Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

La minimaliste et unilatérale lutte contre l’inflation de Québec solidaire

Pour une anti-inflation de gauche qui se combine à la lutte climatique

L’aile parlementaire de Québec solidaire a décidé, pour la prochaine session parlementaire, de laisser tomber la priorité à la lutte climatique en faveur du combat contre l’inflation. C’est là beaucoup dire car il ne s’agit que de quémander à la CAQ pour un an seulement, le gel des tarifs de l’état au lieu de leur augmentation de trois pourcent comme le veut le gouvernement.

Finie comme au temps lointain des dernières élections, la panoplie de mesures anti-inflationniste tel la suspension temporaire - décidément le parti abhorre la permanence - de la TVQ sur les produits essentiels et « des mesures structurantes dont la hausse du salaire minimum, le gel des tarifs d’Hydro-Québec, le contrôle des loyers et de doubler le crédit d’impôt pour solidarité. » Tenant compte de la plateforme électorale, on pourrait ajouter la demi-gratuité du transport en commun et la gratuité des soins dentaires.

Pourquoi tous ces drapeaux en berne en plus d’appuyer tacitement les chèques anti-inflation de la CAQ sur lesquels « personne ne va cracher » dénoncés il n’y a pas si longtemps comme « une mesure plutôt inéquitable qui n’endiguera pas la spirale inflationniste » ? Étonnamment, à aucun moment le parti n’a prôné la revendication clef du syndicalisme de combat, alors que le Front commun du secteur public la réclame, soit l’indexation des salaires, à commencer par ceux du secteur public, et des prestations sociales au coût de la vie, en particulier de l’assistance sociale. Quant à la hausse du salaire minimum à 18$ l’heure, est-elle suffisante alors qu’en octobre 2021 « [l]e président du conseil d’administration de l’entreprise de communication Cogeco, Louis Audet, défend[ait] l’idée d’augmenter dès maintenant le salaire minimum de 13,50 à 20 $. »

Une politique de communication minimaliste et adaptative ou une qui soit un levier mobilisateur ? Pourquoi donc ce repli même si le parti, partisan de la politique de communication compte-gouttes, annonce des ajouts plus tard notamment concernant le logement ? « ’’Quand on fait une campagne électorale, on présente des engagements en tant que futur gouvernement. Une fois les élections passées, notre rôle change (...). On essaie de faire des propositions qui sont le plus susceptibles possible d’être reprises par le gouvernement’’, a expliqué Gabriel Nadeau-Dubois. » Voilà le chat sorti du sac. Vis-à-vis le grand public et l’électorat Solidaire, la plateforme et autres engagements électoraux n’existent que le temps des élections soit un ou deux mois aux quatre ans. Quant au programme, il reste à tout jamais confidentiel pour ne rester que la chasse-gardée d’une poignée militante qui croit aux contes de fées et comme passeport d’appartenance à la gauche ce qui est autre chose que la gauche de la droite. Peut-on blâmer l’électorat de prendre des vessies pour des lanternes ?

L’aile parlementaire du parti justifie cette politique comme une adaptation nécessaire aux rapports de forces parlementaires susceptible d’obtenir des gains partiels pour soulager les souffrances populaires. Pense-t-on que la CAQ plus forte que jamais va faire des concessions au « parti des wokes » qu’elle identifie comme la réelle opposition sur la base du bon sens argumentaire des Solidaires ? Il est fini le temps où les Libéraux se prêtaient à ce petit jeu avec l’ancienne porte-parole Solidaire pour lui concéder des réformettes pour mieux isoler PQ et CAQ. Le rapport de forces se construit dans la rue ce pour quoi le parlement peut jouer un rôle de levier et de caisse de résonance mais auquel il ne peut pas se substituer. Or la rue ne se mobilisera pas pour des peccadilles mais elle le fera pour des réformes telles l’indexation au coût de la vie ou pour la bonification et la gratuité des services publics.

Créer une dialectique mobilisatrice entre le Front commun et Québec solidaire

Il y a une dialectique mobilisatrice potentielle entre le Front commun de 420 000 personnes (et la FIQ avec 76 000) et Québec solidaire autour des enjeux de l’indexation au coût de la vie et de l’amélioration des conditions de travail dont certaines, comme de meilleurs, ratios sont aussi des bonifications des services. Un Québec solidaire franchement à gauche peut jouer un rôle de locomotive en ce qui concerne l’amélioration quantitative et qualitative des services publics par exemple en faisant sien la demande de la FIQ « d’une loi sur les ratios sécuritaires professionnelles en soins/patient-e-s » loi qui pourrait s’étendre à l’éducation et aux services sociaux. On peut s’attendre à ce que les revendications sectorielles du Front commun attendues en février 2023 y contribuent.

Le parti pourrait jouer un rôle avant-gardiste en réclamant la gratuité - revendication aussi anti-inflationniste faut-il le préciser - de l’ensemble des services publics (soins dentaires, oculaires, psychologiques.) sans oublier les frais scolaires y inclus universitaires et last but not least le transport collectif. Si la hausse des loyers exige leur contrôle, elle requiert surtout la construction d’au moins 10 000 logements sociaux par année, revendication traditionnelle des Solidaires, édulcorée lors des dernières élections. Ces exigences, accompagnées des budgets et de la réforme fiscale à l’avenant ne peuvent pas être comprises comme un ridicule quémandage auprès de la CAQ mais comme un appel à la mobilisation du peuple travailleur à commencer par son noyau organisé potentiellement le plus puissant, soit le Front commun et les autres syndicats du secteur public.

L’anti-inflation conséquente débouche sur une société de prendre soin souveraine et ouverte

À cette hauteur se dessine l’horizon d’une société alternative pro-climat de prendre soin des gens qui diminue la part des profitables transactions marchandes à l’avantage des services publics répondant aux besoins sociaux non manipulés par la publicité. Cette société, par sa création massive d’emplois dans les services publics anciens et nouveaux nécessitant un minimum d’énergie fossile et créant un maximum de rapports sociaux qui éloignent de l’individualisme consumériste, et en favorisant le transport collectif aux dépens du véhicule privé et son corollaire d’urbanisation densifiée et libérée du fléau de l’auto, a automatiquement un revers de la médaille de prendre soin de la terre-mère. Ainsi la priorité à la lutte contre l’inflation se mue en lutte climatique tout en dégageant la nécessité de la lutte pour l’indépendance contre le Canada financier-pétrolier de l’axe Toronto-Calgary et seul pays du G-7 à ne pas avoir réduit ses émanations de gaz à effet de serre (GES) sur la base de 1990.

L’abandon au PQ de la thématique de l’indépendance a d’ailleurs tout à voir avec la politique minimaliste de l’aile parlementaire. Selon le programme et la plateforme Solidaire, l’indépendance à réaliser dès le premier mandat suite à une assemblée constituante indépendantiste et un référendum, est une rupture institutionnelle qui invite à une drastique mobilisation du peuple québécois. L’aile parlementaire avait cru s’en tirer en avalant Option nationale comme gage d’indépendantisme pur et dur dont ce petit parti avait la réputation. C’était sans compter sur un PQ aux abois qui pour assurer sa survie était prêt à ressusciter sa foi indépendantiste (et y adjoindre une dose de social-démocratie) d’autant qu’il n’y avait pour lui aucun risque de mise en exécution. Ce joker abattu sur la table des élections a suffi pour brouiller le jeu de la direction Solidaire mettant le roi à nu.

C’est un tel Québec bien engagé dans la lutte climatique-indépendantiste, et par le fait même anti-inflationniste, qui redonnera à sa jeunesse la fierté de son identité francophone menacée plus que jamais par l’anglophonie néolibérale et fédéraliste. L’actuel repli néo-duplessiste du Québec francophone et vieillissant, base électorale de la CAQ que ce parti entretient par son racisme anti-immigrant et anti-autochtone et sans la revanche des berceaux d’antan sur le dos des femmes qui n’en veulent plus, prépare la marginalisation si ce n’est la mort à petit feu de la nation pour devenir un simple élément de la mosaïque multiculturelle canadienne facilitant encore plus l’ethnicisation de la politique made in Canada.

Le plein emploi écologique généré par l’ampleur des tâches du prendre soin et par la réduction du temps de travail aliénant - un grand nombre d’emplois socialement nuisibles ou inutiles liés à la consommation de masse et à l’obsolescence planifiée doivent disparaître - commande et à la fois permet une radicale ouverture des frontières pour accueillir et intégrer celles et ceux fuyant les méfaits historiques et actuels du vieil impérialisme afin de revivifier en français la culture et afin de redynamiser l’économie de la nation.

Marc Bonhomme, 27 novembre 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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