Le projet du ministre Jolin-Barette élargit les interdictions de signes religieux déjà annoncées aux personnes en autorité aux directions des écoles, aux juges, aux président.e.s et vice-président.e.s de l’Assemblée nationale et à une série de personnes qui n’étaient pas visées au départ par les projets précédents. Tout le chapitre III porte sur les services à visage découvert, visant ainsi les femmes musulmanes. De plus, le point 4 du chapitre 1 du projet de loi étend ces interdits à une série d’organismes publics (commissions scolaires, ministère et organismes para-publics, etc.). Et le gouvernement de la CAQ prend ses précaution : il fait appel à la clause nonobstant, sachant pertinemment que son projet de loi ne passe pas l’épreuve des tribunaux. Par ailleurs, s’il pose le geste de déplacer le crucifix de l’Assemblée nationale, le jupon de la catho-laïcité dépassant tellement, il évite d’inclure dans son projet de loi les écoles privées, souvent confessionnelles, et la toponymie des villes, villages et régions du Québec. Le projet de loi de la CAQ prête ainsi flanc à une campagne de Quebec bashing au Canada anglais. Le PQ souhaite en rajouter une couche en élargissant les catégories de personnes soumises au projet de loi aux services de garde notamment.
Les syndicat du milieu de l’enseignement, bien que favorables à une laïcité authentique, ont par ailleurs été unanimes à dénoncer cette attaque aux droits fondamentaux des minorités religieuses. Le milieu de l’éducation est un secteur particulièrement vulnérable face à ce projet de loi et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), syndicat d’enseignant.e.s implanté dans la région de Montréal là où la situation est particulièrement sensible, promet de protéger ses membres contre ce que le syndicat qualifie de « recul historique pour les droits fondamentaux ».
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) ont dénoncé d’une même voix ce projet de loi discriminatoire envers les minorités religieuses. « Nous croyons que la profession enseignante doit éveiller les esprits et les former au contact de la diversité, plutôt que les enfermer dans une vision uniforme de la réalité sociale » affirme la FNEEQ. La CSQ qualifie la situation actuelle de « faux problème » : « Jusqu’à présent, a-t-on déjà entendu parler de problèmes particuliers au sein d’organismes sous l’autorité de l’État ? A-t-on vu se multiplier les plaintes ? Poser la question c’est y répondre ! Visiblement, ce projet de loi s’écarte de l’objectif et ratisse trop large. Pour nous, il est clair que les enseignantes et enseignants n’auraient pas dû être visés par ce projet de loi. Le rôle du personnel enseignant s’inscrit dans un cadre éducatif et non coercitif ». La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) n’avait pas réagi au moment d’écrire ces lignes.
Dans le mouvement syndical, seul le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) semble y trouver du positif. Le SFPQ « salue la volonté du gouvernement de la CAQ d’adopter une charte de la laïcité et sa volonté exprimée de retirer le crucifix du salon bleu de l’Assemblée nationale ; deux gestes significatifs et concrets pour démontrer que l’État est neutre. » Le SFPQ ajoute qu’il « regrette que le gouvernement de la CAQ n’étende pas la neutralité de l’État à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur public. »
Chez les organismes de défense des droits des femmes, la FFQ, l’R des Centres de femmes du Québec et divers groupes se sont déjà prononcés contre toute interdiction. « L’R dénonce tout projet de loi qui entrave l’accès des femmes à la sphère publique, que ce soit leur accès au travail, à l’offre ou à la réception de services publics ou qui limite l’exercice de toutes autres libertés. » déclare l’R. « Le gouvernement Legault laïcise l’oppression » titre le communiqué de la FFQ ajoutant que « la référence dans le projet de loi à une “tradition civiliste” et à des “valeurs sociales distinctes” est un signal clair de l’approche identitaire toxique du gouvernement Legault dans l’élaboration de ce projet de loi. » Une importante conférence de presse a eu lieu le 29 mars afin de demander le retrait du projet de loi.
Parmi les organismes qui se sont prononcés contre le projet de loi, la Ligue des droits et liberté n’y voit pas la neutralité de l’État face aux religions, le sens véritable de la laïcité selon lequel « c’est l’État qui est laïc et non les individus ». Selon la LDL, « cette interdiction du port de signes religieux destinée à un nombre très restreint de personnes dites en situation d’autorité coercitive constitue une atteinte aux libertés fondamentales et ne répond à aucun objectif réel et urgent pour la société québécoise, si ce n’est qu’à servir des intérêts politiques. »
D’autres organismes s’opposent à ce projet de loi. Québec solidaire a tenu son Conseil National à Québec sur le sujet et a opéré un virage à 180 degrés en rejetant le compromis Bouchard-Taylor pour adopter l’approche sans interdits. La commission scolaire English Montreal School Board menacent de ne pas appliquer la loi, les élu.e.s montréalais aussi. La Commission des droits de la personne a émi de sérieux doutes sur le projet de loi, tout comme plusieurs avocats. Le bureau québécois du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) soutient que le projet de loi « rendra les musulmans du Québec et autres communautés minoritaires, citoyens de seconde classe ». L’Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité (AMAL), abonde dans le même sens : « C’est un projet qui est anti-laïc, parce qu’il est contraire aux principes fondamentaux de la laïcité : la liberté de conscience, la neutralité de l’État. La communauté juive est aussi montée aux barricades alors que diverses associations religieuses déplorent « qu’au nom de la laïcité, ce projet de loi fasse entorse à des droits et libertés fondamentaux, comme celui de la liberté de culte »
Le projet de loi de la CAQ risque de ne pas passer comme une lettre à la poste.
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