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Histoire

Pour souligner le mois de l’histoire des Noir·e·s

31 janvier 2020 | Guillaume Manningham, Jean-Sébastien Houle et Sophie Parent
tiré de : Parution de février 2020 De Journal Entrée Libre

Au Canada et aux États-Unis, le mois de février est officiellement le « Mois de l’histoire des Noirs » pour donner un espace à l’histoire de la diaspora africaine du continent nord-américain. Le Canada et l’Estrie n’ont pas d’Histoire Noire ? Voyez plutôt…

Il y a eu des esclaves noir·e·s dans les Cantons de l’Est

C’est à St-Armand, village situé près de la frontière avec le Vermont et sur les rives du lac Champlain, que se trouve un des lieux historiques les plus riches illustrant la présence des Noir·e·s dans la région au 19e siècle. En effet, grâce à l’histoire orale et à des recherches archivistiques, on peut affirmer que des centaines de personnes noires ont vécu dans cette région. Elles sont issues de certaines familles loyalistes comme celle de Philip Luke qui en 1784 arrive dans la région et hérite un peu plus tard de six esclaves. Au fil des ans, un cimetière pour les esclaves décédé·e·s se crée près de la terre de la famille Luke. Situé devant une colline d’ardoise, on le surnomme « Nigger Rock ». La Commission de toponymie du Québec a renoncé à changer le nom du site en 2017 suite à une opposition unanime pour préserver cette histoire d’oppression qu’on ne doit pas cacher.
D’autres Noir·e·s ayant vécu dans la région proviennent de la fuite de leurs maîtres des États-Unis. Une grotte leur servait à s’abriter en cas d’arrivée d’inconnus au village car la menace d’être retrouvé·e·s planait toujours.
La grotte et Nigger Rock sont parmi les lieux visités chaque année le 23 août à l’occasion de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. La Ligue des Noirs du Québec organise ce voyage de Montréal pour rendre hommage aux disparu·e·s et souligner l’histoire plurielle et ancienne des Noir·e·s sur le territoire qu’on nomme le Québec. Cet été vous pourrez visiter ces lieux pour porter un autre angle historique sur les Cantons de l’Est.

Pour en savoir plus, visionnez l’excellente capsule de la Fabrique culturelle à Télé-Québec sortie en décembre 2017 sur le sujet : www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/10408/artefact-nigger-rock-a-saint-armand-l-histoire-oubliee-d-esclaves-noirs

La légende des « Lawn Jockey »

Ces statuettes de jardin, représentant un jeune Noir, portant une lanterne ou une canne à pêche, tirent leur origine d’une légende d’un héros de la guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique : Jocko Grave.
Jocko Grave aurait servi avec George Washington au moment où ce dernier a traversé le Delaware pour mener une attaque-surprise contre les forces hessoises (forces auxiliaires allemandes engagées par l’armée britannique) à Trenton, dans le New Jersey. Le trouvant trop jeune pour participer à l’attaque, le général l’aurait laissé du côté de la Pennsylvanie pour s’occuper des chevaux et garder une lumière sur la berge pour leur retour. Jocko, fidèle à son poste et à ses ordres, demeura sur la rive du fleuve pendant la nuit, la lanterne à la main. À son retour, le Général était si ému par le dévouement de Jocko qu’il fit sculpter et mouler une statue de lui, tenant la lanterne, et l’installa dans son domaine de Mount Vernon. Il appela cette sculpture « Le Fidèle Garçon d’Honneur ».
« Les Lawn Jockeys reproduits dans le sud du pays au cours de la guerre de Sécession ont joué par la suite un rôle de repère pour indiquer les maisons amies aux Noirs fuyant vers le nord » (O. Tremblay, 2002). Toutefois, on leur donne aujourd’hui une connotation raciste du fait de leur usage répandu dans les jardins des propriétaires Blancs aux États-Unis et au Canada.

Sources : Odile Tremblay, Le Devoir, 19 octobre 2002.

Charlotte Trim et Viola Davis Desmond : L’audace de s’affranchir

Dans le cadre du mois de l’histoire des Noir·e·s, il est bon de rappeler que le Canada est bien loin d’avoir patte blanche, quand il s’agit d’avoir eu recours à l’esclavage. La pensée populaire veut bien se dire que cette partie de l’histoire occidentale appartient à nos voisins du Sud. Or il est possible de trouver dans les archives des traces d’esclaves ayant eu à travailler comme domestiques, par exemple.
C’était le cas de Charlotte Trim, une Guinéenne née vers 1768, puis vendue à une famille bourgeoise anglophone de Montréal à l’adolescence. Cette dernière a démarré un mouvement de libération en fuyant le domicile dans lequel elle était esclave. Lorsqu’elle a été retrouvée et arrêtée par les autorités, elle plaida pour être affranchie et le juge accepta de la libérer. Cette audace initia un mouvement de libération, dans lequel plus d’une centaine d’esclaves de Montréal lui emboîtèrent le pas.

Un autre exemple où le Canada n’a pas fait si bonne figure au niveau des droits humains est celui de Viola Desmond, une femme d’affaires canadienne, ainsi qu’une militante anti-ségrégation. Si cette dernière se retrouve désormais sur nos billets de 10 $, ce n’est pas pour rien. Souvent décrite comme la Rosa Park canadienne, cette femme née en 1914 à Halifax est arrêtée pour s’être assise dans la section d’un cinéma réservée aux personnes blanches, en 1946. Elle décide de contester — 9 ans avant l’affaire Rosa Park — et l’incident se rend en Cour suprême de Nouvelle-Écosse.

Comme le Canada n’a pas de politique ouverte de ségrégation, mais que les commerces et les entreprises privées peuvent imposer leurs propres règles, Viola perd en appel. Cependant, son histoire en inspire plusieurs autres à lutter pour les droits des personnes noires. Ce n’est d’ailleurs pas la seule réalisation de Viola Desmond, qui rêvant d’ouvrir son propre salon de beauté s’est bien vite heurtée à l’interdiction pour les personnes noires de fréquenter les écoles d’esthétique. Cela ne l’a pas découragé et elle est allée suivre une formation aux États-Unis, avant d’ouvrir sa propre école et de lancer une ligne cosmétique pour les personnes à la peau plus foncée, faisant d’elle une entrepreneure avant-gardiste.

Mais d’ailleurs… Pourquoi est-il toujours question d’esclavagisme et de ségrégation lorsque l’on parle de l’histoire des Noir·e·s ? Eh bien, c’est qu’il est difficile de contourner la question du racisme, dont les racines profondes ont encore un impact sur la vie des personnes noires aujourd’hui. Si les personnes de couleur ont largement contribué à l’avancement de la société sur plusieurs domaines, il ne faut pas non plus oublier que ce ne serait pas possible d’être reconnu sans avoir eu la liberté d’abord. En espérant que les parcours de Charlotte Trim et Viola Desmond aient pavé la voie à d’autres et qu’elles continuent d’inspirer.

Pour en savoir plus sur ces femmes :
Le livre de Sarah Beaudoin et Gabriel Martin (2019), « Femmes et toponymie : De l’occultation à la parité », aux Éditions du Fleurdelisé, Sherbrooke.
Le topo du Musée canadien pour les droits de la personne sur la vie de Viola Desmond : droitsdelapersonne.ca/histoire/la-resistance-dune-femme

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