Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Près de mille personnes manifestent à Montréal contre la Charte des valeurs

La manifestation « Ensemble contre la charte xénophobe » était organisée par une coalition à prédominance anglophone et allophone présidée par le groupe No One Is Illegal / Personne n’est illégal-Montréal. La majorité était jeune bien partagée entre les sexes et les nationalités.

Discours et bannières étaient rigoureusement unilingues français, la langue commune du Québec. Le français prédominait pour les pancartes artisanales dont cependant l’une ou l’autre, en anglais, traitaient le PQ de raciste et fasciste. On voyait quelques drapeaux canadiens, mais aucun québécois. De toute évidence, certains manifestants en profitaient pour en prendre large. Les femmes voilées y étaient bien visibles mais nettement minoritaires. Une pancarte suggérait une confusion entre liberté religieuse et doit de critiquer la religion. Janette Bertrand a tout à fait raison de souligner le caractère sexiste des grandes religions — comme pas mal d’autres personnes que le port du voile signifie la soumission des femmes — et tout à fait tort d’en conclure qu’il faut appuyer la dite charte des valeurs qui réprime le droit d’expression et le droit au travail.

La coalition a cent fois raisons de qualifier de xénophobe cette dite charte qui, sous… le voile de la laïcité et de l’égalité des genres, promeut un Québec identitaire et xénophobe, particulièrement islamophobe. Historiquement, cette charte est une rupture avec le grand mouvement de libération nationale né au début des années soixante, un retour à la Grande noirceur et à son étriqué nationalisme ethnique et autonomiste. Il y a belle lurette que le PQ avait tangué hors de ce vent libérateur pour s’enliser dans la néolibérale Mer des sargasses. En fait le PQ est né de la cuisse nationaliste des Libéraux pour faire dévier ce vent dans le cul-de-sac de l’étapisme électoraliste. Mais, malgré maints coups de barre vers ce passé nauséabond, le PQ n’avait jamais osé virer de cap.

Certes, le PQ ne brandit pas l’étendard de la religion d’antan. Mais qui ne voit pas la queue du singe sous les habits laïcs : les petits crucifix continueront à orner poitrines et oreilles et même si le crucifix ostentatoire quittera peut-être l’Assemblée nationale resteront écoles confessionnelles et prières à l’Hôtel-de-Ville. Pourquoi s’insurger contre le sexisme du port du voile et non contre celui de la publicité ou contre celui des récentes coupures dans les garderies et l’aide sociale dont femmes et enfants sont les premières victimes ou contre celui du charcutage de la santé aux dépens particulièrement des femmes comme employées et comme pourvoyeuses de soins aux parents âgés dans le cadre de l’esclavage domestique ? Jusqu’à quel extrême ira cette hypocrisie ? Comment ne pas voir que le PQ, parce qu’il est au bout de son rouleau historique, sans aucun semblant de stratégie souverainiste, joue sa dernière carte empruntée sans état d’âme à l’ex ADQ de Mario Dumont ?

Pourquoi les centrales syndicales, pourquoi les groupes populaires, féministes, étudiants, écologiques, pourquoi Québec solidaire ne sont-ils pas dans la rue par dizaine de milliers à dénoncer cette pseudo charte de la honte ? La grande majorité, sauf les organisations de défense des droits et celles représentant les minorités nationales, garde le silence, tergiverse ou s’embourbe dans la procrastination. Québec solidaire, mordant dans l’os du libéralisme de la Commission Bouchard-Taylor, tend la main au « social-démocrate » PQ, dixit le député Amir Khadir, en trouvant des points positifs à la charte, qui ne sont pas autre chose que du sucre sur l’amère pilule, et, pour les signes ostentatoires, lui ouvre la porte des concessions de ce rapport au lieu de la fermer à double tour pour tuer dans l’œuf la moindre manifestation du monstre identitaire. On s’attendrait plutôt à une ferme dénonciation de la xénophobie de ce simulacre de charte, à un appel à la mobilisation dans la rue avant et pendant la prochaine campagne électorale.

Il est dramatique de constater comment la nostalgie de la Révolution tranquille embrouille l’esprit d’une bonne partie de la génération soixante-huitarde, en particulier des femmes traumatisées par un retour en force du religieux. Ce fut effectivement un temps de modernisation de la pensée et des comportements concluant la rapide urbanisation et industrialisation du Québec durant et après la Deuxième guerre mondiale dont le fer de lance fut le rejet de la chape de plomb d’un catholicisme étouffant dont les femmes furent les boucs émissaires. Le consentement populaire à la répression étatique de cette petite minorité de femmes voilées, dont on fait aujourd’hui les boucs émissaires d’une régression sociale qui se durcit, tuera la flamme vacillante de ce qui reste de ce grand feu libérateur de jadis.

Pour de nouveau incendier cette société qui pourrit sur pied, ne vaudrait-il pas mieux que la jeunesse d’hier s’unisse à celle d’aujourd’hui, que les Québécoises de souche s’unissent aux de plus en plus nombreux nouveaux Québécois afin de s’en prendre aux vrais fauteurs de trouble que sont ces banques et consorts qui ont précipité le monde dans la crise, la pauvreté et les inégalités, qui font chanter le peuple québécois pour qu’il reste prisonnier du Canada rentier, conservateur et militariste, qui étranglent des gouvernements consentants sous le poids de la dette, des paradis fiscaux et des accords de libre-échange ?

Québec solidaire saura-t-il faire une campagne électorale dont les thèmes majeurs se démarquent nettement du programme péquiste ? Saura-t-il lever l’étendard unificateur de l’indépendance pour exproprier les banques et pour sauver la langue afin de présider à l’accomplissement de cette révolution du plein emploi pour sauver la planète ? La voilà l’alternative stratégique qui serait l’antidote à la dérive identitaire et xénophobe.

Marc Bonhomme, 20 octobre 2013

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