Il a conservé jusqu’au bout cet attachement au communisme, alors que la plupart de ses camarades du Parti l’avaient déserté à chacun des soubresauts du soviétisme, Staline, Budapest (1956), Prague (1968), Kaboul (1979)... Lui était resté, malgré sa désillusion avec Moscou, en s’estimant lié « par un cordon ombilical » à l’espoir d’une révolution mondiale.
Mais Eric Hobsbawm était surtout un grand historien, le plus grand du XXe siècle pour ses disciples, qui avait « inventé » le concept de « long XIXe siècle », allant selon lui de 1789 au début de la Première Guerre mondiale en 1914. Il avait consacré une trilogie à cette période, traduite dans le monde entier.
« Banditisme social »
Mais Hobsbawm, pour moi, reste surtout attaché à un livre, « Les Bandits », lu dans les années 70 lorsqu’il fut publié par les mythiques éditions Maspero, et qui fait que je ne peux pas voir un fait-divers exactement comme avant.
Dans un avant-propos à la reparution de son livre, il explique sa démarche :
« C’est au début des années 50 que l’auteur du présent ouvrage a été frappé par le fait plutôt curieux que certains bandits qui rendent la justice et redistribuent la richesse sociale font l’objet des mêmes récits et sont à l’origine des mêmes mythes partout en Europe. Voire, comme cela lui fut confirmé par la suite, partout dans le monde. Suivant à la lettre l’injonction du Dr Samuel Johnson, pour qui il faut “ laisser l’observation brasser de son large regard toute l’humanité de la Chine au Pérou ”, les lecteurs de ce livre seront ainsi amenés à se rendre dans ces deux pays, et même sur tous les continents habités. »
Et il raconte (dans un livre disponible en accès libre sur le Web : http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=79) :
« Par monts et par vaux, des bandes d’hommes (traditionnellement, les femmes en faisaient rarement partie) ne reconnaissant ni la loi ni l’autorité, armés et violents, soumettent leurs victimes par l’extorsion, le vol, ou de quelque autre façon. En défiant ainsi ceux qui détiennent ou prétendent détenir le pouvoir, le droit et l’accès aux ressources, le banditisme défie l’ordre économique, social et politique. Telle est la signification historique du banditisme dans les sociétés et les Etats marqués par des divisions de classes. Le “ banditisme social ”, sujet de ce livre, constitue un aspect de ce défi. »
Une vision marxiste de la part d’un homme qui est « tombé dedans » très jeune, marqué par une enfance particulière.
« Un homme qui a continué à brandir le drapeau »
Né en 1917 (l’année de la révolution bolchévique !) à Alexandrie (Egypte) de parents juifs, Eric Hobsbawm a grandi à Vienne puis à Berlin, avant que sa famille ne se décide à fuir l’antisémitisme et à se réfugier à Londres. En 1980, il déclarait :
« Toute personne ayant vu de ses yeux l’ascension d’Hitler ne peut pas ne pas avoir été façonné par ces événements. Cet enfant est toujours en moi. »
La vie et l’œuvre d’Eric Hobsbawm ont fait l’objet de bon nombre de polémiques et de controverses, pour beaucoup liées à son engagement communiste et sa lecture marxiste de l’histoire.
En avril dernier, rappelle la BBC, il déclarait qu’il souhaitait qu’on se souvienne de lui comme :
« Un homme qui, non seulement, a continué à brandir le drapeau, mais qui a montré qu’en le brandissant, on peut arriver à faire quelque chose, au moins quelques bons livres lisibles... »