Pour la FTQ c’est en quelque sorte n’importe qui sauf le gouvernement Harper. « Nous voulons battre le Parti conservateur. » Des porte-couleurs du Nouveau Parti démocratique ou du Parti libéral du Canada pourraient profiter de cette stratégie. À la grandeur du Canada, la FTQ estime que le vote stratégique peut être envisagé dans une soixantaine de circonscriptions, dont les deux tiers en Ontario. Reste à convaincre les affiliés du pancanadien Conseil du travail du Canada d’y adhérer. (1)
Cette idée se veut une réponse à l’offensive anti ouvrière et anti sociale appliquée par le gouvernement Harper depuis son élection en 2006. Mais c’est une réponse simple à une problématique beaucoup plus complexe. Premièrement elle exige de convaincre les syndicalistes et progressistes du reste du Canada, de voter à toutes fins pratiques pour les Libéraux. Il y a 308 circonscriptions au Canada dont 75 au Québec. Aux élections de 2011 les Conservateurs ont obtenu 167 sièges, le NPD 102 et les Libéraux 34.
Au Québec, seulement cinq conservateurs ont été élus ; Maxime Bernier en Beauce, Staven Blaney dans Lévis-Bellechasse, Jacques Gourde dans Lotbinière—Chutes-de-la-Chaudière, Denis Lebel dans Roberval- Lac St-Jean et Christian Paradis dans Mégantic—L’Érable. Par contre il y a 57 députés néo-démocrates et 8 libéraux et 3 bloquistes.
Si on suit bien la logique, le vote stratégique s’adresse donc surtout au reste du Canada où 162 conservateurs ont été élus contre 45 néo démocrates et 26 libéraux. Mais l’élection de Justin Trudeau à la tête de son parti a remis les libéraux à l’avant plan, non pas à cause de ses idées, bien au contraire, mais à cause de la notoriété de son nom. Le PLC risque donc de reprendre son rôle perdu depuis le scandale des commandites et reléguer le NPD à l’arrière-plan. Cette situation obligera les forces vives du militantisme dans le reste du Canada à faire campagne pour la force montante si on veut être consistants avec la consigne de vote stratégique, donc de faire campagne dans la majorité des cas pour les libéraux.
Même avec toutes les limites du NPD comme parti électoraliste dont les politiques se rapprochent de plus en plus du parti libéral surtout depuis l’arrivée de Mulcair, une telle position est inconcevable. Cela signifie travailler à déconstruire toute l’idée de construction d’une alternative ouvrière dans le reste du Canada. Malgré toutes les déformations de ce parti, le NPD a toujours représenté pour le mouvement ouvrier un réflexe d’identification de classe et un refus de la politique liée aux grandes entreprises.
Cette politique est donc organiquement néfaste pour le mouvement ouvrier et populaire du reste du Canada en ce qu’elle participera à la désorganiser politiquement, sans compter les illusions qu’elle participera à semer. Il ne faut pas négliger non plus le fait qu’une telle proposition de vote stratégique rencontrera une résistance surtout dans la couche militante.
En ce qui concerne le Québec la montée de Justin Trudeau modifiera également l’échiquier politique. Mais même si on s’en tenait à la situation actuelle, il serait assez paradoxal de voir la FTQ faire campagne pour le NPD au Québec alors qu’elle proposerait aux syndicats du reste du Canada de voter majoritairement Libéral.
Toute stratégie de vote utile vise toujours la prise du pouvoir, et non pas de nuire à un parti. La logique obligera donc à favoriser à l’échelle pan-canadienne le parti qui pourra défaire Harper, ce qui avantagera les libéraux. La FTQ semble donc s’engager dans un pari piégé et ardu.
Le combat contre les politiques anti sociales du gouvernement conservateur ne représente pas moins un enjeu crucial. Mais c’est aussi un combat contre les politiques néolibérales que les libéraux ont également appliquées. Les coupures successives dans le régime d’assurance-emploi et les tentatives répétées de privatiser le service postal en sont des exemples, de même que la politique guerrière au moyen orient.
La question du vote stratégique suppose en bout de piste, si cela fonctionne et cela est loin d’être garanti, qu’un vote pour un gouvernement libéral peut nous assurer un répit. C’est grandement sous-estimer la base politique de ce parti, qui même s’il n’est pas seulement basé sur les institutions régionales de l’ouest comme c’est le cas avec les conservateurs, n’est pas moins constitué des grandes entreprises canadiennes et des multinationales, lesquelles ne laisseront pas partir facilement les gains effectués sous les conservateurs.
Au final cette stratégie aura pour principal effet de désorganiser le mouvement ouvrier Canadien et d’élargir le fossé avec les forces sociales au Québec dans une période où l’austérité est à l’ordre du jour et où les forces de droite continueront de mener l’offensive contre la population afin d’augmenter leur marges de profit. Il n’y aura pas de chemin facile, mais il est essentiel de concevoir en premier lieu un plan de mobilisation à l’échelle Canadienne et Québécoise. Aucune élection ne pourra donner de résultat à l’avantage du mouvement ouvrier sans d’abord créer de rapport de forces.
Dans l’état actuel des choses et en considérant les menaces qui pèsent au niveau environnemental, au niveau de la déstructuration des protections sociales et des services publics, ainsi que de l’offensive anti syndicale, l’idée de journées d’actions nationales comme il a été suggéré par le président de la Fédération de travail de l’Ontario Syd Ryan lors du congrès du CTC est certainement l’urgence de l’heure. Quant à la question de l’alternative politique, nous y reviendrons dans un prochain article.
Le forum social des peuples qui aura lieu à Ottawa en août prochain sera une occasion privilégiée pour discuter de telles perspectives.
(1) Le Soleil, 29 mai 2014 Michel Corbeil, La priorité de la FTQ : battre Stephen Harper