13 septembre 2022 | tiré de springmag.ca
https://springmag.ca/status-for-all-migrants-now
Traduction Johan Wallengren
Par Myka Jaymalin
Injustice pour les migrants durant la pandémie : de l’exploitation à la déportation
Le Canada projette une image évoquant le multiculturalisme, les avantages sociaux et la chaleur humaine, de nature à séduire le reste du monde. Or, les politiques de l’État canadien continuent de faire mentir cette image. Le Canada prive les populations migrantes de droits socio-économiques et les force à vivre dans des conditions précaires. La pandémie a jeté une lumière crue sur le portrait général des migrants racisés : sur le front économique, ceux-ci sont montés aux barricades, bien qu’à des postes n’offrant qu’une protection minimale ou inexistante face à la COVID-19, aux velléités de l’immigration et aux accidents du travail mortels.
Les travailleurs migrants sont particulièrement fragilisés du fait de leur statut d’immigrant déclassé sous le régime des visas de travail ou d’études. Les politiques injustes en matière d’immigration continuent de pousser les migrants vers des emplois précaires dans les secteurs de l’agriculture, des soins et des services. Plus de 1,7 million de migrants s’efforcent de se frayer un chemin à travers les méandres du système d’immigration mais sont relégués à des postes sans perspectives ni protections n’offrant qu’un accès limité aux soins de santé.
L’exploitation des migrants se perpétue à l’ombre de l’épée de Damoclès de la déportation. En 2020, le chiffre des déportations a atteint un nouveau record au Canada. Et à l’heure actuelle, en 2022, les travailleurs migrants continuent de se faire menacer de déportation bien qu’ils aient contribué à remédier à la pénurie de main-d’œuvre et continuent de soutenir l’économie du pays. Harsha Walia démonte le modèle d’exploitation élaboré par le Canada pour les colonies de peuplement telles que la sienne : « Quand on n’a plus besoin de vous pour travailler, on vous déporte, souvent sans vous payer votre dû. »
En juillet, l’ASFC a signifié à deux familles en Alberta de faire leurs valises, puis est revenue sur sa décision à la onzième heure, juste avant la date fixée pour leur déportation. Un mois plus tard, une nouvelle menace de déportation a visé un travailleur migrant et défenseur des droits des migrants qui ne mâche pas ses mots, Danilo de Leon. Bien qu’il ait contribué à faire marcher l’économie pendant des années, depuis 2009 en fait, Monsieur de Leon est passé entre les mailles du système d’immigration canadien, système qui force les gens à vivre sans statut. À l’heure actuelle, au moins 500 000 personnes se voient privées du droit de s’établir ici de façon permanente, ce qui ne leur laisse à terme que le choix de demeurer sans papiers ou de quitter le pays.
Justice pour les migrants égale justice raciale
Les migrants se sont organisés aux côtés de leurs alliés pour demander justice bien avant le début de la pandémie et tout au long de celle-ci. Le gouvernement fédéral en a pris acte en s’embarquant dans des travaux pour mettre au point un programme de régularisation de la situation des sans-papiers en vue de les faire accéder à la résidence permanente. C’est ainsi que le gouvernement fédéral a adopté la motion 44, le ministre de l’Immigration Sean Fraser ayant conçu des voies d’accès susceptibles de permettre aux migrants titulaires d’un visa de travail ou d’études d’obtenir la résidence permanente. La concrétisation de cette mesure représenterait un grand pas en avant pour la justice, tant à l’égard des migrants que des personnes racisées.
Le Canada étant au nombre des colonies de peuplement, ses politiques en matière d’immigration et de travail ont au départ été imprégnées de racisme. Les fondations du pays reposent sur le génocide des peuples autochtones, l’esclavage des Noirs et une approche raciste des travailleurs migrants. Il est à noter que dans l’histoire de la domesticité, lorsque des femmes européennes sont dans un premier temps arrivées au Canada en provenance d’Angleterre, d’Irlande et de Finlande pour travailler comme nourrices, elles se sont immédiatement vu accorder la nationalité canadienne. Mais la politique en la matière a changé après la deuxième guerre mondiale, lorsque des travailleurs venant des Caraïbes ont commencé à migrer vers le Canada. De nouvelles règles d’immigration ont été promulguées : au lieu de la résidence permanente immédiate dont avait bénéficié le personnel de maison venant d’Europe, les femmes arrivant des Caraïbes n’ont été éligibles à la résidence permanente qu’après avoir détenu un emploi pendant un an. Comme l’explique Robyn Maynard dans son livre « Policing Black Lives » :
L’assujettissement des Noirs a tout simplement été transformé et étiqueté différemment à l’ère du multiculturalisme. La race ne pouvant plus ouvertement servir à refuser les droits du travail aux travailleurs non blancs, c’est le statut d’immigrant qui a été instrumentalisé à cette fin. Les programmes de travail temporaire du Canada ont fourni un moyen actualisé d’imposer la précarité économique aux Noirs et de perpétuer leur exploitation selon un schéma reproduisant fidèlement le modèle de l’esclavage dont ils avaient déjà été victimes. [Notre traduction]
On a vu l’impérialisme répandre ses politiques néolibérales dans ses anciennes colonies et les désastres naturels, le chômage et la pauvreté engendrés continuer d’inciter les travailleurs de ces pays à chercher du travail ailleurs, dans des colonies de peuplement comme celles d’Amérique du Nord. De nombreux travailleurs, du fait d’être exposés à l’exploitation, à la colonisation et aux politiques néolibérales, n’ont d’autre choix que de quitter leur pays d’origine pour chercher du travail dans le système capitaliste mondialisé. Que les migrants racisés soient de nos jours surreprésentés aux postes les plus vulnérables et dans les secteurs les plus précaires n’a donc rien d’une coïncidence. Le système d’immigration discriminatoire dont il est question ici perpétue la division entre ceux qui ont l’étoffe pour rester et les laissés-pour-compte.
Une victoire pour les migrants est une victoire pour tous
La pandémie a permis de mettre le doigt sur le fait que les emplois dits « peu qualifiés » comprennent tous les emplois qui sont aussi durs qu’essentiels à notre économie – de l’agriculture au travail d’usine, en passant par les soins et les livraisons. La dévalorisation de ces emplois a dévalué la vie des migrants racisés, en plus de faciliter l’exploitation de l’ensemble des travailleurs par les patrons.
Or, en nous battant pour nos droits tout au long de la pandémie, nous avons fait la démonstration que nul ne pourra se considérer protégé tant que nous ne le serons pas tous. L’appel en faveur de jours de congé-maladie payés est un des grands combats qui a été mené non seulement par les migrants, mais aussi par les activistes communautaires et les défenseurs des droits des travailleurs. Selon le même principe, si l’on gagne la bataille du statut de résident permanent pour tous les migrants (aussi bien les sans-papiers que les migrants munis d’un permis temporaire), il deviendra d’autant plus difficile pour les patrons d’exploiter les travailleurs dans leur ensemble.
Advenant la victoire espérée, les années de lutte courageuse et d’actions pour leurs droits menées par les migrants eux-mêmes auront été le ferment d’une occasion historique. La lutte pour la régularisation de leur situation qui se poursuit donne du pouvoir à tous les travailleurs, en particulier ceux sans papiers, et leur permet de secouer le joug des patrons.
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