En notre époque de multiculturalisme triomphant où le fils de l’Autre (qu’on serait tenté de qualifier d’un certain point de vue fédéraliste de "Fils de l’Homme"), Justin Trudeau se trouve installé au pouvoir jusqu’en 2025, le nationalisme québécois indépendantiste subit une éclipse résultant de deux défaites référendaires successives, celle de mai 1980 et l’autre d’octobre 1995, celle-ci toutefois beaucoup plus relative que la première.
Sur la scène politique provinciale, subsistent deux formations politiques défendant l’option indépendantiste : le Parti québécois bien sûr et Québec solidaire.
Le Parti québécois continue sa dégringolade, ayant descendu selon le dernier sondage en date à 8% des intentions de vote. Le second végète à 13%. En tout, ces deux partis totalisent 21% des voix. Cela semble peu, puisque le Parti québécois est le seul dont la raison d’être vise la réalisation de la souveraineté. Québec solidaire met la pédale douce sur son orientation constitutionnelle au profit de la critique sociale et écologique à l’endroit des politiques caquistes. Il faut rappeler que Québec solidaire a vu le jour en 2006 plus pour lutter contre le rétrolibéralisme que pour relancer l’idéal souverainiste. Il a fait des gains électoraux dans la mesure où il s’en est pris aux politiques rétrolibérales du gouvernement libéral de Jean Charest tout d’abord, puis du Parti québécois de Pauline Marois, et ensuite surtout du libéral Philippe Couillard. Depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec menée par François Legault, il fait du sur place.
Québec solidaire est une coalition assez hétérogène de gauchistes sociaux, de certains multiculturalistes et de nationalistes, indépendantistes et d’autres autonomistes. On comprend mieux dès lors certaines tergiversations et hésitations de la direction du parti au sujet de l’avenir du Québec. Différentes tendances le tiraillent.
La crédibilité du Parti québécois, elle, est plombée par des années de pratiques rétrolibérales, de 1981 à 1985, de 1995 à 2003 et de 2012 à 2014. Revenu au pouvoir en 1994 sous Jacques Parizeau, Il a perdu après l’arrivée à sa tête de Lucien Bouchard en 1996, un ex ministre conservateur à Ottawa l’essentiel de son aile gauche qui devait former un peu plus tard Québec solidaire. Après la défaite électorale de 2003, son aile droite l’a quitté pour former La Coalition avenir Québec en 2011, laquelle a absorbé l’Action démocratique du Québec l’année suivante. Le Parti québécois a donc été pris en sandwich, si l’on peut dire, entre le conservatisme de la CAQ d’une part et le progressisme de Québec solidaire sur sa gauche. L’idéologie indépendantiste ne suffit pas à rallier un nombre significatif d’électeurs et d’électrices. Elle doit se coupler à un projet social inspirant et rassembleur.
Par ailleurs, on peut deviner qu’au fond, François Legault adhère encore à la souveraineté, comme beaucoup de cadres péquistes ayant rallié son parti au fil des ans. Tout comme Québec solidaire, la Coalition rassemble un électorat de diverses tendances sur le plan national, une majorité d’autonomistes et une minorité d’indépendantistes. Drainville, sentant la direction du vent dans l’électorat a effectué un virage à 180 degrés en affirmant être un nationaliste québécois mais que son nationalisme si situait désormais "à l’intérieur du Canada", une affirmation reprise souvent par François Legault lui-même. On en revient donc au vieux nationalisme canadien-français traditionnel, lequel regagne à vue d’oeil des parts importantes du marché électoral, si l’on peut s’exprimer ainsi. Legault ne peut pas ne pas en tenir compte s’il veut se maintenir en poste.
Par conséquent, Legault ne peut renouer avec l’indépendantisme sans mettre son parti dans une position intenable. Les libéraux, des fédéralistes inconditionnels, pourraient alors retrouver leurs chances de le déloger du pouvoir.
Dans les circonstances actuelles, la CAQ ressemble à la défunte Union nationale de Maurice Duplessis. Elle promeut en effet un nationalisme autonomiste assorti d’une forme de conservatisme social mis au goût du jour : le rétrolibéralisme.
C’est là où la bat blesse, me paraît-il : autant le multiculturalisme s’est répandu au sein de certains milieux intellectuels et militants, autant le rétrolibéralisme est devenu la norme dans la gestion des affaires économiques et publiques.
On évoque beaucoup la relance de l’indépendantisme (notamment dans les journaux de Québecor, puisque Pierre Karl Péladeau est souverainiste) mais toujours à l’intérieur du cadre économique et financier qui sévit depuis le début de la décennie 1980. L’ancien souverainisme socialiste (sous ses diverses déclinaisons) a presque disparu du discours public alors qu’il alimentait bien des débats durant la décennie 1970, en particulier de 1970 à 1976.
Pis encore : la notion même d’indépendantisme est devenue suspecte auprès de la faction multiculturaliste de la jeunesse étudiante qui formait autrefois le fer de lance de l’idéal souverainiste. L’opposition butée à la loi sur la laïcité illustre bien la prégnance du multiculturalisme dans certains milieux influents. De plus, le gouvernement Trudeau vient d’annoncer qu’il la contestera devant la Cour suprême. Drôle d’alliance.
Dans tout ce contexte, le mouvement indépendantiste est-il condamné à la marginalisation, suivie de sa disparition ? Il est certain qu’on ne peut le relancer artificiellement. Mais le long épisode historique au cours duquel il a monopolisé les discussions publiques et mis les fédéralistes sur la défensive ne disparaîtra pas de sitôt de la mémoire collective, ni non plus l’action révolutionnaire du Front de libération du Québec (FLQ). Le souverainisme est devenu une option majeure qui, même amoindrie présentement, peut resurgir dans une conjoncture plus favorable que celle prévalant aujourd’hui, sait-on jamais ?
Ce qui peut faire illusion sur son déclin, c’est qu’il existe encore pas mal d’indépendantistes au Québec qu’on pourrait qualifier de souverainistes "mous", c’est-à-dire des gens aux yeux de qui l’accession du Québec à l’indépendance n’est plus prioritaire et ce pour plusieurs raisons.
De ce point de vue, la relative prédominance du multiculturalisme peut tromper sur l’état réel des forces en présence, fédéralistes et souverainistes, au même titre que la poussée indépendantiste des années 1970 a pu amener certains observateurs et observatrices à penser qu’elle s’imposerait, à court terme ou à la longue. Les multiculturalistes d’obédience trudeauiste commettent peut-être une erreur similaire à propos de leur propre orientation.
Mais cette concurrence entre nationalistes indépendantistes, autonomistes et fédéralistes centralisateurs se joue dans le long terme et il est impossible d’en prévoir l’issue en ce moment car selon la formule fameuse, "à long terme, nous sommes tous morts", du moins pour les soixantenaires et les septuagénaires.
Jean-François Delisle
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