Intransigeance de la direction
Le 11 janvier 2018, la direction d’ABI a mis en lock-out les 1 030 travailleurs et travailleuses de l’usine, propriété à 75 % d’Alcoa et à 25 % de Rio Tinto. Suite à un automne de conciliation qui allait bon train, la direction a tenté un coup de force en imposant une offre finale et globale à 1 h du matin le 22 décembre 2017. Les assemblées des trois accréditations syndicales ont été déplacées au début janvier 2018 en raison des Fêtes. Sans surprise, l’offre patronale a été rejetée par 80 % des membres de la section locale 9700 des Métallos.
Au centre du litige se trouve la demande de la direction d’ABI d’imposer un régime de retraite à deux vitesses. Les questions du respect de l’ancienneté dans les mouvements de personnel ainsi que d’un tournant vers la sous-traitance sont aussi sur la table. « On attend parfois 25 ans pour avoir un poste de jour au magasin », soutient Daniel Hould du syndicat des Métallos 9700.
Un lock-out dur
À 3 h du matin le 11 janvier 2018, plus d’une centaine d’agents de sécurité de la compagnie Gardium Sécurité (spécialisée dans les grèves et lock-out) ont vidé l’usine de ses travailleurs et travailleuses tout en empêchant les autres d’entrer. Les agents ont mis la sécurité et la santé des employé·e·s en jeu en interdisant d’abord les douches de décontamination, puis en coupant l’eau chaude. La direction a également obtenu une injonction de la Cour limitant l’accès des employé·e·s à l’usine et le nombre de piqueteurs·euses à 15. Environ 100 agent·e·s de sécurité sont posté·e·s à l’ABI par la direction. Un agent de sécurité est d’ailleurs accusé de voies de fait contre deux employés de l’usine et de menaces de mort contre un troisième.
Le syndicat estime que la direction a embauché plusieurs personnes tout juste avant le déclenchement du lock-out afin qu’elles effectuent des tâches normalement dévolues aux syndiqué·e·s. En mai, le Tribunal administratif du travail (TAT) a effectivement reconnu un cas de briseur de grève. Depuis, plusieurs travailleurs·euses ont témoigné au TAT concernant d’autres cas de scabs toujours en traitement.
Une médiation ratée
Le 7 février, le syndicat des Métallos 9700 a organisé une manifestation devant l’Assemblée nationale pour réclamer l’intervention du gouvernement en faveur d’une reprise des négociations. En appui aux syndiqué·e·s, le député de Gouin et porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a déposé une motion en ce sens la journée même. Elle a été adoptée à l’unanimité. La ministre du Travail d’alors, Dominique Viens, a ensuite rencontré les dirigeant·e·s du syndicat. Elle a finalement nommé l’ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard comme médiateur spécial. Ce dernier a déjà occupé cette fonction lors du conflit d’ABI en 2011. Bouchard, qui siège notamment sur le conseil d’administration de l’Association pétrolière et gazière du Québec, est reconnu pour son infâme « virage ambulatoire » et ses coupures dans les services publics durant les années 90.
Sous la médiation Bouchard, la partie patronale a remis de l’huile sur le feu lors de la reprise des négociations à la fin juin. En plus d’une série de coupures, elle s’est mise à réclamer une réduction de personnel de 20 %. Le président du syndicat, Clément Masse, a déclaré au journal Les Affaires que ce « n’est pas une façon de négocier que de revenir avec de nouvelles demandes à la table après six mois de conflit ». Dans ce contexte, les travailleurs et travailleuses ont confirmé leur confiance envers le comité de négociation dans une proportion de 90 %. Faute de « bonne volonté » entre les parties, la médiation a été suspendue le 6 octobre.
Complaisance de la CAQ
Suite aux élections provinciales, le nouveau ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, s’est fait confier en priorité par François Legault la résolution du conflit chez ABI. En 2015, Jean Boulet a représenté la partie patronale lors de la grève de Delastek, une autre entreprise de la Mauricie. Le conflit acrimonieux a duré trois ans. Le TAT a d’ailleurs conclu en mars dernier que Delastek n’a pas négocié de bonne foi. Daniel Hould des Métallos 9700 souligne d’ailleurs que le syndicat des employé·e·s de Delastek a été « dans les premiers à nous appuyer financièrement ».
Toujours est-il que le ministre Boulet a annoncé la reprise des pourparlers le 7 novembre 2018 ainsi qu’une date butoir, le 30 novembre, pour qu’un accord soit conclu. Deux jours avant, des centaines de lockouté·e·s d’ABI et de militant·e·s syndicaux·ales ont convergé devant le siège social d’Hydro-Québec pour dénoncer le lock-out ainsi que la clause permettant à ABI de ne pas acheter la totalité du volume d’électricité figurant dans son contrat avec Hydro-Québec.
Selon une analyse indépendante publiée par les Métallos, chaque jour de lock-out à l’ABI représente un manque à gagner de plus de 600 000 $ pour Hydro-Québec. Une entente conclue en 2014 permet à la direction d’ABI de décréter un lock-out et de le considérer comme un cas de force majeure (Act of God) au même titre qu’une catastrophe environnementale.
Questionné par Les Affaires, le ministre Boulet a fait savoir qu’il n’a pas l’intention de revoir cette clause. Face à l’absence d’accord et à l’échec du blitz de négo de décembre, le ministre demeure ouvert à l’arbitrage, soit l’imposition par le gouvernement d’un nouveau contrat de travail.
Le statu quo profite à ABI
Pendant le lock-out, l’usine est exploitée par des cadres à raison d’une série de cuves sur trois. Ce ralentissement de la production ne semble pas fatal pour les propriétaires qui, de toute façon, n’ont pas à honorer complètement leurs redevances d’électricité ni à payer les salaires des employé·e·s. La loi du travail favorise l’employeur qui utilise à profit une injonction, des agent·e·s de sécurité et des briseurs·euses de grève pour casser le rapport de force économique que pourraient développer les syndiqué·e·s. De plus, le lock-out nuit de plus en plus à l’économie de la région. Que le ministre Boulet soit « extrêmement déçu » du prolongement du conflit ne change rien au fait qu’il bénéficie à la direction de l’ABI. Les règles du jeu sont établies en fonction des intérêts des patrons et des politicien·ne·s qui les défendent.
Pour une solidarité de la classe travailleuse
Comme l’ont souligné les Métallos lors des manifestations du 7 septembre et du 28 novembre, l’entente avec l’ABI permet à la multinationale de refiler la facture de son lock-out à la population. Ce conflit qui s’éternise souligne le fait que les compagnies capitalistes et les élu·e·s qui les défendent sont incapables de faire fonctionner l’économie dans l’intérêt des travailleurs, des travailleuses et des communautés. À terme, ce ne sera qu’en récupérant nos entreprises, par leur nationalisation sous contrôle démocratique, que nous pourrons gérer leur production dans l’intérêt des communautés et dans le respect de l’environnement.
Ce programme économique socialiste, tout comme la victoire des lockouté·e·s d’ABI, nécessite des mobilisations de masse, sur l’ensemble du Québec. Les membres de nombreuses organisations syndicales québécoises, canadiennes et internationales ont déjà donné leur soutien, notamment financier, aux employé·e·s d’ABI afin de leur permettre de tenir le coup. Nous encourageons le plus grand nombre de personnes et d’organisations à le faire.
Afin d’apporter la lutte à une autre étape, nous soutenons les efforts déployés par les Métallos vers la population en général grâce à leur campagne sur les redevances d’électricité. Vu sous cet angle, ce conflit de travail devient un enjeu pour toute la classe travailleuse québécoise. Les organisations syndicales locales et nationales possèdent ainsi un excellent levier pour mobiliser massivement leurs membres et la population afin de faire pression sur le gouvernement et la direction d’ABI. La bataille des travailleurs et des travailleuses de l’usine d’Alma de Rio Tinto Alcan en 2012 est là pour prouver que la lutte de masse paie. La mobilisation de plus de 8 000 à Alma a été un élément décisif dans leur victoire.
Julien D.
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