Édition du 18 juin 2024

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Politique québécoise

Pourquoi pas une vraie réforme du financement des partis ?

Derrière le débat sur le projet de loi du gouvernement Harper pour abolir le financement public des partis politiques, il y a mieux à faire que de simplement dénoncer une manœuvre électorale d’un parti. Il y a lieu plutôt d’examiner la question de fond.

André Larocque fut sous ministre à la réforme des institutions démocratiques sous les deux gouvernements de René Lévesque ; aujourd’hui professeur associé à l’École nationale d’administration publique

Le principe fondamental qu’il ne faut pas perdre de vue est qu’en démocratie, les partis politiques sont - ou devraient être - la propriété des citoyens. C’est ce principe qui se trouve au cœur de la loi du financement des partis politiques adoptée en 1977 par le gouvernement de René Lévesque, laquelle loi, disait monsieur Lévesque, justifiait à elle seule l’ensemble de son action politique. Cela peut vous étonner grandement, mais au plan du principe qui le fonde, René Lévesque aurait été d’accord avec le projet de loi fédéral annoncé !

À mon sens, l’erreur grandement répandue consiste à se demander comment les partis peuvent arriver à se financer sans se demander si les "services" qu’ils financent sont bel et bien ceux que veulent les citoyens. À titre d’exemples, j’ai de fort doutes que le grand public tient mordicus à voir leurs poteaux décorer de posters multicolores, à voir leur boîtes à lettres envahies de dépliants sur papier glacé, à se faire harceler à la TV par des campagnes menées dans une guerre entre faiseurs d’image que sont les maisons professionnelles de communication. En un mot, les partis investissent des millions dans les campagnes électorales pour nous donner des "services" qu’on ne veut pas. Comment faire autrement !

En nous inspirant d’une loi que nous avons déjà, celle sur la consultation populaire (référendum), nous pourrions modifier radicalement le financement des partis. En premier lieu, on établit généralement à 85% le proportion de leurs dépenses que les partis consacrent à passer par les média (TV, journaux). Or cette dépense pourrait être sérieusement réduite, et surtout immensément plus équitable si la loi électorale faisait en sorte que l’achat de temps d’antenne ou d’espace journal relevait de l’autorité du Directeur général des élections. Si le DGE se portait acquéreur de temps et d’espace, plusieurs avantages énormes pourraient en découler. D’abord, il devrait avoir un budget limité par la loi donc pouvoir affronter des coûts moindres. La loi pourrait obliger les media à offrir des temps et des espaces gratuitement, diminuant encore les coûts globaux. Mais surtout, le DGE, comme il le fait présentement pour les comités parapluies lors d’un référendum, aurait la responsabilité de distribuer ces temps et espaces équitablement - et modérément ! - entre les partis, tous les partis. On pourrait en arriver à une formule par exemple où les citoyens sauraient que chaque soir à la TV pendant 30 minutes, chaque jour dans les grands media sur espace limité, ils auraient rendez-vous avec un porte-parole d’un parti, dans un format régulier, égal pour tous les partis. La loi interdirait évidemment aux partis tout achat additionnel de temps et d’espace.

En second lieu, le DGE pourrait, comme il le fait présentement dans le cadre de référendums, publier lui-même les programmes des partis dans une brochure modeste, avec égalité d’espace pour chaque parti , distribué dans tous les foyers du Québec. Cela donnerait accès à tous les citoyens aux programmes de tous les partis. Comme il faudra éviter que tout et chacun se proclame un parti politique pour en profiter, la loi pourrait reconnaître comme partis officiellement reconnus à des fins d’une élection seulement ceux - c’est un exemple - qui auraient fait enregistré auprès du DGE au moins 100 membres dans au moins neuf des dix-sept régions du Québec.

Comme un des services douteux que nous offrent les partis est de nous noyer littéralement sous des chiffres fantaisistes- la danse des milliards - la loi du Vérificateur général pourrait lui faire l’obligation, dans les dix jours qui suivent le déclenchement d’une élection, de publier dans les grands média, de manière accessible au grand public, l’état réel des finances du Québec. Cela n’empêchera pas nécessairement les partis de mentir mais au moins cela donnerait aux citoyens électeurs un point de référence important. Cette mesure serait plus importante encore si nos élections se tenaient à date fixe. Se proposant d’être le gouvernement pour quatre ans, les partis ne pourraient pas s’en tirer avec des slogans comme "les deux mains sur le volant" ou "Parlons Québec" mais plutôt déposer des budgets étalés : 4 X 65 = 260 ! Comment allez-vous dépenser ces 260 milliards ? À quels chapitres ? Selon quelles priorités ? Dans quelles régions ? etc.

Une contribution intéressante à la qualité de notre écologie consisterait à interdire l’affichage sauvage de la publicité des partis, notamment via les posters. La loi, à l’instar de celle de la France, pourrait limiter les endroits d’affichage à des endroits accessibles mais davantage discrets, avec accès égal pour tous les partis.

Je suis sûr que bien d’autres mesures d’assainissement vous viennent à l’esprit. L’essentiel de mon propos ici est de vous dire qu’on n’a pas besoin de trouver les moyens pour que les partis arrivent à financer leurs activités actuelles. Il serait moins coûteux, plus équitable, plus respectueux du citoyen que les finances électorales tombent sous le contrôle du DGE. De cette façon, les contributions des électeurs aux partis politiques devraient, selon la loi, n’être destinées qu’aux besoins de base des partis : maintient d’un secrétariat, communications avec leurs membres, communiqués de presse, etc.

En un mot, les partis politiques, quels qu’ils soient, n’ont pas besoin de millions pour opérer. Un parti incapable de susciter les contributions modestes d’un nombre suffisant d’électeurs donc incapable de soutenir sa propre administration ne mérite pas d’exister.

Vous aurez compris que la démarche suggérée ci haut pourrait nous amener à renouer avec le sens, l’objectif, le cœur de la loi du financement des partis politiques telle que le voulait René Lévesque : faire des partis politiques la propriété exclusive des électeurs. Nul besoin que l’État vienne suppléer au manque d’intérêt des électeurs. D’où la justesse du principe, qu’il soit véhiculé par Stephen Harper ou d’autres, selon lequel les gens qui veulent nous gouverner ne devraient être redevables qu’aux citoyens qui les élisent.

Le 7 juin 2011

André Larocque

Sous ministre à la réforme des institutions démocratiques sous les deux gouvernements de René Lévesque ; aujourd’hui professeur associé à l’École nationale d’administration publique

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