Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Plus de 200 000 personnes manifestent contre la loi matraque, la hausse des frais de scolarité… et bien autre chose

La troisième grande manifestation des 22 du mois a, comme les précédentes, dépassé les 200 000 personnes. L’unité des trois fédérations participantes à la grève a été maintenu tout en défiant la loi ce que ne voulait pas les deux fédérations les plus modérées.

Grâce à une astuce, la CLASSE, la fédération la plus radicale, tout en ne respectant pas le trajet communiqué à la police par les deux autres fédérations, en a respecté le point de départ et le point d’arrivée. Par la même astuce, elle a démontré sa très supérieure capacité de mobilisation par rapport au très modeste contingent de l’Alliance sociale, regroupant les centrales syndicales et les fédérations modérées. Une poignée de casseurs, en unité dialectique avec la police si l’on peut dire, a tenté, en vain, de coopter la manifestation à leurs propres fins mais les uns et les autres ont succombé à la loi des grands nombres. En soirée, au passage des manifestantes qui prolongeaient le plaisir, « plusieurs personnes, sur leur balcon, se sont mises à cogner sur des casseroles. Il s’agit d’un mouvement populaire lancé sur l’Internet au cours du week-end, qui reprend un moyen de contestation utilisé en Argentine. » (Radio-Canada)

On ne peut que respecter, que dis-je, admirer tant la résilience étudiante que son imagination tactique. Et on ne peut qu’être déçu, que dis-je, sombrer dans une tristesse et une rage infinies devant la passivité des directions syndicales qui ont renoncé à tout appui gréviste même de 24 heures. Le succès de la manifestation d’aujourd’hui aura certes amèrement déçu le gouvernement mais n’aura pas modifié sa stratégie de la victoire totale par une escalade de l’affrontement et de la répression. La demi bourgeoisie québécoise en a assez d’être le cancre de la zone ALÉNA. Ne serait-ce que de son avantage compétitif hydroélectrique et minier, que de la générosité fiscale envers les entreprises de la téléinformatique, de l’avionique et de la pharmacie, que de la corruption bénéficiant au complexe ABC (asphalte-bois-ciment), l’économie québécoise s’effondrerait à la grecque.

Les Libéraux, le parti organique de cette demi bourgeoisie, croyait bien avoir pavé la voie à une normalisation néolibérale de l’exception québécoise avec le double écrasement du noyau dur du mouvement syndical, les syndicats du secteur public, en 2005 puis en 2010. Quelle mauvaise surprise, pour elle, que cette jeunesse estudiantine, démographiquement maigrichonne par rapport à celle soixante-huitarde et supposément bien embrigadée dans le consumérisme et l’individualisme néolibéraux, qui est prête à sacrifier un semestre d’étude pour ouvrir le chemin de la gratuité scolaire, symbole de la mise à l’écart de la dictature de l’Argent en faveur de la solidarité sociale. Sauf qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Le gouvernement de la demie bourgeoisie québécoise sait fort bien qu’il est possible de sacrifier le tiers d’une cohorte étudiante, plutôt francophone et provenant principalement des sciences sociales et des humanités, sur l’autel du rétablissement de la compétitivité capitaliste. La profitabilité de Québec Inc. est mise à mal non seulement par l’exception québécoise avec ses garderies subventionnées et son assurance médicament mais aussi par la maladie hollandaise canadienne, due à un taux de change pétrolier, dénoncée à juste titre par le chef du NPD ce pour quoi le ciel médiatique canadien est en train de lui tomber sur la tête.

Il est tout simplement renversant qu’un jour de semaine, sans mouvement gréviste sur les lieux de travail, une telle mobilisation ait été possible. On imagine le supplément d’âme qu’aurait apporté le début du commencement d’une grève sociale votée depuis longtemps à la CSN, la fédération syndicale la seconde en importance. Le peuple québécois supplie le mouvement syndical — il vient encore de le faire aujourd’hui — de secouer ses puces tout en prenant sa revanche sur les humiliations de la dernière décennie. Des syndicalistes de gauche invoquent le manque de préparation et le succès relatif de la propagande gouvernementale contre le mouvement étudiant qui ne consentirait pas à faire sa juste part. S’attend-on à ce que les directions syndicales, encrassées dans le confort et l’indifférence des cotisations garanties par l’atelier fermé, préparent une grève sociale ?

Serait-on plongé dans un inextricable cercle vicieux ? Il faut se rappeler le soulèvement syndical, contre la volonté des directions, du 11 décembre 2003 contre les lois scélérates du nouveau gouvernement Libéral d’alors — blocages du port de Montréal et d’une route importante au nord de la ville de Québec — sans oublier l’occupation pendant une semaine d’une usine d’aluminium du Saguenay quelques semaines plus tard. La colère était alors autant à son comble qu’elle l’est aujourd’hui contre la loi matraque. Il fallut toute la perfidie des directions syndicales pour faire rentrer les eaux tumultueuses de la révolte dans leur lit… dont le vote généralisée du principe d’une grève sociale qui n’a jamais eu lieu. Les bureaucratisées directions syndicales n’appelleront pas à la grève sociale. Elles se serreront les fesses en attendant que la rage cède sa place à la confortable routine du découragement.

Cet appel appartient aux courageux « profs contre la hausse », à l’Intersyndicale de Québec solidaire, que dis-je, à la direction de Québec solidaire maintenant que l’enjeu n’est plus qu’une affaire étudiante, si jamais il ne l’a été, mais une affaire de droits démocratiques. Il faut sortir des appels alambiqués à la désobéissance civile même si on comprend la CLASSE de le faire, coincée qu’elle est entre casseurs et passivité syndicale. Cette désobéissance civile, qui pose la nécessité du dépassement de la légalité au nom de la légitimité de la démocratie et de la justice sociale mais sans recours à des moyens violents — contrairement à l’interprétation provocatrice du Ministre de la justice — est une tactique, pas une stratégie. La tactique, c’est certes la désobéissance civile mais la stratégie c’est la grève sociale, l’unité combattante étudiant-prolétariat dans la rue. Quant à l’arme secrète contre la répression, c’est la loi des grands nombres comme on l’a constaté aujourd’hui. C’est là le chemin de la prise du pouvoir par la gauche quitte à ratifier le tout dans les urnes.

Marc Bonhomme, 22 mai 2012
www.marcbonhomme.com  ; bonmarc@videotron.ca

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