On se rappellera que suite au ralentissement de la circulation de la route 138 survenu en juin dernier, des négociations s’étaient ouvertes entre le Conseil de bande et le gouvernement du Québec. C’est une somme de 113 millions de dollars sur 50 ans qui fut offerte à la communauté pour résoudre l’ensemble des préjudices faits au territoire ancestral, soit la construction des 14 barrages sur les rivières Manicouagan, Outarde, Bersimis, Toulnustouc, des lignes de transmission, l’exploitation forestière et l’utilisation d’une partie non négligeable de la réserve pour la route 138. Jugeant cette offre insultante, le Conseil de bande s’est retiré des négociations avec Québec, laissant entrevoir une augmentation des moyens de pression.
C’est à l’hiver dernier que la fébrilité est apparue à Pessamit, tout de suite après la visite d’un représentant du Ministère des affaires indiennes et du co-gestionnaire venus pour présenter un plan néolibéral de restriction budgétaire pour contrer le déficit : abolition de plusieurs postes dans tous les secteurs, diminutions de salaires, augmentations des loyers des maisons. Dès lors, des gens de la communauté tentèrent une lutte unifiée de tous les secteurs pour rejeter le plan de coupures du conseil. Malheureusement, une petite partie de l’opposition au chef Picard, qui revendiquait les coupures et la tutelle fédérale depuis déjà plusieurs années, a détourné la grogne populaire pour revendiquer la destitution du chef et de ses conseillers. Toute lutte intersectorielle fut alors impossible, la communauté étant alors polarisée entre pro-chef et anti-chef. Les coupures ont donc eu lieu sans embûche...
Quelques mois plus tard, un groupe de jeunes de la communauté, appelé Innupower, a monté un campement sur le bord de la route 138 en opposition au Plan nord et pour la défense du Nitassinan, territoire ancestral innu. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que les mêmes individus qui avaient virtuellement destitué le chef (sur Facebook !) accusent ces jeunes d’être les instruments du chef Picard, et pour menacer de faire échouer toute action venant de ce groupe. Lorsqu’en juin le Conseil de bande donna son appui à l’initiative d’Innupower de ralentir la circulation sur la route 138, ce groupuscule d’opposants, en émoi, se lança dans une campagne de peur : demande d’intervention de la Sureté du Québec, menace d’incendier le campement des jeunes, qui fut d’ailleurs incendié en partie. À la rupture des négociations en novembre dernier, l’un d’eux a même affirmé, sur Facebook : « pkoi on prend pas les grans moyens pi defaire le blocus aek ns fusil de chasse ».
On sait que dans plusieurs pays, les gouvernements et les compagnies (parfois canadiennes) n’hésitent pas à encourager la création de groupes paramilitaires pour contrer les mobilisations populaires et miner la résistance à la voracité des compagnies. Difficile de savoir si dans ce cas précis, les gouvernements et des entreprises telles qu’Hydro-Québec encouragent la zizanie à Pessamit. Mais il est en tout cas certain qu’ils en sont les seuls bénéficiaires.
Qu’il ait ou non l’appui de l’État, il est toutefois peu probable que le groupe en question réussisse à rallier beaucoup de monde. De plus en plus de membres de la communauté sont conscients que les enjeux territoriaux et l’intérêt commun est au dessus des querelles électoralistes. Plusieurs membres de l’opposition au chef s’en sont aussi rendu compte et refusent de faire le jeu des gouvernements et des compagnies. Tôt ou tard, les InnuEs de Pessamit reprendront la lutte pour reconquérir leur dignité, n’en déplaise aux élites coloniales.