Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

De l’interdiction du keffieh et de la fragilité des supporters de l’apartheid

La panique morale autour d’un simple morceau de tissu représente le caractère défensif et paranoïde de la réponse à l’isolation grandissante d’Israël.

Owen Schalk, Canadian Dimension, 27 avril 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Le 25 avril, durant la période de question au parlement ontarien, la députée indépendante Sarah Jama arborait un keffieh, un foulard porté traditionnellement dans certaines parties de Proche Orient. Le président de la législature, M. Ted Arnott, lui a demandé de sortir ; elle a refusé. Selon CBC, M. Arnott aurait dit qu’il n’était quand même pas prêt à utiliser la force pour être obéi.

Après l’incident, le président a signifié à Mme Jama, que : « pour le reste de la journée elle perdait son droit de vote sur tout sujet débattu dans l’assemblée, qu’elle n’avait plus droit de siéger à aucun comité, d’utiliser les installations médias du parlement, de faire reporter des résolutions, de rédiger des questions et des pétitions ». Mme Jama est députée d’Hamilton centre depuis 2023. Elle a été élue avec 54% des voix exprimées.

Cette opération punitive était justifiée par le bannissement du port du keffieh dans l’enceinte du parlement. Ce bannissement s’applique aux élus.es et au public. On a déjà refusé l’entrée à des visiteurs parce qu’ils portaient ce foulard.

Même s’il s’agit d’un symbole important de la culture palestinienne, le président Arnott affirme qu’il s’agit dans ce cas, « d’une prise de position politique » ce qui justifie le bannissement selon lui. Cette explication parait si douteuse que tous les chefs de partis y compris le Premier ministre conservateur Doug Ford lui ont demandé de retirer ce bannissement des règles de conduite. Mais, alors qu’il s’oppose publiquement à la règle, le Premier ministre Ford a aussi autorisé son caucus à s’opposer aux efforts du NPD pour la renverser à deux reprises.

Mais, il faut se rappeler que même si le NPD ontarien veut en finir avec ce bannissement, il a expulsé Mme Jama de son caucus parce qu’elle critiquait Israël pour ses attaques après celles du Hamas le 7 octobre (2023). Sa leader, Mme Marit Stiles lui a ordonné de retirer ses commentaires ce qu’elle a refusé. Doug Ford, dans la foulée, a affirmé faussement, qu’elle « soutenait publiquement le viol et les meurtres de juifs.ves innocents.es ». Mme Jama l’a poursuivi pour libelle.

À l’époque de ces faits, j’ai écrit : « Au lieu de soutenir ses membres, la direction du NPD ontarien a abandonné Mme Jama aux basses œuvres de D. Ford. Le Parti l’a expulsé parce qu’elle a eu l’audace de se défendre et de défendre ses positions. … Le NPD n’a pas le droit d’oublier cela alors qu’un génocide se produit probablement à Gaza. Il expulse une critique de la violence israélienne alors que sa cheffe converse avec un homme qui compare les Palestiniens.nes à de cafards. Il faut nous souvenir de qu’elles alliances le NPD valorise ou non ».

L’interdiction du port du keffieh à Queen’s Park se situe dans une campagne plus importante dans le monde pour empêcher toute expression publique d’appui au peuple palestinien. C’est en Allemagne que la situation est la plus agressive. Le 12 avril, par exemple, la police allemande a arrêté et expulsé Ghassan Abu Sitta, un médecin anglais d’origine palestinienne qui a pratiqué bénévolement à Gaza. Il allait donner une conférence sur la Palestine à Berlin durant laquelle il prévoyait donner des exemples de génocide comme témoin direct. La conférence n’a pas eu lieu, la police de Berlin l’a interdite.

Aux États-Unis, des professeurs.es comme Jodi Dean et des étudiants.es comme Asna Tabassum ont été sanctionnés.es par les administrateurs.trices de leurs universités pour avoir pris parti en faveur des positions palestiniennes. Comme les protestations sur les campus se répandent à toute vitesse contre le génocide à Gaza, l’administration Biden, les gouvernements dans les États et les directions des collèges et universités ont répondu en diabolisant les protestataires et en envoyant la police lourdement armée sur les campus, mettant ainsi en danger le personnel et la population étudiante.

Le grand public est témoin de cette répression par l’État, sont visibles : l’utilisation des « Tasers » le poivre de Cayenne et les arrestations violentes. Mais ça n’affecte pas l’esprit des protestataires.

L’incapacité de l’État à mettre fin aux campements a suscité une marée de mensonges à propos des demandes des manifestants.es en plus de les accuser d’antisémitisme et de soutien aux terroristes ; ce qui est absurde. On les tient aussi d’idiots.es utiles des adversaires des États-Unis. L’ancienne présidente de la Chambre des représentants, Mme Nancy Pelosi a suggéré que le mouvement avait « des liens avec la Russie » et M. Jonathan Greenblatt, directeur de la Ligue contre la diffamation, proche d’Israël, a soutenu que les groupes étudiants étaient des « supplétifs de l’Iran sur les campus ».

En Occident, l’acharnement à empêcher l’expression publique de solidarité avec la Palestine s’accompagne d’autant d’efforts de la part des médias à chercher à masquer les épouvantables crimes d’Israël contre les Palestiniens.nes.

Une fuite nous a appris que le New York Times a donné instruction à son personnel de ne pas utiliser les termes « génocide, nettoyage ethnique et territoires occupés » dans leurs rapports sur Gaza, même si la Cour de justice internationale a trouvé plausible la preuve que c’est ce que fait Israël contre le peuple palestinien. Et même, malgré le fait que les Nations Unies considèrent Israël comme un pouvoir occupant à Gaza, en Cisjordanie et sur les hauteurs du Golan.

La situation est la même au Canada. Des personnes qui ont exprimé des vues en faveur de la Palestine ont été suspendues de leur travail ou de leurs écoles. Et la CBC a constamment invité dans ses programmes plus de personnes en faveur d’Israël que des Palestiniens.nes. Elle a utilisé un langage épuré pour décrire les tueries indiscriminées des Palestiniens.nes par l’armée israélienne. Mais en même temps, elle n’a cessé de décrire les attaques du Hamas le 7 octobre (2023) comme « brutales, vicieuses » motivées par « le barbarisme et l’inhumanité ».

Le 26 avril, le National Post publiait un article de Michael Higgins qui décrivait les corps de Palestiniens.nes trouvés dans des charniers découverts près de deux hôpitaux à Gaza (après qu’ils aient été attaqués par l’armée israélienne n.d.t.) comme « un mensonge éhonté de la part du Hamas ». Durant six jours, la Défense officielle palestinienne a creusé autour des hôpitaux Nasser et al-Shifa et découvert presque 400 cadavres, principalement de femmes, d’enfants et de personnes âgées. On a trouvé sur ces dépouilles, des traces de torture et d’exécution et il semble que certains.es aient été brulés.es vifs et vives.

Que révèle cet acharnement à diaboliser les Palestiniens.nes, leur culture et ceux et celles qui affichent leur solidarité devant tant de souffrances ? Le manque de sincérité de ceux et celles qui profèrent de telles accusations c’est sûr, mais aussi autre chose.

Ceux et celles qui soutiennent l’apartheid ont terriblement peur.

Qu’y a-t-il à craindre d’une conférence sur la Palestine à Berlin ? Et d’étudiants.es qui exercent leur droit à demander la fin d’un génocide ? Et d’un bout de tissu dans la législature ontarienne ?

Les Occidentaux qui soutiennent Israël savent que la bataille est perdue. Ils le savent malgré le carnage que l’armée israélienne pratique à Gaza qui n’est pas prêt de défaire le Hamas. Ils savent qu’Israël est en train de vite devenir un État paria et que sa réputation dans le monde sombre en emportant la crédibilité occidentale avec elle.

En plus, les gouvernements occidentaux savent que leurs populations s’objectent aux politiques qui s’attaquent aux Palestiniens.nes. La plupart des Canadiens.nes veulent que la tuerie cesse. La plupart des Américains.nes sont contre l’action israélienne à Gaza.

Que ce soit en Amérique du nord ou en Europe, les rassemblements sont toujours plus importants. Au Canada, cette mobilisation populaire a poussé la Chambre des Communes à voter une résolution en faveur de l’arrêt de la vente d’armes à Israël. Même si le texte original du NPD a été dilué par le gouvernement Trudeau et qu’il ait annoncé par la suite que les exportations d’armes déjà approuvées seraient expédiées. Elles se comptent par centaines.

Les gouvernements occidentaux et les supporters de l’apartheid ont peur parce que la plupart des peuples en Occident ne soutiennent pas leurs politiques et actions pro israéliennes. Cette peur les a poussés à commettre des actes brutaux comme les attaques contre les protestataires dans les Universités et à des tracasseries comme l’interdiction du keffieh au Parlement ontarien.

La simultanéité de la brutalité et des tracasseries de ceux et celles qui soutiennent l’apartheid révèle un fait déterminant : ils savent qu’il y a une majorité contre leur position et ils savent à quel point elle est fragile.

Mais fragilité ne veut pas dire faiblesse. Les supporters d’Israël ne sont pas faibles. Après tout ce sont la classe des médias et des appareils répressifs de la plupart des pays occidentaux qui les composent. Mais, néanmoins, ils sont fragiles. La majorité de la planète voit leur cruauté, leur inhumanité qui provoquent des fissures dans l’État israélien.

Au fur et à mesure que la pression publique s’exprime, que nous refusons de laisser la brutalité et les tracasseries non réduire au silence, ces fissures s’étendront.

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