Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Partout en France, les « manifs de confinement » prennent de l’ampleur

e confinement pourrait avoir éteint la colère contre la politique néolibérale du gouvernement. Mais la colère bout toujours et de nouvelles formes de contestation « confinée » s’inventent.

Tiré de Reporterre.

Applaudir les soignants… mais pas seulement. Mardi 31 mars à 20 h, banderoles et projections sont apparues aux fenêtres un peu partout en France pour une « manif de confinement », à l’appel du collectif Projections Covid-19, soutenu par Art en grève Paris-banlieues, Cortège de fenêtres et Cerveaux non disponibles. « Dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites, une date de manifestation était planifiée pour le 31 mars. La colère ne s’est pas estompée, au contraire, cette crise révèle toute l’incohérence d’un système et l’irresponsabilité de nos gouvernants, a écrit Projections Covid-19 sur l’événement Facebook de la manifestation. Nous réclamons des moyens pour sauver le système de santé : des vrais salaires, des postes, des lits, du matériel ! Nous demandons le retrait total de la contre-réforme des retraites. Nous demandons le retrait total de la contre-réforme de l’assurance chômage. » Mardi 31 mars peu après 21 h, une vingtaine de personnes avaient déjà posté des photos de leurs banderoles sur le réseau social. La mobilisation devait se poursuivre dans la soirée avec la projection de vidéos sur des façades d’immeuble, après la tombée de la nuit.

« Nous voulions politiser le moment de solidarité avec les soignants de 20 h, explique à Reporterre Romain, du collectif Projections Covid-19, formé peu après le début de l’épidémie en France par des militants parisiens mobilisés contre la réforme des retraites et de l’assurance chômage et d’artistes marseillais. Applaudir ne suffit plus. Les soignants n’ont pas seulement besoin de reconnaissance mais aussi de lits, de matériel, de vrais salaires et de vraies retraites. Ils étaient d’ailleurs massivement présents aux manifestations de ces derniers mois. »

Quand elle a vu l’appel à manifester sur la page de Cerveaux non disponibles, Élodie, habitante de la Seyne-sur-Mer (Var), a tout de suite adhéré à l’idée et a préparé une banderole à la va-vite, où l’on peut lire « de l’argent pour l’hôpital, pas pour le capital ». « Tous les soirs, on applaudit les soignants. Mais les sacraliser et en faire des héros, n’est-ce pas dédouaner le gouvernement et nous décharger de notre responsabilité de ne pas avoir suffisamment soutenu l’hôpital public ? s’interroge-t-elle. Là, la mobilisation permet à la fois de remercier les soignants et de dénoncer la casse du service public. »

Mais les revendications de Projections Covid-19 vont plus loin et la mobilisation s’inscrit dans la continuité des mouvements sociaux de 2019 et du début de l’année 2020 : « Nous avons choisi la date du 31 mars car l’intersyndicale avait prévu une manifestation contre la réforme des retraites ce jour-là. C’est aussi l’anniversaire de Nuit debout », rappelle Romain, qui a projeté une vidéo sur une façade de la cour intérieure de son immeuble du XVIIIe arrondissement de Paris.

Le collectif Art en grève, formé le 28 novembre 2019 pour lutter contre la précarité des travailleurs de l’art et de la culture, s’est rapidement associé à ce projet de « manif de confinement ». Émilie, artiste plasticienne et membre d’Art en grève et du collectif La buse, a projeté une vidéo sur la façade de l’immeuble situé en face de son appartement, dans le XXe arrondissement de Paris. « Cette crise a un effet de loupe sur une situation qui était déjà critique avant, lorsque nous nous battions contre la réforme des retraites et nous apprêtions à nous battre contre la réforme de l’assurance chômage, dit-elle à Reporterre. La pandémie révèle un système incapable de protéger les citoyens, bien au-delà des soignants.

Aujourd’hui, les artistes ne savent pas comment ils vont payer leurs loyers, leur bouffe. Ceux qui ont le statut d’intermittent du spectacle se demandent comment ils vont réussir à faire suffisamment d’heures pour le conserver. De leur côté, les artistes auteurs ne touchent pas de chômage. Depuis quinze jours, nous recevons des informations contradictoires : nous aurons peut-être droit à l’aide prévue pour les travailleurs indépendants, mais ce n’est pas sûr, ou alors à des conditions très restrictives... » Mais au-delà des artistes et intermittents du spectacle, « c’est tous les statuts précaires qui sont mis en lumière. Cela montre à quel point l’assurance chômage n’est pas un système de profiteurs mais relève d’un droit humain ».

Matou, Vico et Azur [1], habitants du lieu de vie « collectif, libertaire et écologique » « La Copainerie » dans la commune rurale de Semons (Isère), ont l’habitude de manifester à Grenoble. Mardi 31 mars, ils ont déployé une banderole « maintenant qu’on a le temps, on le prend et on le garde » sur la maison et comptent l’y laisser quelques semaines. « Nous avons eu l’idée de ce slogan après avoir croisé au magasin un voisin paysagiste qui, son sac de terreau sous le bras, nous a lancé “pourvu que ça dure”, raconte Azur à Reporterre. Ça m’a interpellée. Qu’est-ce qu’on a envie de voir durer ? Pas le fait d’être enfermé, bien sûr. Mais à la campagne, la réalité du confinement est différente. Faire son potager, passer du temps avec les gens avec qui l’on vit, avoir du temps pour soi… À la campagne, même s’il est difficile d’accéder à plein de choses, on peut créer des liens de solidarité avec ses voisins, choisir de créer un mode de vie différent. » « Aujourd’hui, de nombreux salariés sont confinés chez eux ; les autres, caissières, employés de bureau de tabac, ouvriers, sont envoyés au casse-pipe par le gouvernement parce que le capitalisme a besoin de ses esclaves, poursuit Vico. Cette condition est rendue beaucoup plus visible pendant l’épidémie. C’est le moment de réfléchir à ce que signifie le salariat et aux moyens de s’en affranchir. »

Beaucoup de revendications et de messages à faire passer… sans pouvoir descendre dans la rue. Alors, il faut inventer d’autres formes de mobilisation et d’expression et les mettre en œuvre avec plus ou moins de succès. Romain n’a pas attendu le 31 mars pour organiser des projections militantes sur des façades et l’opération a tout de suite été une réussite. « Les voisins applaudissent. Une voisine soignante est venue discuter avec nous après la projection pour nous faire part de ses revendications, raconte-t-il. Alors que la mobilisation est née sur les réseaux sociaux, elle a recréé du lien au niveau très local. » Du côté de chez Matou, Vico et Azur, l’impact est plus difficilement mesurable : « À part quelques voiture, pas grand-monde ne va voir la banderole. C’est plutôt sur les réseaux sociaux que ça va se passer », raisonne Matou.

Axel est étudiant à l’université Lyon-2 et a carrément laissé tomber la manifestation de fenêtres au profit d’autres modes de mobilisation. « J’habite avec mes parents dans un lotissement de Meyzieu [Rhône] où il ne se passe pas grand-chose. Quand les appels aux manifestations de fenêtre ont commencé à circuler, lors des applaudissements de 20 h, j’ai crié des slogans par la fenêtre comme “du fric, du fric, du fric pour l’hôpital public”, “on est là” ou “c’est pas le corona qui nous tuera, mais l’État, le patriarcat et le climat”. J’ai aussi mis envoyé le son du clip officiel des Gilets jaunes de D1ST1 avec mes enceintes. Aucune réaction, seulement un voisin qui est venu me demander ce que je faisais, décrit-il. Du coup, ce soir, je n’ai rien fait. Je participe plutôt à des réunions avec d’autres militants sur Discord [un logiciel de discussion utilisé par les communautés de joueurs de jeux vidéo], j’aide à créer des visuels et des slogans pour les diffuser sur les réseaux sociaux et nous organisons des opérations de soutien pour les étudiants précaires, les SDF et les personnes âgées, en leur indiquant des squats où ils peuvent trouver refuge ou en organisant pour eux des collectes de nourriture. »

Une chose est sûre, tous entendent entretenir la flamme du mouvement social pendant le confinement, voire de lui rendre vigueur en inventant de nouvelles formes d’action. « Si on reste sans rien faire, le mouvement va s’essouffler. Il est important de faire comprendre à l’État qu’on est toujours là et qu’on veut que ça change », insiste Axel. Pour Émilie, « après des mois passés dans la rue, le confinement oblige à se poser. Il faut mettre ce temps à contribution pour réfléchir ». « On a choisi la date du 31 mars en référence à la mobilisation contre la réforme des retraites, mais nous allons continuer à appeler à la mobilisation pendant tout le confinement, conclut Romain. Jusqu’à ce que les banderoles puissent redescendre dans la rue. »

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