Édition du 17 décembre 2024

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Négo dans le secteur public : Où en est la négociation ?

De « Rien » à ce n’est pas le choix de mots qui manque !

« Rien », c’est le mot qui s’impose, à une exception près[1], après notre tournée téléphonique hebdomadaire des conseillères et des conseillers syndicaux avec qui nous échangeons depuis plusieurs mois. Mais un « rien », dans le dictionnaire Le Petit Robert, c’est déjà « quelque chose ». Il faut donc toujours chercher, quand le mot « rien » surgit dans la discussion, « l’extrêmement peu » qu’il peut quand même y avoir à se mettre sous la dent. Alors, sans plus tarder, hâtons-nous à croquer dans ce petit quelque chose restant !

Mais qu’est-ce qu’un « Rien » pour le gouvernement ?

Pour le gouvernement de la CAQ « rien » signifie que tout va bien et que tout roule normalement dans cet immense appareil bureaucratique qui a pour nom les secteurs public et parapublic. Les 560 000 salariéEs syndiquéEs qui y oeuvrent (et qui sont à 75% des femmes) livrent leur prestation de travail quotidienne et ce qui compte pour l’État-patron, en cette période de pandémie, c’est qu’il n’y ait aucune perturbation ou interruption de service. Le gouvernement Legault embauche uniquement là où cela est urgent (exemple les préposéEs aux bénéficiaires) et pour les autres, qui portent à bout de bras les services publics depuis des décennies, le mot d’ordre est le même depuis trop longtemps : « Cela peut attendre à plus tard ». D’où la pénurie de personnel observé depuis des lustres dans ces deux importants secteurs de notre société. Hélas, les partis politiques de l’opposition et les médias d’information n’interpellent pas et ne talonnent pas vraiment le gouvernement sur cet enjeu. François Legault ne ressent en ce moment aucune véritable pression à régler les conventions collectives de ses employéEs qui sont toujours fidèles au poste. Il préfère intervenir sur la question de la reprise des activités sportives « encadrées » et sur d’autres sujets qui alimentent la politique qui se fait à la petite semaine. Là est l’urgence à prendre des mesures diligentes et inévitables à ses yeux. Étrange. Tellement étrange.

Ce à quoi correspond un « Rien » pour les salariéEs syndiquéEs ?

Pour les employéEs syndiquéEs le mot « rien » a une autre résonnance. Les conditions de travail continuent sur la même lancée que les quatre dernières décennies[2] et ne cessent de se détériorer. Pour ce qui est du salaire, il perd de sa valeur face à l’inflation, il accuse un retard de plus en plus prononcé avec les autres secteurs publics syndiqués (gouvernement fédéral, secteur municipal, Hydro-Québec et universités) et il est également gelé depuis un an. Résultat : démissionner de son emploi en santé, en éducation et dans l’administration publique du Québec est une option de plus en plus attrayante et un choix irrésistible pour plusieurs salariéEs syndiquéEs et pas uniquement pour celles et ceux qui ont moins de cinq années d’expérience.

Le difficile passage du « blocage » au « déblocage »

Alors, comment écrire un texte un tantinet substantiel avec le mot qui semble le mieux rendre-compte de ce qui se passe du côté de la négociation entre les huit organisations syndicales et le Conseil du trésor : c’est-à-dire le mot « rien » ? Du côté des tables de négociation dans l’ensemble, les nouvelles ne sont guère intéressantes. C’est soit le silence absolu ou soit l’enfoncement dans un gouffre qui caractérise le présent passage à vide. Par conséquent, les mandats de grève commencent à être un peu plus nombreux à s’ajouter les uns aux autres. La CSQ (secteur éducation) a en banque un mandat de cinq journées d’arrêt de travail. Les syndiquÉes membres de la FAE votent en ce moment, à très forte majorité, la proposition de déclencher une grève générale illimitée à exercer à la fin du mois de mai (cinq syndicats sur neuf ont adopté cette proposition). L’APTS va consulter ses membres sur un mandat de dix journées de grève. À la CSN il y a un retour de consultation autour de « l’augmentation des moyens de pression et de planification de la grève à exercer au moment jugé opportun ».

De « Rien » à une avalanche de mots

Du côté de la négociation ce sont les mots suivants qui reviennent dans les conversations : « immobilisme », « enlisement », « cul-de-sac », « obstacle », « blocage », « gagner du temps », « refus de négocier » et même « le gouvernement Legault met tout en place pour ne pas faire déboucher la négociation sur une nouvelle convention collective ». Par conséquent, les organisations syndicales planifient une action commune vers la fin du mois de mars 2021. Rappelons que c’est en « bloquant » les ponts de Québec et Jacques-Cartier, en octobre 2020, que la FIQ a réussi à obtenir un premier déblocage à sa négociation sectorielle.

Avant de conclure, mentionnons au passage qu’au rythme où vont les choses, il va falloir regarder de très près l’impact du prochain contrat de travail à venir sur un possible chevauchement d’événements incontournables pour la prochaine ronde de négociation (élection générale, maraudage et dépôt des demandes syndicales).

Conclusion

Nous semblons avoir réussi à prouver que même avec le mot « Rien » il y a moyen de démontrer que c’est plus « (qu’)extrêmement peu » ou « absence totale de… ». C’est déjà quelque chose, non ?

Blague à part, le silence ambiant des membres de la classe politique (partis politiques de l’opposition et médias électroniques) peut avoir pour effet d’inviter les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic à se désensibiliser à leur propre situation. Il n’y a pas assez de voix qui manifestent de l’impatience face à cette négociation qui s’étire uniquement pour le bon plaisir du gouvernement. Il n’y a pas assez de voix qui se font entendre pour questionner, ébranler, contester et miner les choix et les orientations du gouvernement Legault et les stratégies de la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel.

Pourquoi ce silence complice de la part des partis politiques de l’opposition et des médias d’information ? Peut-être parce que les conditions de travail et de rémunération ne méritent pas aux yeux de l’élite politique et journalistique d’être redressées. Les leaders des partis politiques et les dirigeants de la presse écrite et électronique donnent l’impression qu’elles et qu’ils n’ont rien à gagner sur le plan électoral ou de la vente de leur copie ou encore de leur cote d’écoute à réclamer, avec une conviction clairement affirmée, une amélioration des conditions de travail et un redressement de la rémunération de celles et ceux qu’on présente comme les « anges gardiennes » ou les « anges gardiens » et qui occupent une fonction essentielle en lien avec notre qualité de vie et notre développement social, culturel et économique.

Garder le silence en ce moment dans les négociations des secteurs public et parapublic est une position absolument insupportable, inacceptable, indéfendable et insoutenable plus longuement. Les personnes qui se disent les critiques de l’action gouvernementale et qui se définissent comme les vigiles de la démocratie doivent, sans se retenir plus longtemps, sortir de leur mutisme trop accommodant face à l’insouciance qu’affiche François Legault dans la présente négociation. L’inacceptable en ce moment est du côté de celles et ceux qui refusent de critiquer, alors que c’est leur mandat explicite de le faire en tout temps, les offres monétaires (5% d’augmentation salariale pour trois ans) et la stratégie gouvernementale (étirer la négociation au-delà de la première année de son application). Nous suggérons que les interventions des critiques de l’opposition, des éditorialistes et des chroniqueurEs s’inspirent du précepte suivant : le travail doit être payé à sa juste valeur. Il n’y a pas que quelques happy few (c’est-à-dire quelques privilégiéEs) qui méritent un salaire compétitif, équitable, juste et paritaire avec la riche province voisine. De plus, les conditions de travail doivent être le plus tôt possible redressées.

Yvan Perrier

12 mars 2021

21 heures

yvan_perrier@hotmail.com

À écouter le monologue de Raymond Devos « Parler pour ne rien dire ».

https://www.youtube.com/watch?v=hz5xWgjSUlk. Consulté le 12 mars 2021.

[1] C’est du côté de différentes tables de négociation en éducation (pas toutes cependant) qu’il semble y avoir, à l’instant présent, « des rencontres exploratoires d’échanges et de discussions ». À titre d’hypothèse, soulevons la question suivante : se pourrait-il que le gouvernement s’amuse (et nous insistons sur le verbe « amuser ») à diviser les organisations syndicales enseignantes entre elles ?

[2] Par les « quatre dernières décennies », nous entendons toutes ces années de rigueur et d’austérité qui ont eu lieu depuis les coupures salariales et les compressions de postes dans les secteurs public et parapublic en 1982-1983. Est-il nécessaire de rappeler qu’il y a eu après cette ronde de « non-négociation » d’autres vagues de réduction des effectifs dans les secteurs public et parapublic sous la gouverne principalement des Bouchard, Charest et Couillard. Voir à ce sujet l’ouvrage suivant : Roy, Serge. 2011. Fonction publique menacée ! – Le néolibéralisme à l’assaut des services publics, 1981-2011. Montréal : M éditeur, 206 p. Nous avons rédigé une recension critique de cet ouvrage disponible sur le site du magazine À bâbord ! https://www.ababord.org/Fonction-publique-menacee-Le. Consulté le 12 mars 2021.

Zone contenant les pièces jointes
Prévisualiser la vidéo YouTube Raymond Devos "Parler pour ne rien dire" | Archive INA

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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