À la suite de deux tournées effectuées à travers le Québec, la FTQ constate que la transition énergétique se réalise à géométrie variable selon les régions et les secteurs d’activité économique, et que ses objectifs et ses formes sont peu connus dans bien des entreprises. Plus encore, elle suscite de la méfiance chez de nombreux travailleurs et travailleuses, car souvent l’unique solution perçue est la fermeture de certaines sociétés, une situation qui engendrerait des conséquences économiques et sociales difficiles et qui ne ferait qu’accentuer les inégalités sociales.
Depuis quelques années, la notion d’une « transition juste », soit la planification des transformations et des adaptations de manière à ne pas faire porter
uniquement par les travailleurs et les travailleuses le fardeau de la transition énergétique, fait son chemin. La FTQ s’est attelée depuis 2015 à adapter ce concept aux diverses réalités du Québec dans l’optique de la préservation des emplois de ses membres.
Qu’est-ce que la transition juste ?
Le concept de transition juste est porté par les syndicats depuis les années 1960. En regard des politiques publiques se mettant en place face
au milieu industriel pour répondre à la lutte aux changements climatiques, les syndicats ont développé ce concept pour participer activement
aux décisions qui les concernaient.
En 2015, l’Organisation internationale du travail (OIT) adopte les Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés
écologiquement durables pour tous visant à définir plus clairement le concept. L’OIT s’entend que la transition juste doit se déployer sur quatre grands axes : le dialogue social, la protection sociale, le droit au travail et le droit à l’emploi. C’est à partir de cette définition que seront adoptées des références à la transition juste dans l’Accord de Paris (2015), la Déclaration de Silésie sur la solidarité et la transition juste (2017) et la déclaration Une transition juste consiste à maximiser les gains économiques et sociaux, tout en gérant efficacement les risques de la transformation (2021).
Pour la FTQ, la crise climatique et la transition énergétique sont toutes deux reconnues. Pour que cette transition soit juste, elle doit inclure dans sa planification ceux et celles qui en subiront directement les effets.
Concrètement, cela signifie :
» Décarboner l’ensemble des activités d’un milieu de travail : habitudes des personnes salariées, transport, efficacité énergétique, procédés industriels, approvisionnement en énergie, gestion des déchets et production ;
» Maintenir les emplois et améliorer les conditions de travail : la transition juste est une action syndicale ! ;
» Soutenir et accompagner ceux et celles qui perdraient leur emploi et ceux et celles qui devraient se requalifier ;
» Améliorer les conditions de vie des communautés par l’entremise de pôles de concertation ayant comme objectif de planifier la transition sur un territoire à partir des besoins des communautés ;
» Engager une réflexion sur notre système économique.
Plus concrètement, l’Assemblée nationale du Québec adoptait les deux
motions suivantes en 2021 :
Motion adoptée le 6 octobre 2021 :
QUE l’Assemblée nationale reconnaisse que la transition écologique exigera une adaptation du marché du travail et qu’il s’agit d’une responsabilité qui doit être assumée par l’ensemble de la société québécoise ;
QU’elle rappelle l’ouverture des ministres de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ainsi que du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, exprimée lors de l’étude des crédits budgétaires 2021- 2022, à réunir les travailleurs et le patronat autour du chantier de la transition juste ;
QU’elle rappelle que la transition juste constitue un des principes importants du Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec ;
QU’elle demande au gouvernement de mettre sur pied sans délai un groupe de travail interministériel sur la transition juste auquel participeront également, en nombre paritaire, des représentants des associations de travailleurs et des associations d’employeurs, permettant d’accompagner les secteurs économiques et de la main-d’œuvre afin qu’ils puissent saisir les occasions favorables qui émergent de la transition climatique et, au besoin, en limiter les impacts sur la compétitivité et l’emploi.
Motion adoptée le 9 décembre 2021 :
QUE l’Assemblée nationale souligne l’engagement du gouvernement du Québec dans la lutte contre les changements climatiques ;
QU’elle rappelle la démarche entreprise par la commission des partenaires du marché du travail visant à identifier les compétences nécessaires à la réalisation du plan pour une économie verte ;
QU’elle rappelle la motion adoptée le 6 octobre 2021 demandant au gouvernement de mettre sur pied sans délai un groupe de travail interministériel et paritaire entre travailleurs et employeurs sur la transition juste ;
QU’elle demande au gouvernement de produire une étude prospective des impacts des changements climatiques sur l’emploi et d’identifier des sources de financement de la transition juste ;
QU’enfin, elle appuie la Déclaration sur la transition juste présentée lors de la 26e conférence des parties à Glasgow le 4 novembre 2021.
Démontrant une fois de plus que le travail de la FTQ porte fruit, mais que les milieux de travail doivent se mobiliser pour que les objectifs soient atteints.
Proposition de laboratoire de transition juste
Voulant faire des travailleurs et des travailleuses des acteurs de la transition énergétique, la FTQ propose une approche de transition juste qui se veut inclusive et qui cherche à ce que cette transition ne soit pas source
d’accroissement des inégalités. De plus, la FTQ est persuadée que la priorité de la transition énergétique doit être consacrée au maintien des emplois et permettre l’amélioration des conditions de travail, tout en assurant une
amélioration des conditions de vie des communautés.
Le projet de laboratoires de transition juste intervient à un moment favorable alors que la concertation entre acteurs économiques, environnementaux et sociaux arrive à un stade de maturité qui permet d’envisager des partenariats plus actifs sur le terrain. Il s’inscrit également dans la volonté du milieu des affaires et des milieux financiers d’engager la transition énergétique par une
transformation des pratiques industrielles ou sectorielles, et fait écho aux engagements du Québec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques. Plus encore, il y a une grande demande dans les milieux syndicaux, environnementaux, académiques, sociaux, économiques et industriels, tant au pays qu’à
l’international, pour identifier et partager les meilleures pratiques en la matière.
Dans ce contexte, le projet de laboratoires de transition juste consiste à regrouper et accompagner des travailleurs et des travailleuses au sein d’entreprises et de secteurs d’activités situés dans l’ensemble des régions du Québec et à engager un processus de dialogue social ayant comme objectif de mobiliser les milieux de travail de façons suivantes :
– Sensibiliser l’ensemble des parties prenantes à la transition juste ;
– Identifier des enjeux et des possibilités réelles de transformations dans les milieux de travail et/ou communautés ;
– Entreprendre des changements constructifs et structurants en vue d’améliorer le bilan carbone de ces milieux de travail ou de ces communautés et renforcer la résilience de l’économie locale ;
– Contribuer à l’émergence et à la réalisation de projets-pilotes et identifier et diffuser les meilleures pratiques.
La solution passe par la création et la mise sur pied de comités au sein des entreprises et des secteurs d’activités visés par le projet (Laboratoires de transition justes), formés de façon paritaire entre les travailleurs et travailleuses et les employeurs. Ces comités verront à développer des initiatives innovantes et à favoriser la concertation dans les milieux de travail, ainsi que dans les communautés, devant permettre la réduction de leur bilan carbone.
Plus spécifiquement, il s’agira de :
» Créer et diffuser des outils d’information et animer des sessions de formation en vue de favoriser l’adhésion des travailleurs et des travailleuses, ainsi que de leur communauté, à la transition juste ;
» Soutenir les comités dans l’identification des enjeux et des possibilités de transformation, ainsi que dans le processus de dialogue social avec les autres parties prenantes (employeurs, représentants de l’État, groupes environnementaux, organisations citoyennes et investisseurs potentiels) ;
» Soutenir le démarrage de projets pilotes ou d’initiatives structurantes visant à accroître l’efficacité énergétique ou à réduire l’empreinte carbone au sein d’entreprises ou de secteurs d’activités présents dans l’ensemble des régions du Québec, et éventuellement à identifier et saisir des opportunités nouvelles ;
» Favoriser l’émergence de milieux de travail plus sains, plus sécuritaires et plus égalitaires dans le contexte des changements climatiques et de la relance économique après la pandémie ;
» Protéger les emplois et améliorer les conditions de travail en favorisant les relations de travail et l’action syndicale.
Ce projet s’adresse aux membres de la FTQ. Il est destiné également, de façon indirecte, aux familles et aux membres des communautés où résident et travaillent ces mêmes travailleurs et travailleuses. Ce nombre pourrait être plus élevé si des entreprises ou des secteurs d’activités (qui seront sollicités tout au long de la démarche) additionnels se joignent au projet en cours de route.
Un accompagnement de la FTQ
Le projet permettra, par la diffusion de meilleures pratiques, à transférer les apprentissages réalisés à d’autres entreprises et d’autres secteurs. Dans un premier temps, par le biais des réseaux internes de la FTQ et des partenaires du projet, et dans un second temps, par des réseaux plus larges auxquels participe la FTQ à l’international, rejoignant ainsi des millions de personnes. À titre d’exemple, la collaboration avec la Confédération syndicale internationale (CSI) permettra d’approcher des travailleurs et des travailleuses de 165 pays dans le monde.
Des outils existent déjà :
– Le guide argumentaire de la transition juste ;
– Un répertoire des pratiques syndicales en transition juste ;
Une analyse du milieu pourrait miser à la fois sur la connaissance, le savoir, les compétences ou l’expertise des travailleurs et des travailleuses, sur l’apport des services de la FTQ et sur un appui externe au besoin. Cet appui externe pourrait provenir d’experts issus, par exemple, d’instituts de recherche ou de chaires universitaires.
Les champs d’analyse pourraient être les suivants :
» L’impact environnemental de l’entreprise sur la communauté visée, incluant l’analyse de son bilan carbone ;
» L’impact de l’entreprise sur la santé publique de la communauté visée en chiffrant les coûts directement liés ;
» L’analyse économique basée sur le genre dans la communauté visée ;
» L’évaluation des pratiques de transport de l’entreprise, autant pour les personnes employées que pour ses opérations ;
» L’apport économique de l’entreprise dans sa région et l’impact advenant une fermeture ou une réduction de ses activités ;
» L’analyse des solutions possibles à partir de la connaissance et du savoir des travailleurs et des travailleuses, en complétant avec ce qui se fait ailleurs dans le monde ;
» Une première évaluation des coûts que représenteraient la ou les transformations envisagées.
Une fois le comité paritaire mis en place, la FTQ pourrait accompagner les milieux de travail selon la feuille de route qu’elle a produite :
1. PORTRAIT DU MILIEU DE TRAVAIL OU DU SECTEUR D’ACTIVITÉ (DIAGNOSTIC)
a. Identifier les impacts environnementaux, sociaux et économiques de l’entreprise sur sa région et ses communautés directes ;
b. Élaborer des études prospectives sur l’impact des changements climatiques sur les emplois dans un futur rapproché, allant jusqu’à 10 ans ;
c. Établir des scénarios de décarbonation et leurs impacts ;
d. Dresser une liste et documenter les solutions existantes dans des cas similaires.
2. PLANIFICATION
a. Reconnaissance de l’expertise interne des travailleurs et des travailleuses dans l’entreprise vers la recherche de solutions ;
b. Mise en place d’un comité paritaire en identifiant bien les parties prenantes appelées à participer aux travaux, le calendrier des rencontres, ainsi que les rôles et les attentes de chacune des parties ;
c. Planification de la formation professionnelle qui sera nécessaire ;
d. Élaboration d’un plan de transition juste.
3. MISE EN OEUVRE
a. Identifier de quelle façon va s’opérer le dialogue social avec les opposants au projet ou à
l’entreprise ;
b. Identifier les pistes de financement possible et les obstacles ;
c. Entrer en dialogue avec les investisseurs ;
d. Planifier l’intégration de nouvelles technologies et l’impact de ces dernières sur les emplois ;
e. Donner la formation professionnelle nécessaire.
4. ÉVALUATION
a. Mettre en place des indicateurs et outils de suivi pour évaluer si les objectifs de transition juste ont été atteints.
5. PÉRENNITÉ
a. S’assurer que les efforts consentis puissent alimenter la réflexion sur l’économie ;
b. Favoriser la mise en place de structures permanentes de dialogue social ;
c. Publier sous forme de projet pilote l’expérience pour que d’autres puissent en bénéficier (faire ressortir les défis et les bonnes pratiques).
Comment mettre en place un laboratoire
Plusieurs syndicats affiliés à la FTQ ont déjà entamé des laboratoires de transition juste à la suite de l’appel de la centrale. Ils sont au niveau d’entreprises ou sectoriels. Pour recevoir l’accompagnement de la FTQ dans le démarrage d’un laboratoire de transition juste dans votre milieu de travail ou votre secteur d’activité, la centrale s’assurera tout d’abord que les conditions suivantes sont respectées, autant du côté de l’employeur que de l’unité syndicale :
1. Reconnaissance de la crise climatique ;
2. Engagement de la mise en place d’un laboratoire de transition juste et volonté de mettre en place un comité paritaire ;
3. Volonté d’établir un plan d’action ;
4. Engagement envers des résultats visant la décarbonation du milieu de travail, du maintien des emplois et l’amélioration des conditions de travail, ainsi que l’amélioration des conditions de vie des communautés directement touchées.
Advenant que les critères ne soient pas tous rencontrés, la FTQ pourra accompagner le syndicat pour atteindre les 4 conditions visant la mise en place d’un laboratoire de transition juste.
Pour mettre en place un processus de laboratoire de transition juste, veuillez contacter Patrick Rondeau,
conseiller syndical, Environnement & Transition juste : prondeau@ftq.qc.ca
Vous pouvez également consulter la page Web de la FTQ.
Comment ça fonctionne ?
En octobre 2020, la section locale 463 du Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau (SEPB-463) entamait un laboratoire de transition juste avec la direction d’Énergir, sous l’accompagnement de la FTQ. Cet exercice leur a permis d’aborder dans la première année, les éléments suivants :
» Mettre en place un comité paritaire sur la transition juste ;
» Comprendre le concept de la transition juste ;
» Présenter le plan d’affaire de l’entreprise et son plan de résilience climatique ;
» Recenser des exemples de transition au niveau international pour le même secteur ;
» S’entendre sur un plan de travail concernant la transition juste ;
» Communiquer la démarche aux personnes salariées dans l’entreprise ;
» Entreprendre une évaluation des impacts des scénarios de décarbonation sur les emplois.
Conclusion
En tant que la plus grande centrale syndicale québécoise (600 000 membres dans toutes les régions administratives de la province), avec des membres œuvrant dans les industries parmi les plus intenses en carbone, dont le secteur de l’énergie, c’est tout naturellement que la fédération s’est engagée, depuis plusieurs années dans le débat public, en contribuant à la réflexion sur la lutte contre les changements climatiques et les enjeux énergétiques. Pour relever le défi climatique, la FTQ est convaincue de la nécessité d’effectuer une transition vers des énergies propres et renouvelables, ainsi que vers une économie verte.
En décembre 2016, le 31e Congrès de la FTQ adoptait ainsi une seconde déclaration politique pour inscrire l’action et le discours de la FTQ dans le sens de la « transition juste ». Depuis, la centrale milite activement auprès de ses alliés, de la société civile et des gouvernements, mais aussi dans les milieux de travail de ses membres, pour que cette transition juste advienne.
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