Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Portugal, Irlande, Grèce et Espagne : la claque sociale

Baisse des salaires, augmentation des impôts et des taxes, recul de l’âge de la retraite… Alors que la reprise se fait fragile, l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, adoptent une rigueur budgétaire drastique pour venir à bout de déficits importants. Tour d’Europe des mesures d’austérité et de leurs conséquences sociales.

Grèce : l’arsenal de mesures pour faire bonne figure

En octobre 2009, le pays revoit à la hausse sa prévision de déficit public pour l’année à 12,5% contre 3,7% du PIB auparavant. L’ampleur de la dette publique grecque, quelques 300 milliards d’euros, révélée en décembre par le nouveau gouvernement socialiste, affole les marchés financiers.

Dès la mi-décembre, le Premier ministre socialiste Georges Papandréou annonce un plan de rigueur, renforcé en février et depuis, toujours plus drastique.

Le plan d’économie de 10 milliards d’euros, annoncé en janvier, provoque une série de manifestations en Grèce où cette panoplie de mesures n’épargne aucun secteur. Ont ainsi été annoncés :

  la suppression du 14e mois de salaire des fonctionnaires,

  des coupes de 12% des allocations,

  une baisse de 10% des dépenses de santé pour l’année 2010.

Le gouvernement pourrait aller plus loin. Les discussions portent désormais sur :
  le gel des salaires sur trois ans,

  le recul de l’âge de la retraite de 53 ans à… 67 ans,

  l’augmentation des taxes à la consommation.

Les taxes sur le tabac et sur l’alcool ont été augmentées de 20% et la TVA, rehaussée de 19% à 21%. Les bonus bancaires du secteur public sont supprimés, ceux du secteur privé seront taxés à hauteur de 90%.

Face à cette cure d’austérité, les manifestations se multiplient en Grèce. Despina Spanou, membre du syndicat ADEDY de la fonction publique, interrogé par Reuters, a évoqué la tension grandissante dans le pays :
« C’est une catastrophe ! Le gouvernement a franchi la ligne jaune. Nous ne pouvons vivre de cette manière. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour combattre ces mesures, parce que c’est une bataille pour notre survie. »

Le Premier ministre s’est justifié, considérant qu’il ne saurait y avoir de ligne jaune :
« Nombreux sont ceux qui parlent de lignes jaunes. La seule ligne jaune, c’est l’intérêt de notre pays. Aujourd’hui, la première des priorités, c’est la survie de la nation. Voilà la ligne jaune. »

Le 5 mai, une grève générale du secteur public et privé et une manifestation dans Athènes sont programmées pour défendre les « droits sociaux et économiques des travailleurs face aux exigences de l’Union européenne et du FMI ».

Irlande : on ne touche pas aux entreprises

Désormais, c’est le « I » de Irlande qu’il faut entendre dans l’acronyme anglophone PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) qui désigne ces États fragiles d’Europe.

Durement touchée par la crise financière de l’automne 2008, l’Irlande a vu son déficit budgétaire atteindre pratiquement 12 % du PIB. Dès le début de l’année 2009, le gouvernement a imposé d’importantes réductions de dépenses et augmentations d’impôts.

Dans le secteur public :

  les départs à la retraite ne sont pas remplacés,

  les primes sont supprimées,

  les salaires des fonctionnaires (qui représentent 18% des emplois en Irlande) ont été réduits de 5% à 15%. Objectif : faire une économie de plus d’un milliard d’euros.

Les allocations sociales ont toutes été réduites, y compris pour les chômeurs tandis que le taux de chômage avoisine les 12%.
Une taxe carbone et une taxe sur l’eau (jusque ici gratuite) ont été instaurées. Une hausse générale des impôts sur les revenus a également été décidée.

Alors que ce programme touche d’abord les particuliers, Thomas Piketty relevait, en avril 2009 dans Libération, que la rigueur ne s’imposait pas aux entreprises :
« Ce qui frappe le plus, dans ce climat de crise extrême, c’est que le gouvernement s’acharne à maintenir son taux ultra-réduit de 12,5% d’impôts sur les bénéfices des sociétés.

Brian Lenihan l’a dit et répété le 7 avril : il est hors de question de revenir sur la stratégie qui a fait la fortune du pays depuis les années 1990, en attirant les sièges sociaux de multinationales et les investissements étrangers.

Mieux vaut ponctionner lourdement la population irlandaise que de prendre le risque de tout perdre en faisant fuir les capitaux internationaux. »
Un an après, la situation financière de l’Irlande s’est améliorée mais pas celle des Irlandais. Le gouvernement s’est engagé à ne pas baisser davantage les salaires mais poursuit son tour de vis.

Après des économies budgétaires de 3 milliards d’euros en 2009, ce sont 4 milliards d’euros qui seront économisés en 2010 dont 760 millions d’euros dans les dépenses sociales.

John Monaghan, professeur au Trinity College de Dublin, interrogé par le Wall Street Journal, fait observer :
« On dit aux gens que c’est indispensable pour maintenir l’économie à flot. Mais la colère gronde. »

Portugal : la rigueur à nouveau

En mars, le gouvernement portugais s’est engagé à prendre toutes les mesures d’austérité nécessaires pour assainir ses finances publiques. Déjà fragile avant la crise, le Portugal, contrairement à la Grèce, connaît depuis longtemps une politique de rigueur (entre 2005 et 2008). Renforcée, elle fragilise des salariés qui consentent déjà à beaucoup de sacrifices.
Au programme :
  le gel des salaires dans la fonction publique pendant quatre ans,

  la réduction et la suppression de certaines allocations (notamment celles pour l’emploi des jeunes),

  le remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

Les salaires n’ont pas été réduits : le salaire minimum est de 450 euros et le salaire moyen de 600 euros. Le gouvernement a également annoncé un plan de privatisations qui devrait rapporter près de 6 milliards d’euros.
Interrogée par Toute l’Europe, Ana Navarro Pedro, journaliste de l’hebdomadaire généraliste Visão, parle d’une situation d’urgence au Portugal :
« On a donc pour l’instant une double crise : un état d’appauvrissement de la population, qui provoque des grèves, extrêmement rares dans le pays, ainsi que de profondes divisions y compris au sein du Parti socialiste.
[…] Les dernières mesures annoncées sont considérées comme inadmissibles même par les socialistes les plus libéraux. Parce qu’au bout de cinq ans de rigueur, on voit une population absolument exsangue. »

Le sociologue Antonio Barreto a lui aussi décrit au Monde une situation sociale de plus en plus tendue :
« La classe moyenne vit une érosion économique dont on n’a pas d’exemple récent, personne ne sait comment elle va réagir.

[…] Ces dernières semaines, les infirmières sont descendues deux fois dans la rue, des grèves sporadiques secouent le secteur des transports et de l’énergie, les enseignants menacent leur ministre de “partir en guerre”. »
Espagne : le chômage galopant

Face à un déficit élevé (11,2% du PIB) et un taux de chômage record (20%), le gouvernement socialiste espagnol a engagé au début de l’année un plan d’économie budgétaire de 50 milliards d’euros sur trois ans :
  la pression fiscale va augmenter d’environ 1% du PIB pour des recettes supplémentaires estimées à 11 milliards d’euros,

  la TVA passera de 16% à 18%,

  les embauches dans la fonction publique sont gelées,

  les indemnités de licenciement baissées,

  l’âge de départ à la retraite passe de 65 à 67 ans.

De quoi se mettre à dos les syndicats pour la première fois.

En dépit de ces efforts, l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette du pays ce jeudi 29 avril.

Alors que l’opposition somme le gouvernement de réagir, José Luis Zapatero affiche un optimisme à toute épreuve : son pays n’est pas la Grèce. Son plan d’austérité sera appliqué « à tout prix », avait-il assuré au Financial Times, mais pour l’instant, Zapatero hésite à engager de nouvelles coupes budgétaires tant la situation sociale est fragile.

Le seul secteur du bâtiment (30% des emplois en Espagne) traverse une crise sans précédent. Au début de l’année 2007, le nombre annuel des permis de construire était de 1,5 million. Ce chiffre a chuté depuis de 96%, pour atteindre seulement 60 000 permis de construire délivrés en 2009.

France : l’austérité ?

Ces politiques de rigueur, appliquées aujourd’hui dans les pays de la Zone euro dits « fragiles », pourraient être engagées ailleurs en Europe.
En mars, l’agence Fitch a maintenu le « AAA » de la France mais a évoqué le risque d’une « dérive budgétaire ». « Partout, on fait pression pour réduire les dépenses sociales. En France, on n’échappe pas non plus à la pression des marchés », explique Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE.

Les tensions sociales qui en découlent sont inévitables :
« On augmente les taux de TVA, on réduit les salaires, les dépenses sociales, on impose davantage des ménages fragilisés… Tout cela pèse évidemment sur la consommation et nous replonge dans la crise.

C’est compliqué d’en sortir si les marchés continuent de se méfier et de spéculer contre les Etats. Les dettes sont dangereuses. »

En France, le mot « rigueur » n’a pas encore été prononcé. Mais pour atteindre l’objectif d’un déficit inférieur de cinq points d’ici 2013, il faudra en passer par des coupes budgétaires importantes.

Selon Eric Heyer, directeur adjoint du département d’analyses de l’OFCE (Sciences-Po), interrogé par Mediapart, Nicolas Sarkozy privilégie la rigueur… sans rien en dire. Après avoir décortiqué le programme pluriannuel des finances publiques, Eric Heyer avertit :
« L’austérité est programmée en 2010 et en 2011. Nicolas Sarkozy a prévu de contrôler ses dépenses avec une politique restrictive, qui ne manquera pas de brider la croissance. »

Là où le mot « rigueur » a bien été prononcé -et ce, sans complexe-, c’est au niveau des départements. Gilles Carrez, député UMP chargé par l’Elysée d’une mission sur les finances locales, prône le gel des contributions annuelles aux collectivités locales.

A cette annonce, Arnaud Montebourg, président socialiste du conseil général de Saône-et-Loire, a répondu que ce gel risquait surtout de favoriser la création de « petits phénomènes grecs » sur tout le territoire français. Les départements financent les allocations universelles. Selon le député, 90% des dépenses sont liées à ces protections sociales que l’Etat devrait prendre en charge :
« Pour faire face à cette situation, nous sommes obligés d’augmenter les impôts et de diminuer drastiquement les dépenses. C’est ce qui s’est passé en Seine-Saint-Denis mais aussi chez moi, en Saône-et-Loire.

Il est anormal de faire financer la solidarité nationale par les impôts locaux. Là où les collectivités sont riches, elles peuvent se payer une protection sociale et là où elles sont pauvres, elles ne peuvent pas. »

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