Au Front d’action socialiste, nous croyons qu’une lutte victorieuse ne pourra passer que par l’union des forces de ces différents groupes. Plusieurs initiatives ont vu le jour en ce sens dans les derniers mois ou les dernières années au Québec. Aussi, ce texte propose d’analyser les possibilités et les limites propres à chacun des trois principaux mouvements qui tentent d’organiser la lutte contre l’austérité, soit les Comités printemps 2015, le Collectif refusons l’austérité et la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics. Notre analyse de ces différents groupes portera sur leur capacité à répondre aux trois conditions que nous jugeons nécessaires à toute alliance efficace : des pratiques démocratiques, des revendications audacieuses et rassembleuses et la capacité d’établir un rapport de force.
Des pratiques démocratiques
Pour qu’une lutte soit réellement populaire, il est primordial que celle-ci se base sur des pratiques démocratiques. Plusieurs visions de la démocratie peuvent s’entrechoquer lorsque vient le temps de s’organiser collectivement. Au FAS, nous privilégions une démocratie dite “participative”, où l’ensemble des membres doivent prendre une part active au processus décisionnel et où des délégué-e-s – élu-e-s, redevables et révocables en tout temps – sont chargé-e-s de la mise en place de certaines décisions collectives. Aussi, deux principes guident un tel type de démocratie : représentativité et redevabilité.
Le principe de représentativité veut que tous les membres puissent prendre part au processus décisionnel. Il faut dépasser la simple suggestion de participation et aller chercher des bassins de population qui sont liés par les décisions de leur organisation. Si l’ensemble de la population est lié par les décisions gouvernementales, il faut s’appuyer sur des organisations qui ont d’autres façons de représenter légitimement l’intérêt d’une partie de la population. Ce type d’organisation existe chez les syndicats, dans le mouvement étudiant et, d’une certaine façon, au sein des groupes communautaires : les décisions prises par leurs assemblées générales sont considérées comme représentatives de la volonté des membres et les décisions s’appliquent à tous et à toutes, notamment en cas de grève. Ce modèle regroupe ainsi un éventail très large de personnes qui ne sont pas nécessairement intéressées par la lutte politique en général et dont les intérêts peuvent diverger de nos objectifs de lutte. Ce type de démocratie, basé sur une structure bien implantée et reconnue, permet à notre avis d’élargir nos bases de lutte et ainsi de rejoindre une masse de personnes plus imposante ; élément nécessaire au combat à venir.
L’autre caractéristique d’une organisation démocratique, au sens où nous l’entendons au FAS, réside dans la redevabilité des délégué-e-s. Nous considérons qu’il est logistiquement impossible d’avoir une consultation universelle sur toute la logistique d’une organisation et encore moins d’une coalition d’organisations. Ainsi, certaines tâches seront renvoyées à l’équipe exécutive. Pour s’assurer d’un contrôle des membres sur leur organisation, il faut que ces exécutant-e-s soient redevables face aux membres de l’organisation ; il faut que ces derniers et ces dernières puissent renverser une décision de l’exécutif ou encore signifier leur désaccord et, ultimement, démettre une personne de ses fonctions. En bref, l’existence d’un comité exécutif est nécessaire pour l’efficacité d’une organisation, et la redevabilité de celui-ci est primordiale pour assurer son caractère démocratique.
Des revendications audacieuses et rassembleuses
En plus de ses pratiques démocratiques, il faut qu’une organisation soit capable d’articuler des revendications audacieuses et rassembleuses. Une revendication audacieuse en est une qui dépasse le statu quo et vise des objectifs significatifs (remettre en question le programme d’austérité, par exemple). Pour être rassembleuse, une revendication se doit d’être claire et atteignable. Ici, il s’agit de l’aspect réaliste des revendications : pour convaincre les gens de participer à une lutte d’une telle ampleur, il faut que ceux-ci aient minimalement espoir d’obtenir de quelconques gains. C’est de cette façon que nous pouvons espérer voir émerger un mouvement de masse, un mouvement qui va au-delà des cercles d’initié-e-s. Adopter de telles revendications est réformiste, certes, mais les mobilisations massives sont nécessaires pour faire l’expérience du politique, prendre conscience de nos intérêts et, éventuellement, se radicaliser.
Établir un rapport de force
Finalement, cette organisation se doit d’être en mesure d’établir un rapport de force face à l’État. Un rapport de force consiste en notre capacité à mettre de la pression sur le gouvernement afin de le faire plier face à nos revendications. Un tel rapport de force s’établit sur deux axes complémentaires, soit des actions de masse (qui servent davantage à mobiliser) et des actions de désobéissance civile (qui visent, notamment, à perturber l’économie). Aussi, dans une perspective d’escalade des moyens de pression, une telle organisation doit être prête à repousser les limites de la légalité – si nécessaire – en affirmant la légitimité de sa lutte. En d’autres termes, il s’agit d’affirmer que nous sommes prêts et prêtes à défier le cadre légal afin de forcer le gouvernement à céder.
Il faut également que cette organisation ait des capacités logistiques et financières importantes si elle veut être en mesure de diffuser son message à des millions de personnes et d’organiser des actions de masse. Finalement, on doit se poser la question de la pérennité de l’organisation. Un véhicule de lutte doit pouvoir avoir une certaine pérennité, sans quoi la stabilité même de l’organisation n’est pas assurée. Une organisation qui perdure dans le temps sera plus difficile à ébranler qu’une organisation qui se veut ponctuelle et ancrée dans un contexte précis. Bref, une organisation qui lutte contre l’austérité doit avoir une vision à long terme.
Un survol des différentes organisations
Printemps 2015
La première initiative que nous observons s’érige sous la bannière du « Printemps 2015 ». Elle vise à déclencher une grève sauvage ce printemps afin de s’opposer aux politiques d’austérité. Pour ce faire, elle cherche à mettre sur pied des « comités Printemps » dans un maximum de milieux (école, hôpital, entreprise, etc.). Sa volonté est de créer un espace où tous et toutes peuvent participer aux réunions d’organisation : entre les travailleurs et travailleuses, usagers ou bénéficiaires d’un service, chômeurs, chômeuses, sans emploi. Si cette stratégie devrait permettre effectivement la rencontre de personnes de différents milieux et l’organisation de mobilisation et d’actions conjointes, la structure proposée nous semble problématique et ce, à plusieurs niveaux.
En premier lieu, le type de démocratie qui y est proposé en est un de type affinitaire, basé sur une participation volontaire et prenant une forme informelle et ponctuelle : chacun-e y adhère quand bon lui semble, en assistant aux différentes réunions. Aussi, en l’absence d’une assemblée générale centrale et d’un exécutif qui permettrait de coordonner les différents comités, nous croyons que le mouvement « Printemps 2015 » semble souffrir d’un manque d’inclusivité, de cohérence et de vision à long terme. D’un côté, en l’absence de revendications clairement définies, il est difficile de mettre de l’avant une conception commune de la lutte. De l’autre, les personnes qui influencent le plus les décisions sont ceux et celles qui participent au plus grand nombre de réunions, reproduisant ainsi le modèle du super militant ou de la super militante[1]. Malgré la volonté d’inclure une diversité de personnes au sein de ces comités, force est de constater que la multiplication des instances ne favorise pas la participation des individus provenant des classes socio-économiques les plus démunies, de ceux et celles qui ont une famille, ou encore de ceux et celles qui ne résident pas à Montréal.
Enfin, on ne pourrait parler des Comités printemps 2015 sans parler de leur plan d’action, soit le déclenchement d’une grève sociale pour le mois d’avril 2015. À notre avis, il s’agit d’un empressement qui pourrait nous coûter cher. Si ces délais sont courts, même pour le mouvement étudiant, ils sont irréalistes pour plusieurs milieux syndicaux[2]. Ce n’est pas que nous croyons particulièrement au pouvoir de la grève légale, mais plutôt qu’il est davantage stratégique de commencer par un mouvement légal et que, suite à des lois spéciales et des injonctions, ce mouvement puisse sortir de ce cadre restreint. Bref, la radicalisation de la population n’arrive pas du jour au lendemain, elle arrive par une expérience de lutte.
Pour conclure, nous croyons que les possibilités autour des comités « Printemps 2015 » se limitent à influencer les organisations déjà existantes et à organiser des actions mobilisatrices et des actions de perturbation, ce qui constitue un travail essentiel à la lutte.
Refusons l’austérité
La deuxième initiative est incarnée par le collectif « Refusons l’austérité ». Ce collectif se veut une alliance de tous les horizons syndicaux, étudiants et communautaires. Les organisations participant à ce collectif ont des structures basées sur des assemblées générales. Toutefois, les décisions prises au sein du collectif ne semblent pas être directement issues et redevables aux assemblées générales locales, ce qui permettrait aux exécutifs syndicaux de prendre beaucoup d’importance dans les choix stratégiques.
Au niveau des revendications, ce collectif semble assez discret. Au-delà de son opposition à l’austérité, les propositions plus concrètes ne sont pas connues. Se limite-t-on simplement au report du déficit zéro comme le veulent certaines centrales syndicales ? Dans le même sens, on doute des volontés et des capacités combatives des grands syndicats nationaux. Malgré qu’ils aient des moyens logistiques très importants, leur capacité à appuyer sans hésitation un syndicalisme combatif est mise en doute. En effet, les conséquences légales pour les syndicats qui tenteraient de défier les lois pourraient ultimement mener à leur destruction. Si une telle confrontation n’est pas impossible, c’est malgré tout un pari audacieux. Bref, même si la manifestation du 29 novembre 2014 a été un succès, la cohésion interne semble beaucoup trop précaire pour pouvoir espérer une lutte populaire à long terme.
Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics
La dernière initiative étudiée est celle de la « Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics », organisation existant depuis 2009 et réunissant des gens de différents milieux (syndicaux, étudiants et communautaires). Ses pratiques sont démocratiques puisque fondées sur une assemblée générale (où chaque délégué-e vote en fonction de ses mandats respectifs) devant laquelle les membres du comité « action suivie » (l’équipe exécutive, en quelque sorte) sont redevables. Une des critiques majeures adressée à cette organisation est qu’elle consiste en un regroupement de regroupements (par exemple l’ASSÉ, qui est elle-même composée de diverses associations étudiantes, est membre de la Coalition). Ainsi, une certaine distance se crée entre les membres des différents regroupements et la Coalition elle-même puisque ces membres ne participent pas directement au processus décisionnel, mais plutôt de façon interposée, soit par le biais de leurs regroupements respectifs.
Or, bien que cette structure soulève certaines questions, elle permet d’adresser un aspect de la lutte trop souvent négligé : la nécessité d’inclure des organisations localisées à l’extérieur de la région métropolitaine. En effet, la Coalition regroupe des organisations issues des différentes régions du Québec, en plus d’être composée de regroupements régionaux. Ces regroupements semblent à même de non seulement refléter les différentes réalités régionales, de rejoindre l’ensemble des citoyens et citoyennes à l’échelle du Québec, mais aussi de redonner aux régions une autonomie et un pouvoir dans la lutte. Aussi, quant à la question de la distance entre la base des groupes et leur direction, c’est peut-être le montréalocentrisme présent au sein de nombreuses organisations qui la crée, bien plus que le dédoublement des paliers de représentation.
Au niveau des revendications, la Coalition arrive à mettre de l’avant des propositions audacieuses et rassembleuses. La campagne « 10 milliards de solutions » s’attaque directement au discours néolibéral, qui prétexte le manque de ressources financières pour imposer ses mesures d’austérité. Aussi, cette campagne propose d’augmenter les revenus de l’État en allant chercher l’argent là où il est : chez les exploiteurs et les plus nanti-e-s (dans les poches des banques, par exemple). Finalement, au niveau de la capacité à mener une lutte combative, la Coalition a souvent été perçue comme étant incapable de perturber l’ordre social. Pourtant, par le passé, elle a su intégrer ou composer avec des événements plus perturbants dans ses actions (par exemple le blocage de la tour de la Bourse ou encore le refus de dévoiler les trajets de ses manifestations). Aussi, à notre avis, la Coalition a su défendre la légitimité de ses moyens d’action dans la construction de son rapport de force. Les principaux problèmes au niveau de sa combativité seraient alors le résultat d’un manque de ressources financières et logistiques, ce qui pourrait être plus ou moins facilement réglé (la Coalition pourrait se doter d’une réelle cotisation, par exemple).
Pour faire converger nos efforts !
Suite à ces constats, le Front d’Action Socialiste considère que le meilleur espace de convergence pour mener la lutte contre l’austérité demeure la « Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics ». Son fonctionnement transparent, inclusif et démocratique permet aux groupes communautaires, syndicaux et étudiants de se consulter sur des bases égalitaires et de s’unir pour mener à la fois des luttes particulières lorsque les circonstances l’imposent, mais également de mener une lutte populaire plus large contre le néolibéralisme. À l’aube de la lutte à venir, nous croyons qu’il est primordial de réfléchir aux bases communes qui s’offrent à nous afin d’éviter de nous diviser au profit du gouvernement et de son programme politique austère.
En ce sens, le Front invite toute citoyenne et tout citoyen à s’impliquer au sein de la structure qui le représente (communautaire, étudiante ou syndicale), à l’investir afin que celle-ci se joigne à la Coalition et participe à la lutte qui nous attend.
Notes
[1] Il est ici fait référence à un long débat selon lequel une organisation dont les structures sont floues ou méconnues concentre un pouvoir disproportionné au sein d’un cercle restreint d’initié-e-s. De cette perspective, il vaut mieux expliciter les rapports de pouvoir au sein d’une organisation et donner aux membres une emprise sur ceux-ci plutôt que de prétendre à une organisation complètement horizontale, où tout le monde est formellement égal, mais où des rapports de pouvoirs informels, plus pernicieux, se développent. Pour plus d’informations, voir le texte « La tyrannie de l’absence de structure », disponible sur la plateforme de infokiosques.net au https://www.infokiosques.net/lire.php?id_article=2.
[2] Afin de déclencher une grève légale, les syndicats doivent respecter de multiples délais prévus par la loi. Aussi, bien que les conventions collectives du secteur public viennent à échéance le 31 mars 2015, il ne peut y avoir grève que plusieurs mois plus tard. Par exemple, avant qu’un syndicat n’obtienne le droit de déclencher la grève (du moins, en ce qui concerne les secteurs qui ne sont pas considérés comme étant des services essentiels, ces derniers ayant des restrictions supplémentaires), il doit y avoir eu une période de médiation de 60 jours depuis l’échéance de la convention collective, auquel s’ajoute un délai de 20 jours afin que le ministre puisse consulter le rapport du médiateur.