Édition du 12 novembre 2024

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Écologie

Enjeu pour les Amériques

Polémique autour de l'éthanol

La lettre écrite le 29 mars par le leader cubain Fidel Castro a jeté un pavé dans la mare de la politique étasunienne dans les Amériques, mais a aussi mis dans l’embarras le président brésilien Luis Inácio « Lula » da Silva. Alors que les dirigeants de plusieurs pays annoncent en grand pompe des projets de développement du carburant à partir d’éthanol, de plus en plus de voix s’élèvent pour questionner les bénéfices réels de cette technologie. La première sortie publique du « commandant en chef » depuis son hospitalisation en août dernier met en lumière les critiques formulées depuis longtemps par plusieurs écologistes.

Au début du mois de mars, le président des États-Unis George W. Bush visitait le Brésil, où il annonça, conjointement avec Lula, un accord visant à augmenter l’exportation d’éthanol vers les États-Unis. L’accord prévoit entre autres que les deux pays, qui produisent ensemble plus de 70% de l’éthanol dans le monde, joindront leurs forces afin d’encourager la production et l’utilisation de biocarburants auprès des autres États de la région. [1] Le Brésil est le leader mondial dans le domaine du biocarburant, depuis que l’État a décidé d’investir cette filière, dans les années 1970, en réponse à la crise énergétique de cette époque. Dans ce pays, les véhicules roulent grâce à du carburant contenant jusqu’à 85% d’éthanol.

Le 26 mars dernier, le président Bush rencontrait d’ailleurs les représentants des géants de l’automobile pour discuter du carburant alternatif. À la sortie de la réunion, il a affirmé vouloir convaincre le Congrès de légiférer pour ordonner l’usage de 132 milliards de litres par année (35 milliards de galons) de combustibles alternatifs pour l’an 2017. Cela signifie de remplacer 20% de la consommation totale d’essence pour du biocarburant.

L’éthanol dans la globalisation

Cette semaine, le leader cubain Fidel Castro publiait dans la presse du Parti communiste cubain une réflexion sur le développement de l’éthanol. Le texte, fidèle au style du « commandant en chef », simple et polémique, s’intitule : Plus de trois milliards de personnes condamnées à mourir prématurément de faim ou de soif dans le monde [2] Il pose une question assez simple : est-il réaliste de transformer des ressources alimentaires (maïs, canne à sucre) pour les transformer en biocarburant pour les automobiles du Nord ?
Pour atteindre l’objectif de 135 milliards de litres de biocarburant, il faudrait par exemple une production de plus de 320 millions de tonnes de maïs. Selon la lettre de Castro, la production actuelle de maïs aux Étas-Unis atteint annuellement 280 millions de tonnes. Cette critique rejoint celle de certains chercheurs qui disent qu’il faudrait occuper 97% du territoire agricole des États-Unis avec du maïs si les automobiles de ce pays roulaient sur de l’éthanol pur.

Évidemment, dans l’éventualité que le marché du biocarburant s’envole, les États-Unis devront importer la majorité de cette ressource. C’est pourquoi l’accord avec le Brésil est déterminant. En plus d’échanges bilatéraux, l’accord contient une aide technologique pour les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes pour qu’ils développent leur production d’éthanol. L’implantation de culture de canne en vue du marché des biocarburants représentent plusieurs dangers. La monoculture intensive, qu’elle soit de maïs ou de canne à sucre, risque de mettre en concurrence les terres agricoles utilisées pour l’agriculture de subsistance. Sans compter le risque d’une élévation des prix des denrées alimentaires, surtout du maïs.

À ce sujet, des ONG, des mouvements sociaux et des associations autochtones réunis en marge de la rencontre de l’ONU sur les changements climatiques demandaient la fin de tout subside à cette industrie. Ils ont affirmé : « Il n’y a rien de vert ni de renouvelable dans le biocarburant importé. Au lieu de détruire les terres et les moyens de subsistance des communautés locales et des peuples autochtones du Sud en une nouvelle forme de colonialisme, les pays du Nord doivent reconnaître qu’ils sont responsables de la destruction du système climatique de la planète, réduire leur consommation d’énergie à des niveaux viables, payer la dette climatique qu’ils ont contractée pour n’avoir pas encore fait ce qui précède, et accroître considérablement leurs investissements en énergie solaire et éolienne » [3].

Le biocarburant : une alternative écologique ?

Derrière le vernis vert que se donne le gouvernement étasunien dans le dossier de l’éthanol se cachent avant tout des intérêts économiques. D’une part, les États-Unis tentent de réduire leur dépendance au pétrole du Moyen-Orient. D’autre part, les agriculteurs du Midwest voient dans l’éthanol de nouveaux débouchés pour leurs produits, surtout depuis que l’Europe a décidé de boycotter le maïs transgénique étasunien.

Les avantages écologiques de la production d’éthanol sont bien minces, sinon nuls. Il ne faut pas oublier que l’agriculture intensive nécessaire à la production du biocarburant est amplement mécanisée. L’empreinte écologique d’une culture de maïs est immense : utilisation de tracteurs, utilisation d’engrais fait à partir de pétrole, déforestation, appauvrissement des sols, etc. De surcroît, la production d’éthanol nécessite 30% de plus d’énergie qu’elle n’en produit ! [4]

Selon le réseau CBC, un rapport non-publié du gouvernement fédéral conclut que l’éthanol n’est pas une solution aux gaz à effets de serre. Les scientifiques d’Environnement Canada soutiennent que la production et l’utilisation de l’éthanol comme carburant « ne fait pas grande différence » en comparaison au combustible fossile. Les gaz s’échappant de la combustion d’un carburant composé à 10% d’éthanol produisent autant de GES que l’essence sans-plomb couramment utilisée.

Il n’y a pas de recette technologique miracle

Derrière les annonces récentes de collaboration Brésil-États-Unis dans la production d’éthanol, il se cache une attaque à peine voilée contre l’influence du Venezuela dans la région. La détermination de Washington à se défaire de sa dépendance pour le pétrole étranger l’amène à envisager des stratégies de diversification de ses sources d’énergie. Mais au lieu d’envisager une réduction radicale de sa consommation de carburant, les États-Unis cherchent de nouvelles ressources et de nouveaux pays qui puissent supporter cette consommation odieuse. À cet effet, le changement technologique ne change rien aux relations impérialistes que les États-Unis maintient avec ses voisins du Sud.

À l’opposé, le discours environnementaliste et anti-capitaliste de Castro, peu importe le personnage, a de quoi faire réfléchir : « J’estime que la réduction et le recyclage de tous les moteurs qui consomment de l’électricité et du carburant constitue un impératif élémentaire et urgent pour toute l’humanité. La tragédie ne tient pas à la réduction de ces dépenses d’énergie mais au projet de transformer des aliments en carburant. »


[1Bilan de la tournée du président Bush en Amérique latine, Actualités du Centre d’études interaméricaines, 14 mars 2007, lien.

[2Publié dans Granma et Juventud Rebelde, version française, version espagnole.

[3Bulletin mensuel du Mouvement mondial pour les forêts (WRM, World Rainforest Movement), n°112, novembre 2006 - Site Internet : http://www.wrm.org.uy

[4Voir l’article de Benoite Labrosse : Trop tôt pour donner le feu vert, Alternatives, avril 2007.

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