Monsieur le Ministre de la Sécurité publique Vic Toews, Nous vous écrivons pour exprimer notre désarroi en réaction aux comptes-rendus qui ont été faits de la conduite du Groupe intégré de la sécurité du G8 et du G20 (ci-après le « GIS ») pendant le sommet du G20 qui a récemment eu lieu à Toronto. Nous vous enjoignons de même à poser des gestes concrets afin d’assurer que les libertés civiles au Canada ne soient pas minées lors de manifestations politiques.
À titre de professeurs de droit et d’avocats, mais surtout en tant que citoyens, nous sommes extrêmement préoccupés par les rapports qui nous parviennent de violations massives des libertés civiles qui auraient été commises par des membres du GIS et nous vous exhortons à lancer une enquête indépendante sur les fouilles, saisies et arrestations effectuées dans le cadre des manifestations au sommet du G20, ainsi que sur les conditions de détention des personnes arrêtées.
Triste tendance
Malheureusement, les arrestations de masse qui ont eu lieu lors du G20 semblent s’inscrire dans une tendance vers la criminalisation de la dissidence au Canada. Les forces policières canadiennes ont de plus en plus recours aux arrestations de masse durant les manifestations politiques, ne relâchant les manifestants qu’ensuite, après la tenue de l’événement faisant l’objet de la contestation, et dans plusieurs cas, sans le moindre chef d’accusation.
Bien que la police ait la responsabilité d’arrêter les individus qui sont directement impliqués dans la destruction de biens (que ce soit dans le cadre d’une manifestation ou non), cela ne justifie aucunement les arrestations de masse. Cette tactique est non seulement une violation claire des libertés d’opinion, d’expression, d’association et de réunion, mais constitue également une forme de détention arbitraire qui viole le droit à la présomption d’innocence.
En 2005, ayant noté le recours de la police canadienne à de telles arrestations massives et le caractère arbitraire de celles-ci au sens du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a exhorté le Canada à s’assurer que le droit des personnes de participer pacifiquement à des manifestations sociales soit respecté et à s’assurer que seuls ceux et celles qui commettent des actes criminels soient arrêtés.
Plus de 900 arrestations ont été faites durant le sommet du G20 ; il semble qu’une majorité écrasante ait été relâchée sans chefs d’accusation. Ces faits tendent à démontrer que le Canada a fait fi de l’exhortation du Comité de l’ONU.
Motif raisonnable
En plus des arrestations de masse, des rapports d’observateurs indépendants, comme ceux de l’Association canadienne des libertés civiles, indiquent que des membres du GIS ont systématiquement fouillé et détenu des citoyens sans motif raisonnable. Si la preuve vidéo et les témoignages directs rapportés dans les médias traditionnels ou alternatifs sont représentatifs des tactiques du GIS, ces violations se chiffrent certainement dans les milliers.
Dans au moins certains des cas, des membres du GIS ont prétendu avoir expressément reçu, par le biais d’un règlement adopté en vertu de la Loi sur la protection des ouvrages publics de l’Ontario, le pouvoir de placer en détention et de fouiller des citoyens sans motif raisonnable. Comme vous le savez, le chef de police de Toronto, M. Bill Blair, a par la suite admis que les membres du GIS s’étaient trompés quant aux pouvoirs qui leur avaient été conférés par ce règlement.
Droits facultatifs ?
De plus, les comptes-rendus des conditions dans le centre de détention improvisé de l’avenue Eastern sont extrêmement troublants. Des témoignages crédibles qui attestent du surpeuplement du centre, de l’approvisionnement insuffisant en nourriture et en eau fraîche, de menaces de mauvais traitements de la part de membres du GIS, dont des menaces de viol envers des détenues féminines, nous portent à croire que le droit à la sécurité de la personne des détenus a été violé.
Les détenus se sont aussi apparemment vu refuser le droit à un avocat ainsi que le droit d’être informés de la raison de leur détention. Les droits prévus à la Charte canadienne des droits et libertés ne sont pas facultatifs. Dans une société libre et démocratique, il est impératif que les libertés civiles soient respectées par la police, même lorsque cela leur complique la tâche.
Monsieur le Ministre, nous ne pouvons concilier les témoignages oculaires et les rapports provenant des médias sur les manifestations du G20 avec votre déclaration du 28 juin 2010, où vous affirmiez que le GIS a agi avec « professionnalisme » et où vous remerciez les membres du GIS pour leur « travail exceptionnel ». Nous vous demandons donc d’ouvrir une enquête complète et indépendante sur les actes posés par le GIS durant le G20.
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Ont signé ce texte une quarantaine de professeurs de droit et avocats du Canada :
Finn Makela, Sharryn J. Aiken, Sibel Ataogul, D. G. Bell, Pierre Bosset, Pierre Brun, Marie-France Bureau, Catherine Choquette, Michael Cohen, Steve Coughlan, Blair Crew, Hugo Cyr, Maneesha Deckha, Annick Desjardins, Julie Desrosiers, Mathieu Devinat, Richard Devlin, Schulich Bernard Duhaime, Brenda Gunn, Andrew L. Hitchcock, Freya Kodar, Jasminka Kalajdzic, Fannie Lafontaine, J. Chris Levy, Alexandra Law, Margaret McCallum, Jean-Frédérick Ménard, Nicole O’Byrne, Jacques Papy, Steven Penney, Patricia Peppin, Melanie Randall, Denise Réaume, Annie Rochette, Simon Roy, Giuseppe Sciortino, Elizabeth Sheehy, James Stribopoulos, Don Stuart, Marie-Eve Sylvestre, François Tanguay-Renaud, Robert Tétrault, Édith Vézina, Rosemary Cairns Way, Larry C. Wilson.