Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Projet de loi n° 60 - Réforme des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles, un projet de loi résolument pro-patronal

La ministre du Travail, Lise Thériault, a déposé le 3 avril dernier le projet de loi n° 60 (Loi visant principalement la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail et son application aux domestiques). Ce projet de réforme, qui reprend bon nombre de revendications patronales, contient plusieurs reculs importants pour les travailleuses et travailleurs. En effet, tel que prévu, le projet de loi reprend en grande partie les controversées propositions de la CSST contenues dans le document La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail[1], document lui-même largement inspiré par le non moins controversé rapport Camiré.[2]

Examinons brièvement les faits saillants de ce projet de réforme.

Une réponse aux demandes du mouvement ouvrier ?

Si vous espérez retrouver dans ce projet de loi une quelconque satisfaction aux nombreuses revendications du mouvement ouvrier en regard des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles, vous serez fort déçus.

Du côté de la réparation, par exemple, aucune maladie du travail n’est ajoutée à l’annexe des maladies professionnelles (qui n’a pas changé depuis plus de 25 ans), aucune mesure n’est prévue pour faciliter la reconnaissance des lésions professionnelles (notamment les lésions psychologiques ou les lésions de « processus »), aucune modification n’est amenée pour régler la sous-indemnisation (la pénalité automatique de 10% du revenu est maintenue, la non-contribution aux régimes de sécurité sociale est maintenue, la mesure de redressement d’impôt est maintenue), aucune modification ne prévoit la diminution du rôle du BÉM (au contraire, on renforce ses pouvoirs) ni l’abolition des pouvoirs de contestation des employeurs en matière médicale, aucune modification n’oblige la CSST en matière de réadaptation à offrir des formations reconnues dans des institutions d’enseignement reconnues plutôt que dans des écoles privées bidons, aucune mesure n’est prévue pour compenser justement l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, etc.

C’est également le cas du côté de la prévention. En effet, contrairement au discours qui a circulé dans les médias à l’effet que deux millions de travailleuses et de travailleurs additionnels seraient dorénavant couverts par les mécanismes de prévention et de participation prévus par la LSST, aucun des amendements proposés n’étend ces mécanismes de prévention et de participation à d’autres secteurs d’activité économique.

Plutôt que de modifier la loi afin d’obliger la couverture de tous les secteurs d’activité (ce qui peut facilement être fait en ne changeant que quelques mots dans la loi actuelle), la ministre du Travail a choisi d’accorder à la CSST un nouveau pouvoir réglementaire un peu tordu qui lui permettrait éventuellement de fixer des règles différentes que celles prévues par la loi actuelle (la CSST pourrait en quelque sorte « réécrire » la loi !). Donc il faudrait attendre de voir si la CSST réussi à faire adopter un tel règlement et surtout de voir quels seraient les mécanismes de prévention qui y seraient prévus et à qui ils s’appliqueraient. Quand on sait que ça fait plus de trente ans que la CSST ne réussi pas à adopter un règlement pour que tous les secteurs de l’activité économique soient couverts (à cause de l’utilisation du droit de véto des représentants patronaux siégeant au CA de la CSST) et quand on apprend que le projet de loi diminue l’influence syndicale au sein du CA de la CSST en enlevant un poste aux représentants syndicaux (six postes au lieu de sept), on se doit de demeurer légèrement sceptique face à cette belle annonce…

En fait, les deux seules « bonnes nouvelles » contenues dans ce projet de loi sont que le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ne serait pas touché par la réforme (mais le patronat espère toujours pouvoir faire ajouter un amendement pendant l’étude du projet de loi) et que certaines travailleuses domestiques pourraient dorénavant bénéficier de certains droits en cas de lésions professionnelles. Mais ces deux éléments positifs à eux seuls ne peuvent faire le poids face aux nombreux reculs contenus dans ce projet de réforme.

La réparation des lésions professionnelles

En matière de réparation, les principales propositions de la ministre du Travail mettent de côté l’objectif de la loi, qui est la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences, afin de privilégier une réparation axée sur la réintégration au travail à tout prix.

La CSST pourrait dorénavant, dès qu’elle reconnaît une lésion professionnelle, préparer et mettre en œuvre un programme de réintégration au travail. Ce programme, totalement discrétionnaire et dont aucune description n’est faite dans le projet de loi (quiconque peut donc laisser aller son imagination…), chevaucherait la période de consolidation médicale. Lorsqu’un tel programme serait mis en œuvre, il serait obligatoire pour la travailleuse ou le travailleur, sous peine de sanctions (suspension des indemnités) :
C’est la CSST, et non le médecin traitant, qui déciderait de l’opportunité de mettre en œuvre un tel programme ;

Le programme devrait être soumis au médecin traitant et recevoir son avis favorable pour être mis en application. Toutefois, une fois cet avis favorable obtenu, il n’est pas prévu que le médecin traitant puisse mettre fin au programme (seuls des avis favorables aux propositions de la CSST pourraient constituer de nouvelles décisions).

En ce qui concerne l’assistance médicale, les changements prévus permettraient de restreindre de façon considérable les droits des victimes de lésions professionnelles :

Alors que la loi actuelle prévoit que le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état et que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la Commission, le projet de loi ajoute « jusqu’à concurrence des limites monétaires établies par la présente loi ou ses règlements ». C’est une limite inacceptable au droit à la réparation des lésions professionnelles ;

La CSST se verrait reconnaître un pouvoir de réglementer les médicaments afin de « déterminer les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis ». Avec un tel règlement, la CSST pourrait décider que les médicaments ne sont plus payables après la consolidation médicale, que tel type de médicament n’est pas couvert ou encore qu’elle ne paie pas plus de 5 renouvellements de prescription ;

La CSST n’aurait plus besoin de l’approbation du gouvernement ni de publier préalablement les modifications aux montants prévus aux règlements sur l’assistance médicale, sur les médicaments et sur les orthèses et prothèses : elle pourrait décider de tout cela en vase clos et publier le texte du règlement sur son site internet pour qu’il entre en vigueur ;

Ces modifications lui permettraient de changer son règlement sur l’assistance médicale (sans débat public), tel qu’elle l’a exposé dans son document sur la « modernisation » du régime, afin de pouvoir appliquer un montant forfaitaire couvrant l’ensemble des soins de physiothérapie, d’ergothérapie, d’acupuncture et de chiropractie (par exemple, 1 000 $ pour une entorse lombaire) et ce peu importe l’opinion du médecin traitant ou des intervenants de la santé. Cette modification ferait en sorte que le médecin traitant, une fois l’enveloppe budgétaire pour les traitements épuisée, n’aurait d’autre choix que de consolider la lésion (la consolidation est le moment où on ne peut prévoir une amélioration de la condition par des traitements).
En ce qui concerne l’assignation temporaire à temps partiel, tous les employeurs qui le désirent pourraient dorénavant ne payer que les heures réellement travaillées et la CSST comblerait la différence (si différence il y a) jusqu’à concurrence de 90% du salaire net, faisant en sorte que la travailleuse ou le travailleur travaillerait, dans le meilleur des cas, à 90% de son salaire. En effet, pour les travailleuses et travailleurs saisonniers, sur appel ou celles et ceux qui travaillent au-dessus du maximum annuel assurable, le taux de remplacement du revenu pourrait s’avérer être considérablement plus bas que 90%.

La ministre du Travail propose aussi de renforcer le rôle du BÉM en modifiant la loi afin d’obliger le médecin du BÉM à se prononcer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles lorsqu’il consolide la lésion. Il s’agit-là d’une autre vieille revendication patronale qui ferait en sorte que bon nombre de travailleuses et de travailleurs ne seraient jamais évalués par leur médecin et seraient retournés au travail sans qu’une évaluation sérieuse de leur capacité fonctionnelle n’ait été faite.

Il est également proposé de reprendre une autre revendication patronale et d’obliger les travailleuses et les travailleurs à se prévaloir des services de soutien en recherche d’emploi offerts par la CSST (ou par ses sous-traitants), sous peine de sanctions (suspension des indemnités), lorsque l’employeur décide de ne pas reprendre la victime de lésion professionnelle suite à la consolidation de la lésion et ce même si la travailleuse ou le travailleur a encore un droit de retour au travail chez son employeur ou encore si la travailleuse ou le travailleur conteste l’emploi convenable.

La prévention

Tel que dit précédemment, aucun des amendements proposés dans le projet de loi n’étend l’ensemble ou une partie des quatre mécanismes de prévention et de participation prévus à la LSST à d’autres secteurs d’activité que ceux présentement couverts et l’exclusion actuelle des chantiers de construction est maintenue. Un élargissement reste donc tributaire d’une éventuelle adoption d’un règlement fixant des règles différentes de celles que prévoit la loi actuelle relativement au programme de prévention, au comité de santé et sécurité et au représentant à la prévention (mais assez curieusement, on ne pourrait pas déroger aux nouvelles règles concernant l’élaboration et à la mise en application du programme et des services de santé placés dorénavant sous la responsabilité de l’employeur…).

Alors que la CSST s’engageait fermement, dans son document sur la « modernisation », à maintenir le statu quo pour les secteurs actuellement couverts, on découvre à la lecture du projet de loi que la ministre du Travail en a décidé autrement :

Pour les groupes actuellement couverts (groupes prioritaires I, II et III), il est proposé que l’élaboration et à la mise en application du programme et des services de santé soient dorénavant placés sous la responsabilité de l’employeur, et non plus du médecin responsable. C’est le retour en force de la « médecine de compagnie » qu’on voulait faire disparaître en 1979. On assisterait ainsi à un renforcement de la vision patronale de la prévention, soit la prévention des coûts par le camouflage et la multiplication des contestations médicales.

L’employeur qui a plus de 50 travailleurs à son emploi œuvrant dans plus d’un établissement appartenant à une catégorie identifiée par règlement (actuellement les groupes prioritaires I, II et III) pourrait choisir de mettre en application un seul programme de prévention pour l’ensemble de ses établissements. Dans ce cas, si cet employeur fait partie d’une catégorie identifiée par règlement (actuellement les groupes prioritaires I et II), il doit former un seul comité de santé et de sécurité agissant pour l’ensemble des établissements couverts par le programme de prévention en lieu et place des comités de santé et de sécurité déjà constitués. Par la suite, si l’employeur décide (sans nécessité de consultation) de mettre fin au programme de prévention pour l’ensemble de ses établissements, il doit mettre également fin aux activités du comité de santé et de sécurité agissant pour l’ensemble des établissements.

Quant au rôle du représentant en prévention, on n’en fait aucunement mention sauf si ce n’est qu’un éventuel règlement pourrait permettre à un travailleur désigné par les membres représentant les travailleurs au sein du comité de santé et de sécurité (groupes prioritaires I et II pour le moment) d’agir en lieu et place du représentant à la prévention mais uniquement dans les cas du droit de refus.

Le rôle de la DSP (Direction de la santé publique) serait considérablement diminué :
Alors qu’actuellement un projet de programme de santé ou de contrat type doit être soumis, pour entente, au ministre de la Santé et des Services sociaux, la CSST n’aurait dorénavant uniquement qu’à consulter le ministre de la Santé avant d’établir elle-même les priorités en matière de santé au travail devant s’appliquer sur les territoires ou aux établissements ou catégories d’établissements qu’elle détermine ;

La DSP n’évaluerait plus le programme de santé spécifique à l’établissement et, par conséquent, ne ferait plus de recommandation à la CSST, à l’employeur et au comité de santé et sécurité ;

Elle n’aurait plus à évaluer les ressources professionnelles et techniques requises pour la mise en application du programme de santé spécifique à l’établissement en collaboration avec le médecin responsable ;
Elle ne verrait plus à l’application des programmes de santé mais plutôt en « prendrait connaissance » ;

Elle ne visiterait plus les établissements et ne ferait plus d’études épidémiologiques, etc.

Conclusion

Il y a évidemment plusieurs des changements proposés dans le projet de loi n° 60 dont nous ne pouvons traiter dans ce bref survol, notamment parce que plusieurs de ces changements ne pourront se concrétiser que dans un avenir plus ou moins lointain. En effet, plutôt que d’inscrire directement dans la loi les changements législatifs supposément poursuivis, la ministre du Travail a décidé de déléguer à la CSST une foule de nouveaux pouvoirs réglementaires ou discrétionnaires. Ce n’est donc qu’une fois le projet de loi adopté que l’on pourra prendre connaissance de l’ampleur véritable de cette réforme, soit au moment où la CSST, grâce à ses nouveaux pouvoirs, mettra en œuvre l’ensemble des projets qu’elle poursuit, le tout sans débat public.

Que peut bien masquer ce floue artistique ? Si tout le monde s’entend pour mettre sur pied un nouveau programme de réintégration au travail qui répondrait aux véritables besoins des travailleuses et des travailleurs (et non pas les pénaliser), pourquoi ne pas en définir le contenu, les objectifs et les conditions dans la loi ? Si tout le monde s’entend pour que les quatre mécanismes de prévention et de participation prévus à la LSST s’appliquent à tous les secteurs d’activité économique, pourquoi ne pas amender quelques articles dès maintenant dans la loi actuelle ?

En sommes, plutôt que d’énoncer les choses clairement et de mener les véritables débats, on nous demande de faire une grande profession de foi en faisant confiance à la CSST qui, si elle détenait de nouveaux pouvoirs démesurés, respecterait soudainement ses promesses. Si le passé est garant de l’avenir, n’est-ce pas trop nous demander ?

Alors que cela a pris 18 mois au groupe Camiré pour pondre un rapport sans parvenir à un consensus, alors que cela a pris 10 mois à la CSST pour faire des recommandations sur une réforme, alors que cela a pris plus de six mois à la ministre du Travail pour déposer son projet de loi, il semble qu’il y ait maintenant urgence et que le projet de loi se doit d’être adopté par l’Assemblée nationale avant le 15 juin prochain. Que cache ce soudain empressement ?

À nous de le découvrir, de réagir et surtout d’agir rapidement…


[1] CSST, La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail, 22 septembre 2011 (351 Ko)

[2] CSST, Rapport Groupe de travail chargé de faire des recommandations concernant le régime québécois de santé et de sécurité du travail, décembre 2010 (600 Ko)

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