Édition du 17 décembre 2024

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Jusque dans les années 1960, la gauche au Canada et au Québec était surtout canadienne et anglophone. Durant la période de la grande noirceur, le dispositif du pouvoir autour de la droite réactionnaire de l’Église catholique rendait la vie très difficile aux progressistes québécois, dont plusieurs syndicalistes et artistes ont choisi le chemin de l’exil. À cette époque également, la gauche canadienne, du Parti communiste à la social-démocratie (futur NPD) tenaient mordicus à l’idée d’un État fédéral fort, notamment pour imposer des changements sociaux revendiqués par les classes populaires (assurance-maladie, protection sociale, etc.).

La revendication d’émancipation nationale au Québec, restait encore dans les marges comme une horreur à combattre absolument. Le Parti communiste notamment, à part quelques initiatives courageuses comme celle de Stanley Ryerson qui mettait de l’avant le droit à l’autodétermination pour le peuple québécois, condamnait la « menace séparatiste » dans des termes étonnamment proches de l’establishment politique à Ottawa. Après bien des débats, le NPD avait fermé la porte à sa branche québécoise (le Parti socialiste québécois) qui demandait également l’enchâssement de ce droit. Plus tard, le NPD s’est retrouvé avec les partis réactionnaires à faire la campagne du « non » en 1980 et en 1995. Cette option allait pratiquement éliminer de la scène québécoise la gauche canadienne pour laisser la place à une gauche québécoise indépendantiste (1). Par la suite, les liens entre progressistes canadiens et progressistes québécois sont restés rares et éphémères, à part les efforts de quelques syndicats courageux qui ont combattu pour une émancipation sociale liée à l’émancipation nationale. On pense notamment au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et au SCFP.

Quelques décennies plus tard

Ce non-dialogue a eu plusieurs effets pervers. Au Canada, la gauche n’a pas combattu de manière résolue l’État post-colonial, y compris lors du « rapatriement » de la constitution sous Pierre E. Trudeau en 1982, contre l’opinion quasi unanime au Québec. Après le deuxième référendum, les députés du NPD (sauf quelques exceptions) ont voté ladite « loi de la clarté » qui verrouille la possibilité d’une entente négociée entre le Canada et le Québec dans le cadre d’une séparation. Jack Layton pour le court temps qu’il a dirigé ce parti a essayé de changer la donne, mais après son décès, le parti sous la coupe de Thomas Mulcair est revenu à ses amours fédéralistes « purs et durs ». La flame pro-NPD du Québec s’est éteinte aussi vite qu’elle s’était rallumée.

Au Québec et au Canada, le non-dialogue n’a pas aidé la cause de la gauche dont les efforts de coordination sur des questions transfrontalières ont été ténus et mitigés. Lors du Sommet des peuples des Amériques à Québec en avril 2001 contre le projet américano-canadien le traité de libre-échange (la ZLÉA), des groupes comme le Conseil des canadiens ont tenté de proposer la même perspective canadienne « from coast to coast ». Les syndicats canadiens mieux avisés se sont rangés derrière la perspective assumée par la quasi-totalité des intervenants québécois, à l’effet que la lutte contre la ZLÉA n’était pas liée au « renforcement » de l’État canadien. Une revue progressiste publiée au Canada, Canadian Dimension, a insisté et continue d’insister sur ce point tout en offrant aux Canadiens des informations et analyses sur les mouvements et les luttes populaires au Québec (2).

Par la suite, en marge des organisations formelles, des tentatives de dialogue ont été animées par André Frappier notamment et divers groupes de gauche à Toronto, Edmonton, Halifax, Vancouver. L’idée était banalement de se connaître, devant la réalité crue et construite d’une grande indifférence tant d’un côté que de l’autre. La gauche canadienne la plus allumée a fini par comprendre que la double lutte d’émancipation au Québec était fondamentale dans la lutte contre le capitalisme et le colonialisme « made in Canada » (3) mais on ne peut pas dire que cette idée fondamentale traverse la majorité des progressistes canadiens.

Cette timide réouverture actuelle a été encouragée par les développements politiques du côté autochtone. Le réveil en cours et la réanimation de mouvements autochtones vise l’essence même de l’État canadien construit sur une spoliation coloniale qui persiste jusqu’à nos jours, d’où une perspective radicale qui remet en question la légitimité du gouvernement fédéral. Comme le disait le militant-chercheur déné Glen Coulthard, la lutte autochtone ne peut aller nulle part si elle ne devient pas une lutte plus large anticapitaliste, anti- impérialiste et anticoloniale (4).

Durant les dernières années, des personnalités autochtones comme Roméo Saganash ont dit ce que plusieurs autochtones pensent tout bas, que leur lutte anticoloniale sera renforcée si elle trouve des arrimages à la lutte d’émancipation québécoise, à condition que celle-ci reconnaisse explicitement le droit à l’autodétermination aux peuples autochtones (5).

Le défi québécois

La lutte pour l’émancipation québécoise va se faire au Québec, c’est certain. Pour autant, il faut être conscients du rapport de forces qui existe entre ce projet et les adversaires. Ces élites sont regroupées politiquement par l’État fédéral et ses relais-subalternes dans les provinces. Elles sont en phase avec la bourgeoisie québécoise et ses émanations québécoises comme le PLQ et la CAQ. Elles sont appuyées par 200 % par l’impérialisme américain, ce que n’avait pas vu René Lévesque à l’époque où il essayait de convaincre les gros bonnets à New York et Washington que le projet de souveraineté serait tout à fait concordant avec le cadre nord-américain et que, de manière pratique, un Québec indépendant allait demeurer le même allié-subalterne que le Canada. Cette erreur grave reposant sur un mauvais rêve conservateur à l’effet que l’indépendance du Québec pouvait se faire d’une manière négociée et « tranquille » a conduit le PQ à induire le peuple sur une fausse piste, y compris lors des deux référendums. Il ne faut pas être trop savant en effet pour savoir que l’impérialisme américain, l’accès aux riches ressources canadiennes, de même que la défense continentale contre la « menace » russe et chinoise, sont prioritaires, ce qui veut dire qu’il est impératif de garder le Canada tel quel. Il y a déjà quelques décennies de cela, Pierre Vallières et Charles Gagnon l’avaient bien compris en appelant à un rapprochement entre les forces de changement dans les Amériques.

Briser le mur

Aujourd’hui, la question demeure brûlante : comment briser le mur ? Selon Frappier et Lévy, « il importe de définir une stratégie de lutte commune et organisée pour se réapproprier le pouvoir dans l’État canadien. La lutte doit être commune parce qu’on ne peut au Québec réussir à créer une société égalitaire et indépendante sans faire face à l’État canadien et parce qu’une perspective écologiste ne peut se réaliser uniquement à l’intérieur de nos frontières. Le Québec a besoin de l’appui et de la collaboration des travailleurs et travailleuses et des groupes populaires du Canada anglais, et ces derniers ne peuvent développer une perspective émancipatrice sans adhérer à une stratégie de lutte anticapitaliste commune avec les forces progressistes du Québec » (6). C’est en tout cas le message qui avait été relayé en 2014 avec le Forum social des peuples qui réunissait plusieurs centaines de militantes et de militants du Québec, du Canada et des Premières nations. Avec Québec solidaire et les mouvements populaires, la responsabilité est de continuer ces efforts, ce qui veut dire de s’engager concrètement dans des manifestations d’appui et de solidarité réciproques.

Notes

1- Voir à ce sujet, Pierre Beaudet, « La gauche canadienne et le Québec. Les multiples dimensions d’un dialogue inachevé », in Nouveaux Cahiers du socialisme, no. 24, automne 2020.

2- Canadian Dimension, < https://canadiandimension.com/>. Frappier et Lévy sont parmi les collaborateurs réguliers dans cette revue.

3- Voir à ce sujet, « Le défi de lutter ensemble », André Frappier et Andrea Levy », NCS, automne 0202.

4- Glen Coulthard, « Marx et la grande tortue », Nouveaux Cahiers du socialisme, numéro 21, hiver 2019.

5- C’est ce qu’a fait QS, contrairement aux autres partis (y compris le PQ).

6- « Le défi de lutter ensemble », NCS automne 2020.

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