Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Nigeria : un président en sursis

Les élections prévues au Nigéria la fin de semaine dernière ont été reportées d’une semaine. Elles devraient se tenir le 23 février prochain. La confusion règne dans le pays le plus peuplé d’Afrique. La Commission électorale nationale indépendante du Nigeria (INEC) a déploré les conditions dans lesquelles se tiennent ce scrutin. Ces derniers jours, trois centres de l’INEC ont été brûlés et l’opposition a dénoncé l’absence de bulletins dans de nombreux Etats. Le report du scrutin pourrait tirer le taux de participation vers le bas. Des milliers de personnes qui avaient fait le déplacement depuis Lagos ou Abuja pour voter dans leur localité d’origine pourraient ne pas revenir samedi prochain. (PTAG)

Tiré de Alternatives économiques.

Elu en 2015 pour améliorer le partage des richesses et vaincre le terrorisme et la corruption, Muhammadu Buhari fait face à un retour de la violence sur fond de léger mieux économique.

Davantage de sécurité, moins de corruption, une croissance économique plus inclusive... Si Muhammadu Buhari, qui se présente à l’élection présidentielle de ce samedi 16 février 2019 au Nigeria pour un deuxième mandat, est jugé à l’aune de ces promesses faites lors du précédent scrutin de 2015, il n’est pas assuré de conserver son siège.

Certes, les attaques contre les installations pétrolières dans le delta du fleuve Niger, au sud du pays, par des groupes armés revendiquant une meilleure répartition des recettes de l’or noir au profit des populations locales sont moins nombreuses. Ce qui a permis en 2017 une augmentation de la production d’hydrocarbures, lesquels représentent 82 % des exportations du pays. Mais le vol de pétrole se poursuit.

Toutefois, c’est surtout à Boko Haram, qui sévit au nord-est du pays, que se référait en 2015 Muhammadu Buhari. Aujourd’hui, le groupe jihadiste a perdu l’essentiel des zones urbaines qu’il contrôlait grâce à une réorganisation de l’armée et une meilleure coopération avec les pays voisins, mais aussi sous l’effet de ses divisions internes. En août 2016, le groupe s’est scindé en deux factions. La première, officiellement affiliée à l’Etat islamique, est dirigée par Abu Musab al-Barnawi et implantée surtout dans la zone du lac Tchad, à la frontière du Niger (voir carte ci-dessous).

La seconde, menée par l’ancien dirigeant de l’ensemble du groupe, Abubakar Shekau, a sa base dans la forêt de Sambisa, elle aussi située dans l’Etat de Borno. Les pertes territoriales subies par les deux factions ont amené Muhammadu Buhari à déclarer dès décembre 2015 que Boko Haram était « techniquement vaincu ».

Mais les attaques jihadistes ont continué. En novembre 2018, après avoir d’abord nié l’ampleur des pertes, l’armée a fini par reconnaître qu’au moins 40 de ses soldats avaient été tués lors d’un assaut contre une caserne dans l’Etat de Borno, assaut revendiqué par la faction Barnawi. Un désaveu pour Muhammadu Buhari à l’approche du scrutin présidentiel.

Éleveurs contre fermiers

D’autres foyers de tensions se sont ravivés durant le mandat de l’actuel chef de l’Etat. Au sud-est du pays, des militants qui exigent la création d’un Etat indépendant du Biafra pour les membres de l’ethnie igbo, qu’ils estiment marginalisée, ont été durement réprimés par le pouvoir lors de manifestations pacifiques.

Dans le centre, les tensions latentes entre nomades et éleveurs se sont transformées en affrontements sanglants qui ont fait plus de 1 800 victimes entre janvier et septembre 2018, soit plus que les attaques de Boko Haram. Les rivalités traditionnelles pour l’accès à la terre et à l’eau se sont accrues de nouveau depuis que la désertification et l’insécurité dans les régions septentrionales ont poussé les pasteurs qui en sont issus à faire paître leurs troupeaux dans des zones de plus en plus méridionales.

A l’inverse, l’urbanisation a provoqué des migrations d’agriculteurs du sud vers le centre du pays. L’étincelle qui a déclenché les récents affrontements a été l’adoption depuis 2017 par deux Etats fédérés de lois interdisant aux éleveurs le pâturage ouvert, mesure que l’Etat de Taraba a suspendue mais que celui de Benue a maintenue. Les contentieux pour les ressources entre nomades nordistes et éleveurs sudistes prennent une coloration confessionnelle dans la mesure où les premiers sont généralement musulmans et les seconds majoritairement chrétiens.

Un autre clivage mêlant religion et politique, interne à l’islam cette fois, a provoqué de nouvelles violences depuis 2015. Si 48 % des Nigérians sont musulmans, la quasi-totalité d’entre eux sont sunnites. Seuls 2 % à 3 % relèveraient du chiisme. Or, depuis les années 1980, un groupe radical au sein de cette petite communauté, l’Islamic Movement in Nigeria (IMN), fondé par Ibrahim al-Zakzaky, se revendique du modèle de la République islamique d’Iran.

Le 12 décembre 2015, à l’occasion d’un rassemblement de l’IMN dans la ville de Zaria, fief du mouvement dans l’Etat de Kaduna, au nord du pays, des affrontements ont éclaté entre ses militants et des militaires qui escortaient le convoi du chef d’état-major de l’armée nigériane. 300 membres de l’IMN ont été tués et le leader du groupe est emprisonné depuis lors, sans procès. La répression, fin octobre 2018, d’une manifestation réclamant sa libération a fait, selon Amnesty International, 45 victimes à Abuja, la capitale fédérale.

Au gré du cours du pétrole

Si, durant la deuxième moitié du mandat de Muhammadu Buhari, la situation s’est dégradée en matière de sécurité, elle s’est légèrement redressée sur le plan économique, au gré des évolutions du cours du pétrole sur les marchés mondiaux. Après être tombé à 31 dollars en janvier 2016, alors qu’il était encore de 102 dollars en août 2014, le prix du baril a repris des couleurs en 2017, pour s’établir autour de 60 dollars fin novembre 2018.

Le taux de croissance de l’économie nigériane a directement subi les effets de ces variations : en 2016, pour la première fois depuis deux décennies, ce taux a été négatif (– 1,5 %). Il est repassé de peu au-dessus de zéro en 2017 (0,8 %) et à 1,9 % en 2018. Si l’inflation a baissé après son pic de 18,7 % en janvier 2017, elle reste comprise autour de 11 % en rythme annuel.

Grâce au soutien de la Banque mondiale, le gouvernement a pu lancer en 2017 un programme qui prévoit de verser, à terme, une aide de 16 dollars par mois aux 5 millions de Nigérians les plus défavorisés, mais 60 % des 191 millions de Nigérians vivent sous le seuil de pauvreté. Quant au Plan de redressement et de croissance économique (ERGP) 2017-2020, qui vise à créer des infrastructures, il ne portera de fruits éventuels qu’à long terme.

En matière de lutte contre la corruption, Muhammadu Buhari a fait d’incontestables efforts. Plus de 80 000 fonctionnaires « fantômes » ont été radiés en 2016 et des procès ont été intentés à des responsables politiques de premier plan. Mais les adversaires politiques du chef de l’Etat estiment que ces enquêtes ont surtout ciblé des proches de son prédécesseur à la tête du pays et rival malheureux en 2015, le sudiste Goodluck Jonathan.

Départ de caciques politiques

Contrairement au scrutin de 2015, celui de 2019 verra s’affronter deux candidats principaux venus du nord du pays et de confession musulmane. Muhammadu Buhari, 76 ans, natif de l’Etat de Katsina, portera les couleurs de l’All Progressives Congress (APC), parti fondé en 2013.

Son adversaire, Atiku Abubakar, 72 ans, originaire de l’Etat d’Adamawa et ancien vice-président du pays (1999-2007), est soutenu par une coalition que mène le People’s Democratic Party (PDP). Ce dernier a dominé la vie politique nigériane durant seize ans, de 1999, date du retour à la démocratie, jusqu’à 2015. Le scrutin présidentiel approchant, il a vu revenir à lui ces derniers mois des caciques politiques, qui en 2015 avaient fait défection vers le nouvel APC.

Les deux postulants nordistes seront flanqués chacun d’un aspirant à la vice-présidence issu du sud : le sortant, Yemi Osinbajo, 61 ans, dans le cas de Muhammadu Buhari, et Peter Obi, 57 ans, pour Atiku Abubakar.

Si, lors de la campagne présidentielle, les revers que le chef de l’Etat sortant a subis dans le domaine de la sécurité seront portés à son débit, il peut espérer que les électeurs auront encore en mémoire les innombrables scandales de corruption qui ont entaché le long règne du parti de son rival.


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