C’est la première fois qu’un chimiste et toxicologue reconnu se penche sur la question des gaz de schiste. Ses analyses sont édifiantes : « Jamais une telle concentration de produits chimiques n’a été injectée dans le sol, c’est un véritable réacteur chimique. »
André Picot, directeur de recherche honoraire du CNRS, créateur de l’unité de prévention du risque chimique et président de l’Association Toxicologie-Chimie (ATC), a analysé pendant un mois les sources officielles américaines et canadiennes, où les gaz et huiles de schiste sont exploités depuis cinq ans déjà (lire son rapport en PDF).
Aux Etats-Unis, différents événements troublants donnent à penser à André Picot que les gaz de schiste ont déjà tué des animaux. Il formule une hypothèse à propos de la mort des bovins en Louisiane – un troupeau soupçonné d’avoir ingéré du liquide de fracturation de la société Chesapeake Energy : « Existe-t-il une relation entre les saignements de la langue et la bave observés sur les bovins décédés, et la forte concentration de N-Oxyde de 4- nitroquinoléine identifiée par l’EPA parmi les produits majoritaires de certains liquides de fracturation ? C’est possible. »
Les oiseaux intoxiqués par l’hydrogène sulfuré ?
En effet, les eaux de fracturation contiennent « 14 mg/litre de N-Oxyde de 4-nitroquinoléine » : « C’est un composé peu connu mais dont des biologistes japonais ont démontré qu’à très faible dose, il entraînait chez les rongeurs (rats et souris) des cancers sélectifs de la bouche et de la langue.
Egalement présents : le benzène qui peut entraîner des leucémies, et les chromates qui provoquent des cancers des fosses nasales, de la peau, du larynx, des bronches et des reins. »
Surtout, le scientifique pense tenir une explication aux mystérieuses pluies d’oiseaux morts du début de l’année : « Une émanation d’hydrogène sulfuré pourrait très bien avoir causé la mort massive d’oiseaux morts en Arkansas, en janvier dernier. Rappelons que ce gaz nauséabond tue plus rapidement que le monoxyde de carbone et qu’il est en plus doté d’un effet anesthésiant puissant sur le nerf olfactif. »
Les produits volatils dangereux s’échappant des bassins de décantation, comme l’hydrogène sulfuré (le même qui tue en un éclair et que l’on trouve dans les algues vertes) et les BTEX (composé de benzène, toluène, ethylbenzène, et xylènes) qui ont certainement déjà eu des effets neurotoxiques sur les populations vivant à proximité.
Des effets toxiques à court terme et cancérigènes à long terme
Parmi les effets des gaz de schiste sur l’environnement et la santé des travailleurs et des populations installées autour des forages, André Picot s’inquiète, dans l’ordre de gravité :
* des quantités d’eau phénoménales nécessaires pour l’hydro-fracturation, qui risquent mécaniquement d’assécher les nappes phréatiques
* du risque de pollution des nappes phréatiques : on crée un mini-séisme dans le sous-sol et on risque de traverser des zones où l’on puisera de l’eau de consommation plus tard,
* du risque d’évaporation de produits dangereux : les 20% d’eau qui ressortent après le processus de fracturation sont ensuite mis en bassin de décantation, d’où tous les produits volatiles s’évaporent, dont le benzène.
Les effets sur la santé peuvent aller d’intoxications à court terme à des cancers qui risquent de n’apparaître que dans vingt-cinq ans.
Que va répondre Nathalie Kosciusko-Morizet ?
Le bilan qu’il vient de publier a été remis au Premier ministre, à Nathalie Kosciusko-Morizet et à Eric Besson, ainsi qu’aux députés ayant participé au débat parlementaire du 29 mars.
Le but ? Peser pour que la proposition de loi déposée par Christian Jacob (UMP) visant à interdire l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste soit adoptée ce mardi 10 mai. Et que la technique de fracturation hydraulique à l’américaine soit définitivement bannie chez nous. (Voir le schéma explicatif sur la fracturation hydraulique)
Il en est convaincu : « En France, notre sous-sol est trop fragile, et les densités de population trop importantes. »
Le rapport de 45 pages (http://atctoxicologie.free.fr/archi/bibli/BILAN_TOXICOLOGIE _CHIMIE_GAZ_DE_SCHISTE.pdf) publié sur le site de l’association donne, tableau après tableau, tous les détails chimiques disponibles sur le contenu des liquides de fracturation, et leur toxicité. Afin que les non-chimistes comprennent les grands enjeux qui en ressortent, en voici un petit résumé.
Les pétroliers fournissent des données « en trompe l’œil »
Rappelons que la fracturation hydraulique consiste à injecter à forte pression une grande quantité d’eau, mêlée à des produits chimiques, pour traverser la roche imperméable afin de libérer les hydrocarbures. Ce mode d’extraction non conventionnel utilise des milliers de substances chimiques.
Il y en aurait 2 500, présents à l’état pur ou sous forme de mélange, mais au nom du secret industriel, les entreprises n’étaient jusqu’ici pas tenues de toutes les citer.
André Picot a analysé les 200 produits qu’il a identifié sur la liste de 400 décrits dans le rapport publié en février dernier (http://water.epa.gov/type/groundwater/uic/class2/hydraulicfracturing/upload/HFStudyPlanDraft_SAB_020711.pdf) par l’agence de protection de l’environnement américaine (EPA).
Le problème, explique André Picot, c’est que les données sont « en trompe l’oeil » : « On nous donne les noms des produits, mais pas leur concentration. Ainsi les industriels disent qu’ils injectent 90% d’eau, 9,5% d’agents de soutènement pour empêcher la roche de se réagréger et selon les sociétés pétrolières, entre 0,5% et 2% de produits chimiques ajoutés comme additifs. »
Or c’est plus compliqué que ça, car 20% de l’eau injectée (il faut 10 millions de litres par fracturation) ressort, et les entreprises ne communiquent que sur ce qu’elles injectent : « Certains produits ne sont pas dangereux au départ, mais à l’arrivée ils peuvent être mutagènes et cancérigènes. »
C’est ce que le toxico-chimiste a compris : « La fracturation hydraulique est “un ‘réacteur chimique’ extraordinaire : on est face à un circuit fermé, situé à environ 2000 mètres sous le sol, chauffé et sous pression. Ce type de réactions chimiques je ne l’ai vue qu’en laboratoire, mais pas à cette échelle.”