Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pipeline d’Enbridge : La consultation bidon n’arrêtera pas la mobilisation citoyenne

Au fur et à mesure que se précisent les détails de la commission parlementaire annoncée par le gouvernement péquiste sur l’oléoduc d’Enbridge, la déception se fait palpable parmi les groupes citoyens mobilisés contre les projets de pipelines visant à transporter le pétrole des sables bitumineux.

Auteur : Roger Rashi

Un simulacre de consultation

Alors que les groupes écologistes québécois souhaitaient une consultation publique en bonne et due forme sur le projet d’inversement du flux de la ligne 9 d’Enbridge, le gouvernement Marois a répondu par une simple commission parlementaire dont le mandat est tellement restreint qu’elle en est risible.

Non seulement cette commission est limitée à un dérisoire 6 jours d’audiences publiques mais les groupes citoyens en sont exclus, le gouvernement les contraignant à ne soumettre que des mémoires écrits. En outre, seulement cinq groupes écologistes ont été convoqués aux audiences et la durée maximale de l’exposé de chacun de ces organismes ne sera que de 10 minutes avec un maximum de 35 minutes permis pour l’échange subséquent avec les membres de la commission. La touche finale à ce simulacre de consultation est fournie par les conditions exceptionnelles accordées à Enbridge : celle-ci ne sera questionnée que par les parlementaires membres de la commission pour une durée ne dépassant pas les 90 minutes. Enbridge évitera ainsi le contre-interrogatoire serré et public que lui aurait servi une authentique contre-expertise indépendante.

Le caractère expéditif et bâclé de la commission parlementaire – elle est tenue de soumettre son rapport à l’assemblée nationale au plus tard le 6 décembre – révèle encore une fois le parti-pris du gouvernement péquiste en faveur des pipelines traversant le territoire québécois. En effet, la politique pétrolière du gouvernement Marois s’oriente vers une intégration à double volets dans le système énergétique nord-américain : l’ouverture du territoire québécois aux pipelines transportant le pétrole des sables bitumineux en direction des ports de l’Atlantique (Ligne 9 d’Enbridge, projet Energy East de Transcanada) ET l’exploitation des réserves québécoises de pétrole non-conventionnel (Anticosti, Old Harry). Le tout, bien sûr, sous l’oeil vigilant des grandes multinationales du pétrole et de leurs alliés politiques à Ottawa et à Calgary.

Un emballage « vert » peu crédible

Toutefois, le double discours du gouvernement Marois passe de plus en plus mal. En effet comment peut-on concilier deux objectifs totalement contradictoires soit d’une part, la production et le transport accru du pétrole en sol québécois et d’autre part, la réduction des gaz à effet de serre ? La réponse est bien simple : c’est impossible et il s’ensuit que la transition énergétique dont s’époumone le Parti québécois n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux.

Mais certains dans les rangs gouvernementaux s’activent tant bien que mal pour défendre l’indéfendable. Le dernier en ligne n’est nul autre que Scott McKay, ancien dirigeant du Parti vert mais rallié de longue date au PQ (1). Sans l’ombre d’une gène ce dernier (tout comme Daniel Breton, lui aussi ancien dirigeant du Parti vert), s’évertue à promettre qu’une simple régulation de l’exploitation et du transport pétrolier jumelés à l’électrification des transports serait la voie à suivre pour un Québec plus vert. Mais ce soi-disant pragmatisme, qui reprend en gros les recommandations de la Banque Mondiale, du FMI ou de la Commission européenne, ne mène qu’au cul-de-sac constaté par les grandes organisations écologistes à la Conférence internationale sur le climat de Varsovie (2). Alors que le réchauffement de la planète s’accélère et que les gaz à effet de serre ont atteint un seuil critique, les pays développés sous l’emprise des lobbies pétroliers et financiers préfèrent se lancer dans une course folle à l’exploitation hautement toxique des hydrocarbures non-conventionnels (sables bitumineux, pétrole et gaz de schiste ainsi qu’à brève échéance, le forage dans les sous-sol de l’océan Arctique) quitte à maquiller le tout d’un label « économie verte » de moins en moins crédible.

Triste à dire, mais avec ce virage pétrolier du PQ, le Québec serait en bonne voie de rejoindre les grands cancres environnementaux que sont les « dirty four » : les États-Unis, le Japon, l’Australie et le Canada.

Bloquer les pipelines : une bataille stratégique

Mais quelles que que soient les manoeuvres péquistes, la mobilisation contre les pipelines, déjà bien engagée au Québec, se poursuivra. Loin de se laisser abattre les groupes citoyens sont à peaufiner de concert avec les groupes écologiques une stratégie qui combinerait des présentations critiques devant la commission parlementaire avec des activités externes de dénonciation du caractère factice de cette consultation.

Car le coeur de la campagne visant à bloquer les pipelines en territoire québécois réside dans la poursuite des campagnes de sensibilisation et de mobilisation populaire, et non dans le lobbyisme auprès de ministres ou de parlementaires péquistes soit-disant « amis ». Le moratoire sur les gaz de schiste fut gagné de haute main par une vaste mobilisation citoyenne en dépit des manoeuvres du gouvernement libéral de Charest et de ses alliés de l’industrie pétrolière. En Colombie Britannique et aux États-Unis ce sont de vastes coalitions regroupant environnementalistes, progressistes et communautés autochtones qui ont freiné les pipelines Northern Gateway et Keystone XL, et non pas la « bonne volonté » du gouvernement libéral en CB ou celle d’Obama aux USA.

C’est précisément ce que redoute le plus l’industrie des sables bitumineux. L’expansion vers les ports de l’Atlantique lui est vitale pour surmonter l’enclavement relatif imposé par l’échec des pipelines allant vers l’ouest (Northern Gateway ou le sud (Keystone XL). Une sourde inquiétude se répand maintenant dans la presse financière canadienne : la profitabilité des producteurs albertains ne ferait que baisser au courant des prochaines années si les projets de pipelines allant vers l’est rencontrent trop d’embuches (3). Comme la production des sables bitumineux est appelée à plus que doubler d’ici 2020, c’est la peur de l’effondrement des prix du bitume albertain qui s’installe.

Pour une vraie transition environnementale et sociale

Le mouvement pour la justice climatique en Amérique du Nord a énormément mûri depuis trois ans. Après de nombreuses luttes perdantes contre l’augmentation de la consommation des hydrocarbures, il a frappé dans le mille avec une mobilisation massive pour garder les énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) dans le sol. Ces luttes ont déclenché de vastes alliances populaires , avec les communautés autochtones en pointe, et porté des coups à l’industrie pétrolière et ses alliés.

Il s’agit aujourd’hui de consolider ce vaste front populaire écologique en l’arrimant à la lutte pour la transformation radicale des structures socio-économiques responsables de cet immense gâchis environnemental et social.

A ceux comme Scott McKay qui n’ont cesse de nous abreuver de banalités du genre il faut « se hisser au-delà de la partisanerie politique et du clivage gauche-droite » nous devons riposter que la vraie transition énergétique ne peut se faire qu’à gauche.

L’immense importance stratégique de la bataille contre les pipelines surgit ici dans toute sa clarté. Non seulement s’agit-il de frapper les pétrolières directement dans le porte-feuille, là où cela fait le plus mal, mais il en va de la survie de la planète. Comme le dit si bien l’ancien climatologue de la NASA, James Hansen, si les sables bitumineux sont exploités au maximum de leur capacité, c’est la fin pour la planète.

NOTES

1. Voir « Le casse-tête pétrolier » par Scott McKay, dans Le Devoir du 19 novembre 2013.

2. Voir « Les ONG claquent la porte de la laborieuse conférence de Varsovie », dans Le Monde du 21 novembre 2013. http://www.lemonde.fr/europe/articl…

3. Voir « Analysts don’t like Gateway’s chances. Transportation issues hamper oil producers », dans le Financial Post du 25 octobre 2013,

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