Article tiré de NPA 29
Depuis début octobre un large mouvement populaire contre les violences policières avait éclaté à la suite d’une vidéo montrant des membres du SARS (Special Anti-Robbery Squad) tirer sur un homme. Cette vidéo est devenue l’élément déclencheur de l’ardeur collective contre les abus de cette unité spéciale de la police créée en 1992. Celle-ci avait pour mission de combattre la criminalité violente. Or, ce sont surtout les crimes du SARS qui ont fait légion parmi une large partie de la population : des viols, des exécutions, de l’impunité.
Bien que dans le Nord du pays, où les forces armées nigérianes font face à une insurrection islamiste menée par le groupe Boko Haram, le SARS jouisse d’une meilleure réputation que dans le Sud, ce mouvement, selon plusieurs observateurs, a réussi à dépasser largement les divisions traditionnelles du pays entre communautés religieuses, ethniques et entre les habitants des différentes régions.
La puissance de ces manifestations, qui sont restées relativement pacifiques dans un premier temps (même si la répression du côté étatique avait déjà fait 15 morts), a forcé le gouvernement à dissoudre le SARS. Cependant, une nouvelle unité spéciale a été créée, la Special Weapons and Tactics (Swat) team. Mais le mouvement a continué. Les manifestants dénonçaient le gouvernement en disant qu’ils ne le croyaient pas, qu’on avait déjà promis la dissolution du SARS et qu’ils étaient également contre la création de cette nouvelle unité, SWAT. Sans aucun doute, cela montre que la question des violences policières n’était qu’un élément d’un mécontentement populaire qui va bien au-delà.
C’est dans ce cadre que le gouverneur de l’Etat de Lagos a décrété un couvre-feu de 24 heures dans la mégalopole africaine. D’autres Etats et villes, comme la capitale Abuja, ont aussi décrété des couvre-feux ou interdit les manifestations, dans une tentative de mettre fin à la contestation.
Mais rien n’y a fait. Des milliers de personnes ont ainsi bravé l’interdiction de sortir dans la rue et de manifester ce mardi à Lagos et dans d’autres régions du pays. Mais le gouvernement et les forces armées, qui avaient déjà menacé les manifestants, ont décidé de faire usage de la plus sauvage des répressions. Ainsi, comme on peut voir dans plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux, les forces de sécurité de l’Etat ont ouvert le feu directement contre les manifestants. Amnesty International a dénoncé cette répression en affirmant qu’elle pouvait faire état de plusieurs morts, sans donner encore un chiffre définitif.
Les jours précédents des manifestants avaient dénoncé et posté des vidéos d’attaques de groupes pro-gouvernementaux non identifiés, armés de bâtons et de couteaux.
Ce tournant dans la répression risque d’aggraver la crise et d’attiser le mécontentement des manifestants. D’ailleurs, alors que les revendications contre le SARS permettaient de rassembler largement la population, y compris des secteurs des classes moyennes, l’élargissement des revendications sur un terrain plus social, contre la corruption, pour de meilleures conditions de vie, pour des emplois, entre autres, est en train de créer des divisions avec un secteur plus « modéré » qui veut rester focalisé sur la question des violences policières.
Cependant, le mécontentement de la jeunesse nigériane est très profond et s’inscrit dans la vague de mobilisations mondiales contre les régimes politiques en place et les inégalités inhérentes au capitalisme. Comme on peut le lire dans le Wall Street Journal , « la vague de protestations est la plus grande manifestation de pouvoir populaire depuis des années au Nigeria, avec les jeunes qui réclament des changements plus radicaux. Les manifestations s’inscrivent dans un cadre global émergent d’appels au changement lancés par les jeunes, de Hong Kong au Soudan et au Chili ». Plus loin, on affirme l’importance de ce mouvement pour la politisation de la jeunesse du Nigeria, un pays où l’âge moyen de la population est de 18 ans : « Une dynamique qui semble irréversible est que les manifestations ont politisé la jeunesse nigériane, dont beaucoup étaient jusqu’à présent apathiques ou déconnectés de la politique, mais qui joueront un rôle de plus en plus déterminant pour l’avenir du pays ».
En effet le rejet des politiciens en place et de la situation économique est énorme, notamment dans un pays qui possède d’énormes réserves de pétrole et de gaz mais qui ne profitent pas à sa population. Plus inquiétant encore pour les classes dominantes de la région et leurs partenaires des pays impérialistes, c’est le risque que ces mobilisations s’élargissent à d’autres pays du continent. La situation dans plusieurs pays africains ressemble beaucoup à la situation nigériane, notamment en Afrique de l’Ouest où des troubles politiques et sociaux secouent déjà des pays comme la Côté d’Ivoire, le Mali, la Guinée-Conakry, le Burkina Faso.
La question qui se pose cependant c’est comment vont faire les jeunes et les travailleurs nigérians pour éviter tous les pièges que des factions des classes dominantes leur tendront (Joe Biden, le candidat démocrate et Hillary Clinton ont déjà exprimé leur « soutien » aux mobilisations). Cela pose pour nous le besoin d’une direction indépendante, démocratique et à la base pour le mouvement, qui pose des objectifs pour satisfaire les revendications politiques, économiques et sociales des manifestants
Philippe Alcoy mercredi 21 octobre
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