Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Peut-on encore s’attendre à un désarmement nucléaire alors que le Président Poutine suspend la participation de la Russie au traité New START ?

Nous débutons cette émission en examinant l’annonce faite par le Président Poutine à l’effet que Moscou suspendrait sa participation au Traité New START, le dernier traité qui permette de contrôler l’armement nucléaire de la Russie et des États-Unis.

Democracy Now 22 février 2023
Traduction, Alexandra Cyr

Introduction 

Amy Goodman : L’acronyme START signifie : Strategic Arms Reduction Treaty. Le Président Poutine a fait cette annonce au cours de son Discours à la nation mardi le 21 février courant en accusant les nations occidentales d’avoir provoqué le conflit en Ukraine. Il a déclaré que la Russie se battait pour sa propre existence.

Président Vladimir Poutine : (depuis la traduction anglaise).
Ils ne peuvent être aussi stupides. Ils veulent nous infliger une défaite stratégique tout en lorgnant nos objectifs nucléaires. Voyant cela, je dois dire que la Russie suspend sa participation au traité New START. Je répète : la Russie n’abandonne pas le traité mais y suspend sa participation. Et avant de reprendre les discussions, nous devons premièrement comprendre : à quoi, les pays de l’OTAN comme la France et la Grande Bretagne aspirent, et comment allons-nous tenir compte de leurs arsenaux nucléaires ?

A.G. : Le traité établit un plafond sur les stocks d’armes nucléaires de la Russie et des États-Unis. Chacun a la possibilité d’inspecter les sites nucléaires de l’autre. Peu après l’allocution du Président Poutine, le ministre des affaires étrangères russe a déclaré que Moscou continuerait à respecter les plafonds établis.

Le docteur Ira Helfand se joint à nous. Jusqu’à récemment, il a été président du International Physicians for the Prevention of Nuclear War, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1985. Il est aussi membre du groupe international qui lutte pour l’abolition des armes nucléaires et il est co-fondateur et a été président des médecins pour la responsabilité sociale.

Dr. Helfand, merci d’être avec nous. Parlez-nous de la signification de l’annonce du Président Poutine au sujet de la mise en suspend de la participation de la Russie au traité New START ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Dr Ira Helfand : (…) Je pense qu’il y a deux ou trois choses à reconnaitre d’abord et avant tout. L’une d’elle c’est que ce traité, quoiqu’utile d’une certaine façon, est un document très limité et un traité très inadapté. Il permet toujours aux États-Unis et à la Russie de posséder 3,100 armes nucléaires stratégiques allant de 100 à 800 kilotonnes. C’est ce qu’ils ont. Cela représente de six à cinquante fois la puissance des bombes qui ont détruit Hiroshima.

Une nouvelle étude publiée en août dernier démontre que si ces armes, actuellement permises par le traité, était utilisées dans une guerre, 150 millions de tonnes de suie pourrait être propulsées dans la haute atmosphère bloqueraient le soleil et feraient descendre la température d’environ 18 degrés Fahreinheit sur la planète. En Amérique du nord et en Eurasie, cela pourrait aller jusqu’à de 45 à 50 degrés Fahrenheit de moins. Résultats : une famine ; environ les trois quarts des humains.es, entre cinq à six milliards mourraient. Et si ça ne suffit pas, la même étude démontre qu’une toute petite partie de ces arsenaux causerait une catastrophe mondiale. 250 des plus petites armes stratégiques dans ce lot, disons 100 kilotonnes produiraient suffisamment de suie pour déclencher une famine qui tuerait 2 milliards 100 mille personnes et détruirait la civilisation dont nous jouissons en ce moment.

Cela signifie que ce traité permet aux États-Unis et à la Russie de maintenir des arsenaux nucléaires capables de détruire six fois ou plus la civilisation moderne. Donc, c’est embêtant que la Russie suspende sa participation mais nous devons comprendre que ce traité est foncièrement imparfait, que nous devons aller beaucoup plus loin et arriver à une entente qui bannit les armes nucléaires comme le fait le traité sur la prohibition des armes nucléaires.

Juan Gonzlez : Dr. Helfand, je voulais vous demander ; quant à notre direction dans le contrôle des armes nucléaires, étant donné que la première administration Bush s’est retirée d’un traité, que l’administration Trump s’est retirée de celui sur les armes de force intermédiaire et que maintenant V. Poutine annonce la suspension de la participation de la Russie à celui-ci, quel message ces gouvernements envoient-t-ils aux peuples du monde ?

D.I.H. : Ils envoient le message qu’ils ne sont pas sérieux quant à leurs obligations d’éliminer leurs arsenaux nucléaires. Ils vont exactement dans la mauvaise direction.

Il est important que nous reconnaissions qu’en réponse à la décision de la Russie, cela ouvre des options au gouvernement américain. Nous devrions nous assurer que l’une d’elle ne soit pas au programme, soit celle de nous retirer du traité ou, encore plus important, d’augmenter cet armement. En ce moment, les Russes indiquent qu’ils respecteront l’actuel plafond établit par le traité. Même s’ils respectent leur parole, cela ne donne aucune raison aux États-Unis d’augmenter son arsenal. Comme je l’ai dit précédemment, nous avons déjà six fois la capacité de détruire la civilisation moderne. Ajouter une capacité de huit, dix ou douze fois ne renforce pas la sécurité.

Il faut une politique américaine qui déclare que les armes nucléaires sont la plus grande menace à notre sécurité. Elles ne nous sécurisent pas. Et il faut impérativement chercher une entente avec les huit autres détenteurs d’armes nucléaires sur leur élimination, comme le demande le groupe américain Back from the Brink.

Je pense que beaucoup de gens trouvent que ce n’est pas le moment de parler de cela compte tenu de la conjoncture actuelle. C’est en effet un moment extraordinairement dangereux. Mais il faut nous souvenir que dans le passé nous avons été proche d’une guerre nucléaire comme nous le sommes maintenant. Après ces périodes de crise, des progrès rapides ont été faits pour améliorer la situation. Vous savez, en 1983, les États-Unis menaçaient de déclencher une guerre nucléaire en Europe. Des missiles ont été installés en Allemagne à cet effet. Nous sommes passés à deux doigts d’une guerre contre l’Union soviétique deux fois en 1983. Et moins d’une année et demi plus tard, R. Reagan et M. Gobachev ont été capables de déclarer que la guerre nucléaire n’aurait jamais lieu parce qu’il est impossible de la gagner. Nous sommes arrivés à un renversement complet de la politique nucléaire dans les deux pays. Les leaders sont sortis de cette crise, calmés mais effrayés par ce qu’ils avaient presque fait. Ils étaient ouverts à une autre manière de penser les armes nucléaires. C’est possible, mais pas certain, que nous puissions voir le même genre de réactions à notre moment extrêmement dangereux. Nous les citoyens.nes, devons faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils saisissent le potentiel de cette opportunité pour aller de l’avant.

J.G. : Je voulais aussi vous demander, à propos de certains mots que le Président Poutine a prononcés hier, et dont les médias font peu de cas. Je voudrais en citer un extrait et vous demander comment vous y réagissez. Je cite : « Tôt en février, l’OTAN a fait une déclaration en rapport avec la demande actuelle de la Russie, comme ils le disent, et a demandé la fin de la suspension au traité New Start y compris la reprise des inspections de nos installations de défense nucléaire. Je ne sais même pas comment appeler cela. Ça ressemble à un théâtre de l’absurde. Nous savons que l’Occident est directement impliqué dans la tentative du régime de Kiev d’attaquer nos bases d’aviation stratégiques. Les drones qu’ils utilisent à cet effet sont équipés et mis à jour avec l’aide de spécialistes de l’OTAN. Et maintenant, ils voudraient inspecter nos installations et équipements de défense ? Dans les circonstances actuelles de confrontation, c’est tout simplement absurde ». C’est ce que disait V. Poutine parlant du fait que ce traité prévoit un certain niveau de coopération entre les deux pays et visiblement, la guerre en Ukraine rend cela impossible.

D.I. H. : Je pense qu’à ce moment précis, il est très difficile d’avoir ce niveau de collaboration. Mais il n’y a pas de raison pour que V. Poutine suspende la collaboration pour les inspections. Elles sont très importantes parce qu’elles maintiennent un niveau de confiance de part et d’autre c’est-à-dire que la Russie et les États-Unis constatent qu’ils continuent d’adhérer au traité tous les deux. Quoique ce soit qui fragilise ce dialogue et c’est ce que fait V. Poutine, est un pas dans la mauvaise direction.

Vous voyez, il y a des problèmes avec les positions des deux pays sur bien des enjeux mais la nécessité d’abolir les armes nucléaires transcende tout cela. On ne se débarrasse pas d’armes nucléaires quand on se propose de les utiliser. Et si elles le sont, rien de ce que vous ferez n’y changera quoi que ce soit.

Aux États-Unis, nous avons la possibilité d’influencer notre gouvernement. Et nous devons le tenir responsable de sa politique nucléaire. Nous pouvons changer cette politique. Les membres de la Chambre des représentants, Jim McGovern et Earl Blumenauer ont déposé un projet de loi à la Chambre, le projet H.Res.77 qui demandait aux États-Unis d’intégrer le traité sur la prohibition de ces armes, de faire de leur élimination le socle de notre politique de sécurité et de commencer des négociations avec les huit autre pays détenteurs d’armes nucléaires pour arriver à une entente limitée dans le temps, exécutoire et vérifiable, pour les éliminer effectivement .

C’est ce que les États-Unis devraient faire en ce moment même. Il faut prendre en compte ce qui se passe en Ukraine, à la guerre que V. Poutine y a déclenché mais, cela ne devrait pas nous empêcher de déployer nos efforts pour sauver la planète. Nous devrions nous assoir avec tous ces pays dont la Russie s’ils sont d’accord pour commencer de telles négociations.

A.G. : Je veux que vous nous parliez des centrales nucléaires en Ukraine, par exemple de Zaporizhzhia qui est la plus grande d’Europe. Il y a des risques du fait qu’elle soit au milieu d’une zone de guerre, des risques de catastrophe nucléaire.

D.I.H. : C’est une situation très dangereuse. Les centrales nucléaires sont dangereuses intrinsèquement dans le meilleur des temps. Elles ne sont pas destinées à être dans des zones de guerre. Et si un accident arrivait à Zaporizhzhia, si le site était attaqué directement, tout le potentiel pour une fuite catastrophique de radiations est là. Il y a bien plus de matériel nucléaire dans cette centrale qu’il y en avait à Chernobyl. C’est une situation extraordinairement dangereuse.

À court terme, il faut créer une zone démilitarisée autour de cette centrale. Toutes les troupes présentes doivent s’en retirer. Des observateurs internationaux doivent y être présents pour donner l’assurance que les installations sont sécuritaires. À long terme, je pense que nous devons réviser tout le bien fondé d’avoir des centrales nucléaires compte tenu de leur faiblesse et de leur vulnérabilité qui sont illustrées dans ce conflit en Ukraine.

A.G. : Dr. Helfand, nous vous remercions chaleureusement d’avoir été avec nous. (…)

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