénomènes climatiques tels que les précipitations extrêmes et l’élévation du niveau de l’eau.
Les milieux humides et hydriques en santé ont donc le potentiel de générer de nombreux co-bénéfices tels que le maintien de la qualité de l’eau et de l’air (3), la création de refuges pour la biodiversité et la protection contre les événements climatiques extrêmes. Ces co-bénéfices font de la préservation et la restauration des milieux humides un point essentiel pour renforcer notre résilience face aux changements climatiques et minimiser leurs impacts. C’est ce qu’on appelle une « solution nature pour le climat ».
Une "solution nature"
Saviez-vous que les écosystèmes peuvent fournir à eux seuls plus d’un tiers des efforts mondiaux nécessaires à la lutte aux changements climatiques d’ici 2030 ? Les solutions nature pour le climat (SNC) (nature-based climate solutions en anglais) sont un ensemble d’actions mettant de l’avant les écosystèmes dans la réduction des émissions de GES et l’adaptation aux changements climatiques. Les milieux humides sont une partie de la solution. Découvrez le rôle des autres écosystèmes québécois grâce à notre projet En mode solutions nature.
Conserver, restaurer, protéger
Maintenant qu’on sait à quel point les milieux humides sont précieux, la solution la plus évidente et la plus efficace pour maintenir leurs fonctions climatiques est tout simplement… de les protéger ! Voici trois exemples généraux de solutions nature pour le climat en milieux humides :
Il faut avant tout dénoncer et bloquer les projets de développement qui menacent les milieux humides et hydriques et leurs écosystèmes. Par exemple, on peut vouloir éviter leur conversion en stationnement ou en terre agricole. Au Québec, nous avons des exemples récents impliquant une variété d’acteurs.
L’exemple des MRC de Drummondville et d’Arthabaska
Dans les MRC de Drummondville et d’Arthabaska, sept propriétaires ont décidé de protéger les milieux humides présents sur leurs terrains dans le cadre d’un projet de conservation volontaire initié par le Conseil régional de l’environnement du Centre-du-Québec (6). Certain-e-s ont :
– effectué les travaux en hiver sur sol gelé, ce qui diminue la compaction des sols et limite la formation d’ornière qui nuit à la circulation de l’eau ;
– partagé la caractérisation des milieux humides avec des ingénieur-e-s forestier-ère-s pour se faire guider dans l’exécution des travaux tout en préservant le milieu et les espèces d’importance,
– ajouté de la végétation pour les oiseaux et les abeilles,
– reconnu et éliminé le nerprun bourdaine, qui est une plante exotique envahissante,
– récolté de l’information sur les différentes possibilités de conservation, comme les dons écologiques et les servitudes.
Des cobénéfices pour les résident-e-s de la ville de Sainte-Marie
En protégeant et restaurant les milieux humides, les propriétaires, organismes et municipalités permettent de sauvegarder d’importants puits de carbone, de préserver des habitats fauniques et de maintenir des services écosystémiques dont profite la communauté.
En plus d’apporter une eau, des lacs et des conditions de vie de qualité, les milieux humides sont pour l’être humain des lieux de détente et de loisirs appréciés et faisant partie du patrimoine (8). Ils sont des lieux privilégiés pour les personnes amoureuses de la nature, observatrices de la faune et habituées des randonnées. Ils sont souvent des lieux prisés des chasseur-euse-s et pêcheur-euse-s.
Par exemple, dans la Ville de Sainte-Marie, un marais avait disparu à cause de l’agriculture et de l’urbanisation dans les années 1890. En 2009, la Corporation du Domaine du Seigneur Taschereau lance un projet pour, entre autres, restaurer le marais disparu en réservant une superficie de 22 000 m2 pour le nouveau marais et pour favoriser l’établissement de la faune. Des arbres, arbustes et plantes aquatiques indigènes ont été plantés et ensemencés. Ceci a permis de réhabiliter les fonctions écologiques du milieu, d’améliorer la qualité des eaux de surface et de mettre le site en valeur. En plus de tous ces effets écologiques bénéfiques, la restauration du marais a permis d’augmenter la capacité de stockage des eaux de crue de 1100 m3, ce qui diminue les effets des inondations. Nous pouvons aussi noter des bénéfices sociaux importants puisque ce site est fréquenté par les citoyen-ne-s et constitue un attrait touristique important de la ville.
Et moi, qu’est-ce que je peux faire ?
Du point de vue du citoyen, vous pouvez vous renseigner sur les milieux humides à proximité de chez vous, vous tenir informé-e-s des projets de construction et sonner l’alarme s’ils se trouvent dans des milieux naturels tels que des forêts ou des tourbières. Vous pouvez appuyer des initiatives concrètes et vous assurer de la mise en œuvre de solutions nature autour de chez vous. Vous pouvez convaincre les décideur-euse-s de mettre en place des politiques et des actions de protection des milieux humides et de la nature de proximité. Parlez des solutions nature à votre entourage, à votre conseil municipal, à vos député-e-s. Faites-en une question de l’urne lors des élections.
Les milieux humides et hydriques sont de véritables « solutions nature pour le climat » et sont essentiels à l’équilibre de nos écosystèmes. Au même titre que les forêts, ces espaces naturels contribuent à l’adaptation aux changements climatiques et nécessitent une protection et une restauration adaptée.
Rédaction
Lucie Bédet
Révision
Anne-Céline Guyon, Gabriel Marquis, Rachel Charbonneau
Références
1- Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Conservation des milieux humides et hydriques, consulté en juin 2023.
2- Pörtner, H.O., Scholes, R.J., Agard, J., et al. 2021. Scientific outcome of the IPBES-IPCC co-sponsored workshop on biodiversity and climate change ; IPBES secretariat, Bonn, Germany, DOI:10.5281/zenodo.465915
3- U.S. Environmental Protection Agency, Greenhouse Gas Equivalencies Calculator, consulté en juin 2023.
4- Drever, D. R., Cook-Patton, S. C., Akhter, F., Badious, P. H., Chmura, G. L., Davidson, S. J., et coll. Natural climate solutions for Canada. Sci. Adv. 7, eabd6034 (2021).
5- Commissaire au développement durable, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2022-2023, avril 2023
6- L’Express, Cinq propriétaires de la MRC de Drummond s’engagent à protéger leur milieu humide, 27 mars 2021
7- Actualités UQAM, Le carbone des tourbières, Les écosystèmes tourbeux stockent plus de carbone que les arbres, révèle une étude publiée dans Scientific Reports, 1er février 2021
8- Convention on Wetlands Ramsar, 2010, CIC 2011.
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