9 mars 2022 | tiré d’Europe solidaire sans frontières Nicolas Haeringer
Nous nous moquions parfois (un peu facilement) du monde d’écart qu’il y avait avec eux - combien de fois Pierre ou d’autres sont-ils venus me trouver au milieu d’un réunion pour me demander pourquoi ils ne parvenaient pas à envoyer un mail (parce qu’il fallait configurer leur serveur SMTP sortant et qu’ils ne savaient pas le faire) ?
Bien sûr, la différence générationnelle était importante, et nous en avions parfois un peu marre de ces « vieux » militants qui semblaient savoir les choses mieux que nous.
Nous avons parfois été injustes avec eux, surjouant la nouveauté radicale de l’expérience altermondialiste, pour leur faire comprendre que nous étions des égaux, des pairs - que nous savions aussi bien qu’eux. Après tout, n’avaient-iels pas échoué plus souvent qu’à leur tour, les militant.e.s de cette génération là ?
Mais nous avons rapidement dû nous rendre à l’évidence : ces militant.e.s aguerri.e.s étaient tout autant que nous fascinés par les expérimentations en cours, ils n’était jamais les dernier.e.s à dire que ce que nous vivions était sans précédent. Alors nous nous persuadions que décidément, nous vivions un moment historique, là à Porto Alegre, ici à Florence, à Gènes, ou à Seattle.
Et nous nous rendions compte bien rapidement que le regard de quelqu’un comme Pierre était précieux, qui nous résumait en quelques mots ce qui se jouait dans les mouvements sociaux de tel pays, de telle région - au cours de ces moments d’intensité si particuliers qu’étaient les forums sociaux.
Nous sommes passés à autre chose - justice climatique, occupations, etc. convaincus que l’altermondialisme avait fait son temps. Peut-être étions-nous trop pressés, peut-être zappions-nous d’une mobilisation à l’autre, même si nous étions convaincu.e.s que nous étions au contraire attentifs à ce qui émergeait, à ce qui se jouait de nouveau.
Pierre, avec d’autres, ont continué à s’investir pleinement dans la dynamique altermondialiste. Il n’a jamais renoncé, jamais, à l’espoir que portait le Forum Social Mondial - mais toujours avec une insatiable curiosité, un appétit évident pour les mobilisations qui échappaient aux cadres traditionnels.
Aujourd’hui, nous sommes les « vieux » militant.e.s de la génération qui se lève, notamment via les grèves du climat. J’espère que nous saurons faire preuve de la même capacité à transmettre, que nous saurons rester curieux comme Pierre savait l’être - même si je crains que nous ne soyons déjà bien plus désabusé.e.s qu’il ne l’a jamais été.
Nicolas Haeringer
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P.-S.
Nicolas Haeringer
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