Édition du 19 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Les soldats israéliens ont d'abord tiré sur la jambe gauche d'un journaliste de Gaza, puis sur sa jambe droite. Et ils ne se sont pas arrêtés là

L’amputation de la jambe gauche du photographe de Gaza Yousef Kronz, âgé de 19 ans, aurait pu être évitée si Israël l’avait laissé recevoir un traitement médical en temps opportun en Cisjordanie.

Tiré de Tlaxcala.org

Sa jambe gauche a été amputée à l’hôpital Al Shifa, dans la bande de Gaza, et des efforts sont en cours, à l’Hôpital arabe de consultation (Istishari) de Ramallah, pour s’assurer que sa jambe droite ne subisse pas le même sort. Plus de deux semaines se sont écoulées entre l’amputation de la première jambe - qui aurait pu être évitée - et l’action entreprise pour sauver l’autre. Un temps précieux durant lequel Israël a refusé de permettre à Yousef Kronz, le premier Palestinien grièvement blessé lors des récentes manifestations hebdomadaires dans la bande de Gaza, d’être transféré à l’hôpital des environs de Ramallah. La Haute Cour de justice a finalement contraint le ministère de la Défense à mettre un terme à cette conduite scandaleuse et à permettre le transfert de l’étudiant et journaliste de 19 ans du camp de réfugiés de Bureij vers cet établissement plus sophistiqué.

Le vendredi 30 mars, Kronz s’est fait tirer dessus, d’abord à la jambe gauche, par un tireur d’élite des Forces de défense israéliennes, puis, quelques secondes plus tard, lorsqu’il a tenté de se relever, à la jambe droite, par un deuxième tireur embusqué. Selon Kronz, les balles qui ont frappé ses jambes et brisé sa vie provenaient de deux directions différentes. En d’autres termes, il a été abattu par deux tireurs différents, alors qu’il se tenait à 750 mètres de la clôture de la frontière de Gaza, armé de son appareil photo, portant un gilet avec l’inscription "Presse", essayant de documenter les tirs incessants des tireurs d’élite des FDI sur des manifestants palestiniens non armés. Après qu’il a été frappé, nous raconte-t-il maintenant, il a vu de plus en plus de gens tomber sur le sable, saignant, "comme des oiseaux".

L’incident s’est produit le Jour de la Terre, la première journée des Marches du retour en face de la barrière de Gaza.

L’hôpital Istishari est situé en haut du village de Surda, au nord de Ramallah. C’est un grand établissement privé, nouveau, sophistiqué, luxueux et brillant. Kronz y dispose d’une chambre privée, spacieuse et bien éclairée avec un lit réglable, une télévision, des murs lambrissés et une vue à couper le souffle. Israël n’a autorisé aucun membre de sa famille à accompagner Kronz en Cisjordanie ou à s’occuper de lui, à l’exception de son grand-père, Mohammed Kronz, qui a 85 ans et qui, après quelques jours, a été obligé d’aller chez des parents dans la camp de réfugiés éloigné d’El Arroub, près de Bethléem, pour se reposer. Maintenant, Youssef, qui souffre d’une grave douleur dans son moignon et dans sa jambe restante, est pris en charge avec une dévotion infinie par un cousin, Ghassan Karnaz, qui est également d’El Arroub.

Les deux cousins ​​ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Comme tous les jeunes de Gaza, Kronz n’avait jamais quitté la bande. Maintenant, il a brisé le siège - sans sa jambe.

Étudiant de première année en communication à l’université Al-Azhar de Gaza, il vient d’une famille originaire de Faluja, dans le Néguev. Son père reçoit son salaire de policier basé à Gaza de l’Autorité palestinienne. Kronz était actif dans les réseaux sociaux, rapportant sur la situation dans la bande. Il y a quelques mois, il a acheté un appareil photo numérique Canon 5D pour 5 000 $, dont la moitié à partir de ses économies et le reste de son père, et a commencé à travailler pour l’agence de presse locale de Bureij.

Kronz a été le premier journaliste abattu au cours du mois des manifestations, mais pas le dernier. Il connaissait bien Yaser Murtaja, un journaliste tué de sang-froid par des tireurs d’élite des FDI le 6 avril. Comme Kronz, Murtaja était également d’un camp de réfugiés de Gaza - Jabalya.

Le 30 mars, Kronz a marché à environ 1,5 kilomètre de chez lui jusqu’au site des manifestations pour les photographier pour son agence de presse. Il a récité les prières de midi dans la tente installée là pour les journalistes là-bas. Les 25 journalistes locaux ont ensuite discuté de la façon dont ils diviseraient l’espace des manifestations qu’ils documentaient. L’atmosphère était tendue, se souvient-il maintenant ; tout le monde s’attendait à un grand nombre de victimes.

Pensait-il que les FDI utiliseraient des munitions réelles ? "Les FDI tirent toujours à balles réelles." Son visage est tordu de douleur, mais Kronz est bien soigné, malgré son état. Il regarde constamment le miroir ou la caméra dans son téléphone portable, pour être sûr que sa coupe de cheveux a l’air bien.

Après les prières, poursuit-il, les jeunes ont commencé à mettre le feu aux pneus. Les panneaux mis en place par les organisateurs montraient le chemin vers les toilettes et diverses tentes, ainsi que la distance de chaque point avec la clôture de la frontière. Kronz savait donc qu’il se trouvait à 750 mètres de la barrière. La veille, l’armée israélienne avait largué des tracts à proximité de Jabalya avertissant que quiconque approcherait à moins de 300 mètres de la clôture risquerait sa vie. Avec beaucoup d’expérience à leur actif, les habitants de Gaza prennent ces avertissements au sérieux. Les organisateurs ont marqué une zone verte permise et une zone rouge interdite et dangereuse. Kronz dit qu’il se trouvait à des centaines de mètres de la limite de la zone rouge.

À 14 heures, la situation est devenue explosive. Les soldats des FDI ont commencé à lancer des grenades lacrymogènes alors que les jeunes approchaient à moins de 100 mètres de la barrière. Ils ont utilisé des frondes pour lancer des pierres sur les soldats, mais ils étaient trop loin pour les atteindre. Krionz dit avoir vu quelques douzaines de soldats en face de lui de l’autre côté de la barrière ; trois jeeps et le canon d’un tank jaillissaient derrière un remblai. Lui aussi a trouvé un petit monticule de terre et s’est posté derrière, plaçant le trépied avec son appareil photo d’un côté et son sac à dos de l’autre. Il s’est agenouillé sur le sable, ses jambes croisées devant lui. Le barrage de gaz lacrymogène est devenu plus intense, les soldats tiraient des grenades à la volée, et l’air s’est rempli d’un gaz épais et brûlant. Le vent portait le gaz dans sa direction ; Les manifestants utilisaient des oignons pour s’en protéger. Kronz a pris environ 950 photos. Il se souvient avoir regardé sa montre à 15 heures. Plus tard dans l’après-midi, un ami, Bilal Azara, se mariait à Bureij, il pensait donc rentrer chez lui, se doucher et se changer. Kronz prit son appareil photo et son sac à dos et se leva. A ce moment précis, la première balle l’a frappé. Il n’a rien entendu mais a senti une douleur brûlante. La caméra lui a échappé des mains et il s’est effondré, puis a immédiatement essayé de se lever. C’est alors que la deuxième balle s’est logée dans l’autre jambe. La première est entrée cinq centimètres sous le genou, la seconde sept centimètres au-dessus de l’autre genou. Paralysé, il a essayé de crier au secours mais sa voix l’a trahi. Il dit qu’il avait l’impression d’avoir été électrocuté. Sa caméra est restée dans les sables de Gaza.

À quelques mètres se trouvait un jeune homme du même âge, Ahmed al-Bahar, assistant de l’un des autres photographes. Il a couru vers Kronz et a essayé de le soulever - mais juste à ce moment-là aussi il a été attient à la jambe et est tombé au sol, saignant.

À ce point de notre conversation, des parents éloignés d’Abderrahmane Nufal, 11 ans, qui a également perdu une jambe à Gaza et est hospitalisé ici à Istishari, entrent dans la chambre pour dire bonjour. Nufal est l’un des trois autres Gazaouis blessés parmi les 1.500 blessés dans les manifestations à ce jour, qu’Israël a autorisé à être transférés ici. La famille, des anciens Gazaouis qui vivent maintenant en Cisjordanie, sont venus voir comment va le garçon.

Des jeunes ont transporté Kronz et Bahar vers la seule ambulance présente dans la zone. En peu de temps, le véhicule était encombré de six blessés couchés l’un à côté de l’autre ; Kronz était le plus gravement blessé. Les soldats ont continué à lancer des gaz lacrymogènes ; Kronz avait l’impression d’étouffer dans l’ambulance. Un ambulancier a placé un masque à oxygène sur son visage, mais l’encombrement à l’intérieur l’a empêché d’étancher le saignement des jambes de Kronz. Passant par des états de conscience et d’inconscience, Kronz a été emmené à l’hôpital Al-Aqsa à Deir El Balah.

À l’hôpital, il a vu sa jambe gauche pour la première fois : elle était brisée, l’os saillant, la chair lacérée. À sa vue, il s’est évanoui. Il a été anesthésié et emmené immédiatement au plus grand hôpital d’El Shifa à Gaza-ville, à cause de la gravité des blessures. À El Shifa, il a subi six heures de chirurgie pour arrêter le saignement.

Après quatre jours à El Shifa, l’état de la jambe gauche de Kronz s’est détérioré et les médecins ont été obligés de l’amputer au-dessus du genou. Il a reçu 24 transfusions de sang. La demande de transfert à Ramallah pour traitement a été soumise à Israël quelques heures seulement après qu’il a été blessé, mais a été rejetée par les autorités. L’état de la jambe droite semblait également désastreux.

Neuf jours après que Kronz avait été, le 8 avril, deux groupes de défense des droits humains - Adalah, le Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël et le Centre Al-Mezan pour les Droits humains, de Gaza - ont demandé à la Haute Cour israélienne de permettre à Kronz et à un autre Gazaoui blessé, Mohammed Alajuri, d’être transférés d’urgence à Ramallah pour y être soignés. Le tribunal n’a apparemment pas jugé urgent de traiter l’affaire et a attendu quatre jours avant de délibérer sur la requête, après quoi les juges ont exigé une réponse de l’Etat dans les quatre jours.

"Les amputations des membres des deux jeunes hommes auraient pu être évitées si l’Etat avait rempli ses obligations en vertu du droit international humanitaire", a déclaré Sawsan Zahar, une avocate d’Adalah, aux juges.Les avocats de l’État, pour leur part, ont déclaré à la cour :"À première vue, la condition des pétitionnaires semble remplir la critère médical pour recevoir un permis [de transfert à Ramallah], mais les fonctionnaires autorisés ont décidé de ne pas accéder à leurs demandes. La principale considération pour ce refus provient du fait que leur état de santé est le résultat de leur participation aux troubles. "

Le 16 avril, les juges Uri Shoham, George Karra et Yael Willner ont déclaré qu’ils n’étaient pas persuadés que le gouvernement avait pleinement pris en considération si les circonstances dans l’affaire Kronz justifiaient une dérogation à la procédure normale. "Il n’y a pas de contestation sur le fait que le traitement médical dont le requérant a besoin pour empêcher l’amputation de sa jambe n’est pas disponible dans la bande de Gaza", ont-ils écrit. "Par conséquent, le pétitionnaire est inclus parmi les cas dans lesquels l’entrée en Israël doit être autorisée dans le but d’un passage vers Ramallah."

Les juges ont également daigné déclarer que Kronz ne représente pas un risque de sécurité pour Israël. Ce même jour, il a été transféré à l’hôpital Istishari. (Quant à Alajuri, avant que le tribunal ne rende une décision sur son cas, les médecins de Gaza n’ont eu d’autre choix que de lui amputer la jambe : il reste à Gaza.) Yousef Kronz traverse maintenant une période dure, ayant du mal à accepter son amputation. Quatre jours après avoir été amené à l’hôpital de Ramallah, il a subi une intervention chirurgicale à la jambe droite, dont la condition semble s’être stabilisée. Maintenant, il fait face à une longue réhabilitation, qui durera au moins quatre mois, dans un hôpital de Beit Jala, à côté de Bethléem. Avant de prendre congé, il nous a demandé si nous pensions qu’il pourrait jamais marcher sur une seule jambe.

Gideon Levy

Journal Haaretz, Israël

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