Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Netanyahou, otage de ses alliés fascistes ?

S’il réussit à redevenir Premier ministre le 1er novembre, Benyamin Netanyahou le devra avant tout à ses alliés ultranationalistes, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir. Et il devra en payer le prix : les associer au pouvoir avec des ministères importants. Il formerait ainsi le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.

Tiré du blogue de l’auteur.

Fondateur de la Ligue de défense juive, condamné et emprisonné à plusieurs reprises pour « terrorisme » aux États-Unis, le rabbin fasciste Meïr Kahane s’installe en Israël en 1971. Avec ses partisans, il multiplie les violences anti-Arabes au service de son objectif : un Grand Israël vidé de tous ses Palestiniens. Le 23 juillet 1984, il est élu député à la Knesset, avec 1,2 % des voix.

Le choc est tel que pas un député ne reste dans l’Assemblée lorsqu’il y prend la parole. Un consensus se dégage même pour introduire l’interdiction de l’incitation au racisme dans le Code pénal, le règlement de la Knesset et la Loi fondamentale régissant cette dernière. Si bien que Kahane est exclu du scrutin de 1988. Le 5 novembre 1990, il meurt assassiné à New York. Mais les partis qui se réclament de lui – Kach (Ainsi) et Kach Hai (Kach est vivant) – poursuivent leurs actions violentes, notamment dans les colonies de Cisjordanie : le 23 mars 1994, tous deux sont interdits comme « organisations terroristes ». Ils n’en inspireront pas moins Baruch Goldstein, l’assassin des 29 fidèles de la mosquée de Hébron (25 février 1994), et Yigal Amir, celui d’Itzhak Rabin (4 novembre 1995). Et l’ultranationalisme va connaître un formidable essor (1).

L’Histoire ne pardonnera jamais à Benyamin Netanyahou d’avoir rouvert en 2021 les portes de la Knesset au kahanisme afin de récupérer son « trône ». Et, pis encore, d’avoir maintenu cette alliance en 2022 avec une extrême droite qui semble avoir le vent en poupe, à en croire les sondages : ils lui prédisent 11 à 14 sièges, sur les 120 que compte l’Assemblée. Rien là d’une alliance contre nature : le chef du Likoud est lui-même issu du sérail sioniste révisionniste.

Or nul n’a oublié que David Ben Gourion appelait Jabotinsky… « Vladimir Hitler ». Le président de l’Agence juive aurait plutôt dû évoquer Benito Mussolini, car le Duce, lui, soutenait politiquement et matériellement le Betar : il avait mis à sa disposition un émetteur radio couvrant tout le Moyen-Orient à Bari ainsi que des locaux pour son école de cadres à Civitavecchia. Mussolini expliqua ce soutien en 1935 à David Prato, futur grand rabbin de Rome : « Pour que le sionisme réussisse, il vous faut un État juif, avec un drapeau juif et une langue juive. La personne qui comprend vraiment cela, c’est votre fasciste, Jabotinsky (2). »

La référence au fascisme n’a donc rien d’excessif, surtout s’agissant des suprémacistes juifs Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui présentent finalement, sous la pression de Netanyahou, une liste commune, à laquelle s’est joint le parti anti-LGBT Noam d’Avigdor Maoz.

Leader d’Otzma Yehudit (Force juive), le premier est issu du parti Kach et se réclame de Meïr Kahane : il prône, comme son idole, l’annexion de toute la Palestine et le « transfert » de tous ses habitants arabes. Au printemps 2021, évoquant son rôle dans les ratonnades de Jérusalem et les tentatives de s’approprier des maisons palestiniennes de Sheikh Jarrah, puis dans les violences au sein des villes mixtes, le chef de la police de Jérusalem Kobi Shabtaï a déclaré à Netanyahou : « La personne qui est responsable de cette Intifada est Itamar Ben Gvir (3) ». Si celui-ci a très récemment arrondi ses positions, c’est – avoue un de ses colistiers, Almog Cohen (4) – pour disposer d’un « cheval de Troie » permettant de le faire entrer au Parlement tout en empêchant la Haute Cour de justice de disqualifier les membres du parti. Soi-disant « modéré », Ben Gvir se prononce, entre autres, pour la « réoccupation de Gaza (5) » et pour la déportation des Israéliens « déloyaux » qui « travaillent contre l’État (6) »…

Tous ces objectifs, Bezalel Smotrich les partage, mais il les inscrit dans une perspective nettement plus messianiste. Fondateur du parti Hazionout Hadatit (sioniste religieux), il estime que l’État d’Israël doit être « dirigé conformément à la Torah et à la Loi juive (7) » – à l’exclusion du judaïsme réformé, qu’il considère comme une « fausse religion (8) ». Transfuge de plusieurs partis d’extrême droite, il est député depuis 2015 et fut même brièvement ministre des Transports. Il dirige aussi Regavim, une association qui harcèle les Palestiniens construisant des maisons sans permis, en Israël comme dans les Territoires occupés. Pratiquant une surenchère permanente avec Ben Gvir, il vient d’exiger l’interdiction des partis arabes, « le plus grand danger aujourd’hui pour [notre] sécurité (9) ». Son racisme décomplexé (10) se double d’une homophobie obsessionnelle – après l’assassinat d’un participant à la Gay Pride de Jérusalem, en juillet 2015, il n’hésita pas à qualifier celle-ci d’« abomination » et de « parade bestiale »…

Voilà les hommes et partis que Benyamin Netanyahou, s’il l’emportait, installerait à la direction de l’État d’Israël. Ce sont aujourd’hui ses alliés. Il serait, demain, leur otage, car, quels que soient les résultats du scrutin du 1er novembre, il n’aurait certainement pas de majorité sans eux. Laissons la conclusion au regretté Zeev Sternhell, qui mettait en garde dans le dernier article qu’il donna au Monde (11) : « En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts. »

D. V.

Notes

(1) Sur la toile de fond idéologique de ce courant, lire Charles Enderlin, « En Israël, l’essor de l’ultranationalisme », Le Monde diplomatique, septembre 2022.

(2) Voir Lenni Brenner, Zionism in the Age of the Dictators (Croom Helm, Londres et Canberra, 1983).

(3) Site du Times of Israel, 14 mai 2021.

(4) Cf. le site Times of Israel, 21 septembre 2022. La « modération » en question a consisté à conseiller à un de ses partisans qui criait « Mort aux Arabes » de se contenter de « Mort aux terroristes »…

(5) Site de Haaretz, 16 août 2022.

(6) Idem, 8 septembre 2022. Selon un sondage, près des deux tiers des Israéliens y seraient favorables.

(7) Site du Jerusalem Post, 7 août 2019.

(8) Jewish Telegraphic Agency, 28 juillet 2016.

(9) Site de Haaretz, 12 septembre 2022.

(10) Smotrich est allé jusqu’à exiger la séparation entre femmes juives et arabes dans les maternités : « Il est naturel que ma femme ne veuille pas être allongée à côté de quelqu’un qui a donné naissance à un bébé qui pourrait vouloir assassiner son bébé dans vingt ans » (Haaretz, 5 avril 2016).

(11) 18 février 2018.

Dominique Vidal

Né en 1950, Dominique Vidal a étudié la philosophie et l’histoire. Journaliste depuis 1968, professionnel depuis 1973, il a notamment travaillé dans les rédactions des hebdomadaires "France Nouvelle" et "Révolution", puis du quotidien "La Croix". Après avoir coordonné les activités internationales du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), il a fait partie, de 1995 à 2010, de l’équipe permanente du "Monde diplomatique", dont il a en particulier créé le réseau d’éditions internationales et coordonné les Atlas. Spécialisé dans les questions internationales et notamment le Proche-Orient, il vient de publier "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron" (Libertalia, 2018). Auparavant, il avait sorti "Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949" (Éditions de l’Atelier, 2007, avec une postface de Sébastien Boussois) ; "Israël, une société bousculée. Vingt-cinq années de reportage" (Editions du Cygne, 2007) ; et "Le Mal-être juif" (Agone, 2003). Dominique Vidal a écrit en collaboration avec Alain Gresh : "Les 100 Clés du Proche-Orient" (dernière édition avec Emmanuelle Pauly chez Fayard, 2011) ; ; "Palestine 47 : un partage avorté" (dernière édition chez André Versaille, 2007) ; "Golfe : clefs pour une guerre annoncée" (Le Monde Éditions, 1991) ; et "Proche-Orient : une guerre de cent ans" (Messidor, 1984). Depuis 2010, il dirige avec Bertrand Badie l’annuel collectif "L’état du monde", chez La Découverte. Le dernier en date, paru en 2018, s’intitule "Le Retour des populisme". Autres ouvrages : "L’Opinion, ça se travaille… Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo" (Agone, Marseille, dernière édition 2015 avec Serge Halimi, Henri Maler et Mathias Reymond) ; "Le Proche-Orient, les banlieues et nous" ( Éditions de l’Atelier, 2006 avec Leila Shahid, Michel Warschawski et Isabelle Avran) ; "Le Mal-être arabe. Enfants de la colonisation" (Agone, 2005 avec Karim Bourtel) ; "Les historiens allemands relisent la Shoah" (Complexe, 2002) ; " Promenades historiques dans Paris" (Liana Levi, 1991 et 1994, avec Christine Queralt) ; "Portraits de China Town, le ghetto imaginaire" (Autrement, 1987, avec Éric Venturini). Chez Sindbad/Actes Sud, Dominique Vidal a coordonné "Palestine-Israël : un Etat, deux Etats ?" (2011) et "Palestine : le jeu des puissants" (2014). Chez Demopolis, il vient de diriger "Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe".

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